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Paris la blanche : Critique métropolitaine

Par Christophe Foltzer
27 mars 2017
MAJ : 19 janvier 2019
4 commentaires

A l’heure où la moindre comédie française pourrie remplit les salles sans que l’on sache trop pourquoi, il n’est pas urgent mais vital de se rappeler qu’un autre cinéma hexagonal existe, et qu’il est particulièrement passionnant. Paris la blanche en est d’ailleurs un excellent représentant.

Affiche officielle

Depuis le temps qu’on le dit, ce serait bien que les gens commencent à nous croire : il existe un nouveau cinéma français émergent, porté par une jeune génération de réalisateurs qui ont les crocs et qui, contrairement à leurs prédécesseurs, n’ont pas peur de se confronter à l’objet film et de faire du vrai cinéma. Un mouvement qui semble s’impulser de lui-même, par la force des choses pourrait-on dire, en marge du système classique et mainstream et qui nous prouve, une nouvelle fois, que si l’on n’a pas de pétrole, on a des idées. Et du talent à revendre aussi. Beaucoup.

Paris la blanche nous entraine donc dans le périple de Rekia, septuagénaire algérienne qui n’a jamais quitté son pays, qui se met en tête de gagner la capitale française pour y retrouver Nour, son mari qu’elle n’a pas vu depuis de nombreuses années, parti comme beaucoup d’autres pour y trouver du travail avec la promesse d’un avenir lumineux. Extra-terrestre dans une cité grise et foisonnante, Rekia va rencontrer différents personnages, laissés pour compte ou non, qui vont nous faire découvrir un Paris que l’on soupçonne tout en refusant de le voir, à nos pieds, en bas de chez nous, avant de comprendre que l’homme qu’elle aimait n’est peut-être plus le même.

 

Photo Paris la Blanche

 

PARIS LA BELLE

Un résumé on ne peut plus schématique et difficile, qui ne rend absolument pas justice au film, dans la mesure où Paris la blanche ne se raconte pas vraiment. Comme souvent dans ce genre de cas, Paris la blanche est avant tout une très belle histoire humaine. On pourrait penser que le métrage reprend les mécaniques d’un scénario classique (en gros, l’étranger qui arrive dans une culture qu’il ne connait pas et qui, par sa simple présence, met en lumière toutes les contradictions) or il n’en est rien. Le grand mérite de la réalisatrice Lidia Terki réside dans le choix très intelligent de toujours rester collée à ses personnages et de ne jamais tomber dans la facilité de la dénonciation politique ou revendicatrice d’une société trop malade d’elle-même. Bien sûr, ces thématiques sont là, sous-jacentes, omniprésentes, un constat terrible qui ne vire heureusement jamais au pensum manichéen (la mauvaise société contre les bons gens). Ce propos de fond sert avant tout à créer le cadre du film, l’univers et se retrouve bien vite renversé puisque Paris la blanche choisit avec énormément de justesse de nous montrer le côté lumineux de nos zones d’ombres.

 

Photo Paris la Blanche

 

Oui, il est question de pauvreté, de libéralisme dévorant, d’immigration, de conditions de vie dures, mais il est aussi question d’entraide, de rêves difficiles à briser, de personnes différentes en apparence mais motivées par les mêmes sentiments, envies et besoins. Quelles que soient leurs couleurs, leurs langues ou leurs cultures, les personnages que croisent Rekia nous rappellent qu’au fond nous sommes tous les mêmes sans jamais tomber dans la bienpensance que d’autres n’auraient pas pris la peine d’éviter pour asséner leur message à coup de bulldozer.

 

PARIS LA VRAIE

Car c’est là l’une des grandes forces du film : l’absence de discours formaté. Les différents portraits présentés polarisent ce qu’ils ont de meilleur autour de la quête de Rekia, là où les rêves se terminent et la force de vie et le besoin impératif de continuer ce chemin prennent le dessus. Un tel projet ne pourrait tenir deux secondes sans les comédiens adéquats et, là encore, Paris la blanche tombe dans le juste, dans le vrai. Tassadit Mandi est phénoménale dans le rôle de Rekia, entourée par les non moins excellentes Marie Denarnaud et Karole Rocher, de passage dans le film mais tellement importantes dans l’histoire. Et Zahir Bouzerar, dans le rôle complexe et torturé de Nour, emporte également l’adhésion en composant un homme brisé, effacé, qui a perdu de vue son soleil et nous émeut lors d’une dernière partie qui serre la gorge.

 

Photo Paris la Blanche

 

La forme du film, elle aussi, ne cherche pas à bluffer ou à nous en mettre plein la vue. Encore une fois, ce n’est pas le propos, ni l’intention. Nous sommes dans un réalisme doucement rêvé, à la frontière du Paris d’en bas fantasmatique et de la ville brute et, à l’image de ses thématiques, jamais Lidia Terki ne s’attarde sur des détails ostentatoires et dénonciateurs. Nous ne sommes pas dans la posture, nous sommes dans la fable, la quête, le conte pour adultes, ancré dans un contexte bien réel pour le coup, dans cette recherche de magie du quotidien en dépit des nombreuses épreuves et désillusions de l’existence. Et cela fait du bien tout autant que cela nous touche droit au coeur. En effet, plus le film avance et plus nous sentons que nous n’en sortirons pas indemnes. Et à l’occasion d’un dernier acte bouleversant de simplicité mais tellement vrai dans ce qu’il raconte et ce qu’il transmet comme émotions et sentiments, le constat est établi : Paris la blanche est un grand film humaniste.

 

Photo Paris la Blanche

 

On pourrait  discuter encore longtemps de Paris la blanche alors qu’il n’y a qu’une chose à faire : aller le voir. Pour soutenir cette nouvelle génération de cinéastes, pour défendre le cinéma français tel qu’on l’aime, pour nous aussi, dans ces moments où notre pays s’engage dans une voie bien sombre. Rien de mieux que de belles oeuvres intelligentes et sensibles pour nous servir de phare dans la nuit. Paris la blanche est de ce bois-là, et c’en est même un des plus éclatants représentants.

Rédacteurs :
Résumé

Paris la blanche émeut, fait réfléchir, nous met face à nos contradictions et nous questionne sur notre humanité sans pour autant jamais nous asséner son message avec lourdeur. Riche, sensible, profondément humain et beau (tout simplement), Paris la blanche marque la naissance d'une réalisatrice dont on a hâte de découvrir la suite et nous rappelle l'existence d'un vrai cinéma français, intelligent et passionnant. Une nouvelle belle lueur d'espoir au milieu de tout ce marasme dominé par Dany Boon et consorts. Fort, beau et vrai. Chapeau.

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Beub

Très belle analyse. Rien a ajouté. Oui actrice magnifique. Mais monde de merde

philmencre

Merci. Vraiment, évidemment c’est loin d’être la première fois qu’à EL vous mettez un article tourné vers ce type de cinéma, mais ça fait du bien de voir que vous existez aussi pour ce cinéma là. Merci encore.
@Ded : absolument ça. En plus je ne peux m’empêcher d’entendre « Pigalle la Blanche » de Lavillier…

Ded

Merci pour l’initiative en elle-même et pour ce bel article ! Jouant sur le double sens par mixité des mots, le titre est une contraction hautement symbolique entre ce « Paris », porteur d’espoir pour une vie meilleure et « Alger la blanche » d’où Nour, comme tant d’autres, se sont déracinés. Intelligent et prometteur !…

postman

Mais sinon, ça pète ?