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Le Redoutable : critique à bout de souffle

Par Simon Riaux
13 novembre 2017
MAJ : 15 septembre 2022
3 commentaires

Symbole d’une époque, génie créatif et sujet infini de discordes, le mythe Godard, désormais entretenu par les seuls cinéphiles de l’extrême est le personnage central du Redoutable. Etripé par la bande à part des Godardeux et reçu poliment par les autres, Michel Hazanavicius retrouve ici la verve de ses OSS et de The Artist.

Affiche

LA CLASSE GODARDIENNE

Présenté à Cannes en compétition officielle, au cœur d’une manifestation elle-même durablement marquée par Godard, Le Redoutable a fait figure de pied de nez sacrilège. Il faut dire qu’en se penchant avec la malice qui le caractérise sur une période charnière de la carrière et de la vie de Jean-Luc GodardMichel Hazanavicius prenait le risque de désintéresser le grand public conquis avec les OSS tout en s’attirant les foudres des gardiens d’un temple depuis longtemps déserté.

Cinéaste majeur, grand créateur et libérateur de formes, intellectuel engagé parfois jusqu’à sa propre caricature, artiste clivant, passionnant et paradoxal à peu près totalement oublié des spectateurs, JLG devient donc le personnage principal d’une comédie inattendue et monstrueusement casse-gueule. Car là où beaucoup auront voulu voir un avilissement ou une attaque hominem contre le cinéaste, on est tenté de voir un projet tout autre, à rapprocher des comédies qui ont fait sa renommée.

 

 

Photo Louis GarrelLouis Garrel, totalement surréaliste en Jean-Luc Godard

 

Avec un fétichisme peut-être encore plus poussé qu’un Tarantino, Hazanavicius s’est toujours efforcé d’user d’identités remarquables du 7ème Art, de les réinvestir pour en changer le sens, et questionner leurs systèmes de valeurs. OSS 117 n’était pas seulement un pastiche de cinéma d’espionnage, mais une remise à plat d’un certain âge d’or politique et culturel, et La Classe américaine interrogeait déjà avec fougue la stature des légendes dont il piratait les performances.

Il en va de même pour Le Redoutable. Il ne fait aucun doute que le réalisateur admire profondément Godard. Et s’il s’amuse à pointer les faux pas ou affèteries de cet homme tour à tour précieux et ridicule, ce n’est pas tant pour l’attaquer ou diminuer son aura  – inexistante pour les uns, intouchable pour les autres – qu’en faire le prisme de son temps et l’incarnation d’une figure qu’il convient d’interroger, celle de l’intellectuel engagé.

 

Photo Louis Garrel68 ou le tournant idéologique de Godard

 

LES BOULES DE JEAN-LUC

Le Redoutable ressemble par endroits à une suite de vignettes, un improbable film à sketch enchaînant les roulades. Si elles sont toutes exécutées avec une révérence maniaque envers l’œuvre Godardienne (la quantité de clins d’œil et d’hommage est renversante), elles peuvent apparaître vaines à qui ne se concentrera que sur le parcours du protagoniste principal.

Car Michel Hazanavicius ne cherche absolument pas le biopic, pas plus qu’il n’entend à faire de son anti-héros un être traversé de véritables enjeux dramatiques. À la manière de Jean Dujardin, il use de Louis Garrel comme d’un effet spécial permanent, une matière plastique, bouffonne, moulin à absurdité d’une précision métronimique, ressort comique inusable, qui passe au lance-flamme non pas un Godard que le film aime (vachement) mais bien une conception de l’intellectuel médiatique dont il est dit qu’elle est vouée à assécher l’artiste et appauvrir la réflexion.

 

Photo Stacy MartinStacey Martin dans le rôle d’Anne Wiazemsky, dont l’autobiographie inspire le film

 

Dès lors, rien d’étonnant à ce que la chose puisse agacer. Débordante d’amour et de malice, cette fantaisie se moque éperdument des statues des commandeurs et de leurs distinctions. Plus grave, en dézinguant les atermoiements d’un artiste (toujours représenté sincèrement dans ses doutes et questionnements), elle nous donne à voir en quoi la seconde moitié du XXème siècle aura sacrifié ses auteurs sur l’autel du slogan, consacré trop vite des pensées, validé des mouvements sans s’enquérir de leur destination. En perçant les égos gonflés, en ripolinant une certaine bourgeoisie mondaine de pommade à l’acide, Michel Hazanavicius s’attaque à un système moins moribond que la France de René Coty, qui l’attendait logiquement au tournant.

Souvent totalement méta dans son humour, écrit avec intelligence et acidité – le dialogue sur l’utilité de la nudité au cinéma est absolument délirant – Le Redoutable est un catalogue des idées, trouvailles et disruptions de Godard, autant qu’un réquisitoire contre le tournant intellectuel d’une époque, et des rejetons informes qu’elle a engendrés.

Le film va-t-il assez loin ? Ne pouvait-il être encore plus ouvertement farcesque ? Louis Garrel n’avait-il pas intérêt à se jeter encore plus à corps perdu dans un comique clownesque déréalisé ? Sans doute, mais il faudra une sacrée mauvaise foi pour ne pas trouver dans cette déclaration d’amour à un cinéaste et à son médium autre chose qu’un bonheur ludique et cinéphile d’une rare élégance.

 

Affiche

Rédacteurs :
Résumé

Il fallait un cinéaste fétichiste et mordant tel que Michel Hazanavicius pour rendre cet hommage dément à un géant du cinéma, tour à tour précieux et ridicule, sans oublier de rincer à l'acide le mythe de l'intellectuel engagé et ses colifichets.

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thierry A

On va me jeter des pierres, mais bon…
J’ai pas encore lu l’article, mais comme je le disais des semaines avant la sortie du film : du gaspillage.
Pourtant, oui, le film est réussi, souvent drôle et mordant, en effet. ( haaa, cette dispute dans la voiture !)
La reconstitution est belle (perso, j’aurais ajouté un peu plus de grain à l’image),
C’est très travaillé au premier plan, comme à l’arrière-plan.
Les acteurs sont très bons et Haza sait filmer, sait cadrer, et surtout sait pourquoi il filme et pourquoi il cadre, des réals comme ça on en a peu.
Bref, c’est du bon boulot, bravo Haza !
Seulement voilà; qui la vie de Godard peut bien intéresser ? et surtout à ce prix.
Fallait-il dépenser 12 barres pour raconter le bout de vie d’un personnage dont la plupart des gens se foutent, voire détestent, pour certain ?
Pour amortir ce film en salle, il aurait fallu 2 millions d’entrées et il en a fait 200000 ! (en gros)
Alors, je veux bien louer les talents investis dans le projet, mais dépenser autant juste pour intéresser les critiques, les cinéphiles et quelques autres…tout en le sachant par avance, la politique de l’auteur made in France et un peu amère a avaler.
On pourra me dire qu’il s’amortira avec le temps et les supports, et que le plus important soit qu’il existe.
Attention, je ne veux surtout pas insinuer qu’il ne faut tourner que des sujets ultra « commerciaux » (et encore, rien n’est acquis d’avance), je veux juste dire que chaque sujet a un potentiel, et donc un juste coût en rapport avec l’intérêt qu’il peut susciter.
Ou alors, dépensons des centaines de millions pour filmer un escargot, ça serait surement passionnant… et finira bien par s’amortir… un jour.

J’espère qu’après ces deux bides prévisibles, Haza va clôturer sa période auteurisante pour renouer avec un cinéma plus populaire de divertissement (c’est pas un gros mot) de qualité qu’il sait très bien faire.

Le cinéma français en a vraiment besoin, reviens Haza !

Bubble Ghost

Un film amusant et presque toujours classieux, où J L G perd ses lunettes…

Dirty Harry

Adulant le Godard pré-Chinoise (après j’aime surtout le Godard sabotant les plateaux TV par ses interventions laconiques mais cinglantes) j’ai surtout hate de la performance de Garrel, plus que des jeux graphiques jouant du clin d’oeil avec les effets de style du cineaste.