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Adagio : critique du polar qui enflamme Rome sur Netflix

Par Ange Beuque
3 juin 2024
MAJ : 21 juillet 2024
11 commentaires

Tous les chemins reviennent à Rome pour Stefano Sollima : après une parenthèse hollywoodienne nullement déshonorante (Sicario : La Guerre des cartels, Sans aucun remords), il clôt sa trilogie italienne en auscultant une fois de plus les maux qui rongent la ville éternelle. Son chouchou Pierfrancesco Favino, déjà mobilisé dans A.C.A.B.: All Cops Are Bastards et Suburra, est fidèle au poste, épaulé par Toni Servillo, Adriano Giannini et Gianmarco Franchini. Alors oui, avec sa sortie sans grand tapage sur Netflix au beau milieu d’un mois de mai infernal, on est passé à côté de Adagio, mais on a quand même tenu à le rattraper pour s’assurer que le réalisateur n’avait rien perdu de sa force.

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La zone de confort

Si c’est du côté de Venise qu’il a eu les honneurs d’une première, apparaissant en compétition à la Mostra 2023 avant son arrivée discrète sur Netflix, c’est bien de Rome que Adagio est indissociable. Réalisateur et co-scénariste (avec Stefano Bises), Stefano Sollima retrouve en sa ville natale une certaine zone de confort artistique.

Tout au long de sa filmographie, et ce dès la série Romanzo Criminale qui l’a révélé, il n’a eu de cesse de l’arpenter de long en large. Et s’il s’aventure parfois, en s’attachant aux pas de puissants corrompus, jusqu’aux colonnades de la place Saint-Pierre, il en explore plus volontiers les bas-fonds et les tractations interlopes. Car contrairement à son contemporain Paolo Sorrentino, quand il contemple la ville éternelle, Sollima en voit moins La Grande Bellezza (aussi avec Toni Servillo) que la face sombre, le négatif des cartes postales.

Rome est un loup pour Rome

Cette nouvelle topographie du crime romain rassemble tous les marqueurs de sa filmographie italienne : les flics véreux (comme dans A.C.A.B.: All Cops Are Bastards, son premier long-métrage), la corruption qui ronge toutes les strates de la société, la vie nocturne propice aux magouilles, les jeux de pouvoir, les règlements de compte… Et, au milieu, des êtres qui tentent de se frayer un chemin entre les mailles ou cherchent à devenir le plus gros caïd du bac à sable.

Évidemment, son acteur fétiche Francesco Favino répond présent, en dépit d’un emploi du temps bien chargé : en plus de multiplier les rôles et apparitions, il était membre du jury qui vient d’attribuer la palme cannoise à Anora et passera bientôt une tête en tant qu’abbé Faria dans l’attendu Comte de Monte Cristo.

On l’avait quitté dans Suburra en politicard sans scrupule aspiré par une fuite en avant mortifère, on le retrouve relooké façon skinhead en chimiothérapie, épatant de vulnérabilité rentrée. Et puisque le prénom de son personnage, Romeo, est constamment raccourci en « Rome », difficile de ne pas voir en lui le symbole d’Adagio.

Néron Démon

Un polar contemplatif

L’expérience accumulée par Stefano Sollima, y compris comme réalisateur pour l’excellente série Gomorra, lui confère une maîtrise évidente du polar. Il propose ici, avec son directeur de la photographie Paolo Carnera, des compositions nocturnes somptueuses, au risque de faire paraître les scènes diurnes bien moins mémorables.

Le contraste de la ville acculée par les flammes, outre sa magnificence, ouvre sur un réseau de sens basique, mais efficace. Les entredéchirements des personnages sont circonscrits à ce petit (amphi)théâtre de l’absurde, tandis que les coupures de courant régulières renforcent l’idée d’une civilisation dont les artifices vitaux ne tiennent qu’à un fil (électrique).

Au père le western spaghetti, au fils le western urbain

Le premier intérieur d’Adagio fait écho au plan de la cité cernée par l’incendie, encapsulant le père dans un centre de gravité lumineux que les ombres circonscrivent, et qu’un nouveau caprice du générateur se chargera d’engloutir. Esthétiquement, l’arrivée sur Netflix ne semble donc pas avoir pénalisé les ambitions de Sollima : on regrettera toutefois de ne pouvoir en profiter sur grand écran… Car ce raffinement ne constitue pas qu’un joli écrin, mais participe de la démarche du film.

Son titre, qui désigne à l’origine une indication de mouvement « à l’aise » (ad agio), comprise entre le lento et l’andante (« en marchant »), est programmatique : le réalisateur assume de prendre son temps. Il déroule une intrigue en forme de jeu du chat et de la souris finalement assez simple, et impose un rythme contemplatif qui risque d’en laisser certains sur le bord du périphérique. La mécanique sourde de destruction mutuelle, déjà à l’œuvre dans ses travaux précédents, est toujours active, mais c’est comme si ses rouages grippés par l’usure avaient ralenti.

De Bach à nos jours

Le risque contourné de la redite

De la même manière que le plus célèbre des adagios, dit « d’Albinoni », constitue en réalité un pastiche que l’on doit au musicologue du XXe siècle Remo Giazotto, le danger pour Sollima était de disparaître derrière ses traits caractéristiques. Il a déjà tant battu le pavé romain qu’il courrait le risque de sombrer dans la redite d’une recette trop familière.

Le réalisateur évite ce travers en déplaçant habilement le centre de gravité de son récit : au-delà de la peinture attendue des corruptions de la société, ce sont les vulnérabilités de ses personnages qui en forment le cœur. La vieillesse, la maladie, la dégénérescence font planer sur chacun une menace plus implacable encore que la mafia, rendant futiles jusqu’aux plus cuisantes rancœurs.

Sunshine Boulevard

En jeu : la question de la transmission, parfois souhaitée, souvent subie. Dans Suburra déjà, le suicide d’un père condamnait son fils à se coltiner sa créance… et ses usuriers vénères. Cette fois, le paternel n’est pas mort, mais absent à lui-même (impeccable Toni Servillo). Cette interrogation lancinante, charriée tant par l’incendie que par les dettes intergénérationnelles, draine tout le film : quel avenir et quelles possibilités laisserons-nous à nos enfants ?

Mais cette vulnérabilité intrinsèque fait aussi ressortir l’humanité de ses protagonistes. S’il est difficile, dans certaines œuvres de Sollima, d’éprouver une franche compassion pour quiconque, la situation du jeune Vasco (Gianmarco Franchini) éveille d’emblée la sympathie. Pris au piège, il sert d’ancrage assez évident.

Et le miracle opère : ces individus si habitués à rivaliser de rouerie ou de veulerie se révèlent soudain capables de se rapprocher de manière désintéressée. Une main tendue, une discussion impromptue adossé à la pile d’un pont, un don spontané permettent alors de (re)créer des liens inattendus, filiaux, paternels ou amicaux. Sic itur ad astra !

Adagio est disponible sur Netflix depuis le 14 mai

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Résumé

Patient, privilégiant le martèlement profond aux éclats superficiels, et exhalant in fine une puissante mélancolie existentielle : Stefano Sollima compose ici un Adagio en majeur.

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Teemo1977

Et la critique d’un petit truc en plus, c’est pour quand?

Sess

Complètement raté et soporifique.

Jadorossi

J’oubliais de souligner la tétanisante métamorphose de l’acteur Pierfrancesco Favino (Le Traître, Dernière nuit à Milan, Nostalgia)

Jadorossi

Bien au-delà des frontières du polar un très grand film sur la fin de notre monde. Comme toujours chez Sollima la maladie ronge et condamne.

EUh

Tellement méconnu et sous-estimé, Sollima est l’un des grands réalisateurs actuels. Toutes ses créations devraient être vues sur grand écran pour mieux en apprécier l’ampleur et la force.
Vous ne faites pas référence à ce qui est peut-être son chef d’oeuvre, la mini série Zero zero zero, ce qui s’est fait de mieux en série ces dernières années.

ozymandias

Ah cool je me demandais s’il valait le coup justement !