Critique : Le Poids de l’eau

Par Jérémy Ponthieux
27 janvier 2013
MAJ : 25 février 2020
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En 2000, Kathryn Bigelow quitte les plates-bandes du film de genre et ouvre son cœur à une nouvelle audience. Pour cela, elle adapte la nouvelle du même nom signée Anita Shreve dans laquelle une photographe et son mari de poète partent à la recherche d'un meurtre ayant éclot sur une petite île de pêcheurs en 1873. Evoquées en parallèle, les deux histoires entretiennent d'abord un rapport plus thématique que narratif, avant de se recouper visuellement dans le dernier quart du film, climax à la fois spectaculaire et résolvant. Par apriori, on peut se réjouir de voir une cinéaste reconnue pour son sens du spectacle et son attrait pour les tourments masculins investir le versant dramatique du cinématographe, particulièrement en faisant appel à une telle brochette d'actrices/acteurs de talent, de Sean Penn à Sarah Polley

Ce qui en résulte s'avère moins réjouissant, puisqu'à n'y pas aller par quatre chemins, Le Poids de l'eau s'avère être un film peu entraînant. D'un côté comme de l'autre de la narration, les deux histoires sont chargées d'une ambiguïté et d'une perversité certaines, l'une dans ses émotions meurtries et l'autre dans sa suspicion envahissante, mais aucune ne s'avère concrètement fascinante. La faute en incombe moins à une narration molle qu'à des résolutions trop vite éventées, les divers jeux de regards dissipant tout mystère dès les vingt premières minutes. On devine vite ce qui tourmente la jeune Maren et ce qu'il en est du véritable meurtrier, si bien qu'il ne reste plus que les oripeaux d'un portrait psychologique peu subtil, où se dessinent en filigrane des pensées incestueuses suggérées. La fascination qu'inspire le jeu incarné de Sarah Polley ne suffit dès lors pas à maintenir éveillé l'intérêt, et l'on se surprend à anticiper les relations entre personnages avec un intérêt distant.

Mais c'est l'histoire présente qui enfonce le clou, puisque de subtilité ne reste plus que les interprétations de Sean Penn et de Catherine McCormack en vieux couple à la dérive. On en vient à se demander comment Jean peut continuer à douter de la tromperie de son mari tant Adaline, incarnée par une Elizabeth Hurley en roue libre, s'impose comme un insolent poêle à chauffer, glaçon sur le sein et regard salace à l'appui. Ayant du mal à jongler avec les deux histoires, Bigelow délaisse les tourments du présent sur une trop grosse part et ne parvient pas à susciter une réelle empathie pour la photographe et son torturé de mari. Certaines relations s'avèrent même décoratives (Josh Lucas en frère jaloux à guère le temps de s'imposer) quand elles ne sont pas avortées, comme cette « possible mais pas vraiment » relation naissante entre la mariée et son beau-frère. Le dernier acte, un peu précipité par l'excuse d'une catastrophe maritime, accélère dès lors les résolutions avec une certaine gaucherie et plonge les mains dans le montage parallèle grossier, provoquant un sursaut de spectaculaire trop tardif pour convaincre.

Reste qu'il subsiste dans son ensemble une sensibilité nouvelle qui éclot chez la réalisatrice, dégageant des séquences les plus dérangeantes une poésie macabre proche de Jane Campion. Brillante formaliste, Bigelow signe ça et là quelques plans mirifiques et gère comme pas deux l'aspect sensoriel de ses séquences d'action. C'est bien peu pour faire de ce Poids de l'eau un film indispensable, mais c'est toujours mieux que le néant artistique intégral.

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