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Compte tes blessures : La critique meurtrie

Par Christophe Foltzer
25 janvier 2017
MAJ : 26 octobre 2018
4 commentaires

Ceux qui pensent que le cinéma français est perdu feraient bien de réviser leur jugement. Il bouge encore, en souterrain, il va très bien. Et il est particulièrement énervé.

Compte tes blessures : Affiche officielle

Vincent n’a pas une vie facile à 24 ans. Sa mère est morte, la communication avec son père est difficile et le jeune homme n’a que peu de moyens d’exprimer ses sentiments, sa colère et sa frustration ailleurs que dans le tatouage et son groupe de hardcore. L’arrivée d’une nouvelle femme dans la vie de son paternel va considérablement bouger les choses et réveiller les vieux démons de chacun.

Alors oui, on sait ce que vous vous dites, une histoire comme ça, on l’a déjà vu mille fois. Et vous n’aurez pas tort. Par contre, ce qui est sûr, c’est que vous ne l’avez jamais vu comme ça. Sans chichis de mise en scène et autres effets esthétisants qui n’ont pas d’autre but que d’épater la galerie, le jeune réalisateur Morgan Simon emballe un premier film exemplaire, marquant et extrêmement fort. Un de ces films qui ne cache rien et exige une ouverture totale de son public, qu’il travaillera encore longtemps à l’issue de la projection. Car oui, Compte tes blessures est l’un de ces films qui va vous hanter pendant de longs mois. Là où on craignait se retrouver face à un délire à la Xavier Dolan, nous sommes plus sur les rives d’un Jacques Audiard, dans l’âpreté de son exécution, la justesse de son émotion et le manque total de frilosité de son propos.

 

Photo Compte tes blessures

 

Je suis ton père.

Pourtant, dans une lecture premier degré, Compte tes blessures ne semble rien apporter d’exceptionnel. Le parcours de Vincent est somme toute plutôt classique et le canevas de l’histoire ressemble à pas mal d’autres premiers films. C’est bel et bien dans le fond qu’il traite que le film se démarque et que le réalisateur fait preuve d’une maturité qu’on n’attendait pas forcément. 

Tout dans Compte tes blessures se tient, du début à la fin. Une forme dépouillée mais extrêmement travaillée qui n’est là que pour servir son fond juste et perturbant. Il n’est en effet pas ici question d’une dénonciation sociale ou d’un récit autobiographique replié sur lui-même mais bien d’une exploration impitoyable dans les ténèbres de la société moderne et de sa jeunesse à la dérive. Toujours traité avec sincérité et beaucoup de finesse, le film nous présente un homo modernus brisé, qui ne sait plus qui il est, cabossé par la vie dont les codes sont sans cesse en mouvement, plongé dans un courant qui lui échappe.

 

Photo Compte tes blessures

 

Le film traite sans embages de deuil, d’amour, de désespoir, de trauma et d’impossible reconstruction. A travers Vincent, c’est le portrait d’un jeune homme qui se bat pour exister alors même que son père semble avoir baissé les bras. L’apparition d’une femme remet évidemment tout en cause et nous entraine doucement, mais sûrement, au plus profond du schéma pervers qui lie les deux hommes.

 

Tu quoque mi fili.

Car c’est bel et bien à un combat entre un père et son fils que nous assistons, avec la femme comme enjeu. Il est moins question d’accomplissement de soi et de passage à l’âge adulte que de la démonstration terrible et implacable d’une rivalité à rebours entre entre eux, symbole d’un Oedipe mal digéré des deux côtés. Chacun se nourrit des blessures de l’autre, en joue, en crée des nouvelles, pour exister. Et pour Vincent, qui cherche avant tout à s’affirmer tout en réclamant l’amour d’un père qui lui refuse une telle distinction parce qu’en concurrence avec la terre entière, perdu dans sa douleur et sa frustration, dans ses complexes aussi, il sera moins question d’un retour vers la lumière que d’une mise à mort de la figure du père, quels que soient les moyens.

 

Photo Compte tes blessures

 

Un récit terrible, profond et intelligent qui donne le vertige à l’occasion d’une conclusion hallucinante, preuve supplémentaire du grand talent de son auteur. Sans révéler quoi que ce soit, disons simplement que là où d’autres jeunes metteurs en scène auraient botté en touche, pas encore suffisamment solides pour aller au bout de leur sujet, Morgan Simon y plonge plutôt deux fois qu’une, faisant preuve d’une audace incroyable et indispensable pour la cohérence de son film.

 

Evidemment, tout ceci serait impossible sans une galerie de comédiens totalement investis dans leurs rôles. Et c’est exactement ce que le film nous propose. Kevin AzaIs bien entendu, étoile montante du cinéma français, parfait de bout en bout, écorché vif toujours juste qui n’est jamais dans la surenchère dramatique qui menaçait son personnage. Monia Chokri, toute aussi vulnérable qu’un brin perverse et perdue dans sa vie et qui prouve qu’elle est définitivement une très bonne comédienne une fois sortie de chez Xavier Dolan. Mais c’est bel et bien Nathan Willcocks qui retient toute notre attention dans le rôle du père. Charismatique en diable, imposant et tout à la fois inquiétant et émouvant dans ce personnage broyé par la perte de sa femme et qui essaye d’échapper à ses démons sans pour autant les maitriser, Intense et totalement investi dans son rôle, il dévore toutes les scènes où il apparait de sa simple présence et assume à lui seul toute la complexité de l’histoire.

 

Photo Compte tes blessures

 

Rédacteurs :
Résumé

Vous l'aurez compris, Compte tes blessures n'est pas un premier film comme les autres. Il prend aux tripes, au coeur et au reste, nous embarque dans une descente aux enfers étouffante et bouleversante comme on n'en voit pas tous les jours. Le mérite en revient à une équipe totalement investie dans le projet, à un réalisateur assurément promis à un très brillant avenir et que nous nous ferons une joie de suivre dans ses prochains films. Compte tes blessures est à voir en salles toutes affaires cessantes, un film comme ça n'arrive pas tous les jours. Et, pour être tout à fait honnêtes avec vous, nous ne sommes pas passés loin du chef-d'oeuvre.

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Gypaète

Quelle déception ce film! L’avis de Christophe Foltzer me laisse pantois. Dithyrambique, c’est toujours possible pour un coup de coeur, mais sans un once de critique sur un tel film… et carrément en bouquet final « pas loin du chef d’oeuvre »!!

Difficile de ne pas raconter pour ceux qui voudront se faire une idée bienvenue par eux-mêmes…
Le film met effectivement en tension, le sujet n’est pas original mais sensible, les acteurs sont justes mais a du mal à surprendre, à faire un pas de côté sur le chemin tout tracé du combat père-fils. Mais surtout, c’est à mon sens la cata quand on arrive proche du dénouement. Là pour moi il y a un basculement total du film où on arrive plus du tout à y croire. Le fils raillé, « maltraité » par son père tout puissant tout le film, le rejoint dans son lit, à côté de la copine du père. Et la c’est l’apotéose jusqu’à la fin, qui heureusement arrive vite. Dommage. Il y a des jolis moments dans ce film et de bons acteurs.

Rose

je viens de voir le film ..c’est une merveille , fort , angoissant , stressant et triste à la fois
supers acteurs et une mise en scène hors du commun ,
Nous ne tombons pas dans le cliché , ni dans la guimauve
Il existe des réalisateurs qui arrivent à créer des films puissants avec beaucoup de simplicité , aussi bien dans le décor , le dialogue et la mise en scène comme celui- ci
On en sort émus et écorchés.
A voir

Christophe Foltzer

Ouais, y a intérêt hein !

Euh!

Bon bah allez!
Toutes affaires cessantes, je prend mon aprèm et je me fais un ciné ahah!