furent ceux à s’étonner de voir le film concourir aux côtés de Lincoln ou de Zero Dark Thirty, œuvres marquées d’un engagement politique qui feraient d’Happiness Therapy, avec son marketing à l’eau de rose, un long-métrage gentiment gnian-gnian. Sauf qu’O. Russell trimballe avec lui une grosse caisse d’angoisses existentielles qu’il peut, en tant que scénariste en chef, glisser dans ce projet pas comme les autres. On n’y suit pas le parcours d’un golden boy à qui la fascination matérielle va jouer des tours, mais on colle à la peau d’un éclopé de la vie tout frais sorti d’un hôpital psychiatrique, et qui rentre dans un domicile familial marqué par les tocs d’un père guère communicant.
Pat junior est cet individu que les tracas quotidiens conditionnent, à la merci de crises d’humeur imprédictibles, et qui s’inflige une discipline autiste pour contourner ses propres échecs. Sa franchise fait le sel des joutes verbales qui caractérisent le long-métrage, tout comme sa personnalité cinématographique en diable où un simple regard peut créer un malaise qui ne demande qu’à imploser. En castant Bradley Cooper dans un rôle à l’opposé de son registre charmeur, le réalisateur prend un risque merveilleux puisque l’acteur s’y montre tour à tour immature, attachant, séduisant, convaincant. Sa prestation énergise pour beaucoup un long-métrage reposant un maximum sur les dialogues, et la cohérence de son jeu finit de convaincre de sa bonne place en compétition.
Pour autant, Happiness Therapy n’est pas qu’une comédie dramatique vibrante à un seul personnage. Un peu comme dans Fighter, O. Russell s’intéresse à l’entourage familial du protagoniste et introduit dans le récit à la fois une relation paternelle ambiguë et une love story hors des clous. La première est de celle qui marche le mieux, particulièrement grâce à l’interprétation concernée de Robert De Niro, qui n’aura pas paru autant à son avantage qu’ici durant cette dernière décennie. Son personnage tour à tour pathétique et manipulateur provoque plusieurs affrontements dramatiquement forts et la mise en scène presque anecdotique de sa confession rend d’autant plus touchant l’émotion qui y transite.
La seconde piste narrative, love-story d’avec une autre paumé de l’existence, tient un peu moins la route et s’avère progressivement responsable de la mollesse dramatique qui parasite le plaisir pris au film. C’est qu’il subsiste une réelle allégresse à voir leur deux imposantes personnalités s’affronter durant une bonne moitié de long-métrage, particulièrement parce que le refus de leur évidente compatibilité n’est jamais pesante ou trop dramatiquement appuyée, trouvant le bon équilibre entre les malheureux instants manqués et la lumineuse entraide mutuelle. Bien que trop jeune pour le rôle, Jennifer Lawrence apporte comme à son habitude une opiniâtreté rafraichissante à sa Tiffany – sans que cela ne parasite ni sa crédibilité ni sa souffrance intérieure -.
Mais David O. Russell, pris par une envie bouillonnante de réaliser à sa manière une comédie romantique, paraît manquer un peu de souffle dans son dernier tiers. Les quelques pistes narratives porteuses d’intérêt (le résultat du match et sa pirouette tirée par les cheveux en tête) sont évacuées pour relier sans véritable tact le point C, ce point du Cœur que le grand public réclame et que le film parvenait savoureusement à contourner. L’alchimie singulière qui s’est fabriquée se dilue progressivement dans un romantisme de carte musicale, qui embarrasse moins pour les faits qu’il met en scène que pour la manière dont il nous sont présentés. C’est à dire que le cinéaste, pris par son élan d’exaltation amoureuse, choisit de claquer la porte à la vraisemblance pour mieux laisser éclore une love-story de cinéma comme on en a déjà vu un bon paquet. Pas forcément la meilleure manière de rendre hommage à un récit rafraichissant autant le genre de la chronique familiale en implosion, ni le point final le plus cohérent qui soit.
Dans une optique similaire mais moins préjudiciable se fait jour quelques sous-intrigues traitées en surface, comme la mère nettement en retrait (formidable Jackie Weaver) ou un Chris Tucker au formidable potentiel d’imprévisiblilité parasite. A l’opposé d’un Fighter qui savait donner du relief à ses moments les plus pesants, on se soucie de moins en moins des possibles tensions relationnelles, et l’on finit presque par entendre l’écho d’un creux dans les multiples engueulades qui émaillent le récit.