« JE », SET ET MATCH
Sur l’affiche, elle crie. En réalité, elle se tait. Pourtant, a priori, Julie a tout pour elle. Des parents, des amis et un avenir tout tracé grâce au tennis. Grand espoir d’un club prestigieux dont elle est la meilleure élève, elle semble destinée à une grande carrière, en partie grâce à un entraîneur réputé qui l’accompagne. Sauf qu’il se passe quelque chose dans son club. Et alors qu’une enquête est ouverte, et que tout le monde panique, s’interroge et veut en parler, Julie dit qu’elle n’a rien à dire.
C’est évidemment faux, et tout le film va le raconter. Mais la véritable question ne sera pas de savoir ce qui s’est passé exactement. La quasi-évidence est vite confirmée, et ce n’est pas le vrai sujet. Julie se tait a beau être un film cocotte-minute, où quelque chose semble souvent sur le point d’exploser, le scénario signé Leonardo Van Dijl et Ruth Becquart (qui incarne également la mère de Julie) a l’intelligence de ne pas exploiter ce sujet pour en tirer un vulgaire suspense. Et c’est ce qui lui permet de raconter une histoire bien plus intéressante et précieuse.
TEMPS MORT
Julie se tait parle d’une chose souvent négligée dans les discours sur l’importance de libérer la parole des victimes, parfois réduits à des phrases toutes faites bien pratiques : le temps. Le temps qu’il faut prendre, qu’il faut laisser, qu’il faut accepter. Et celui qu’il ne faut pas imposer simplement pour les apparences et les agendas.
Le film fonctionne ainsi à rebours, ou presque. Avant d’arriver à la parole et la libération, il faut passer par le silence et le vide. Donc le réalisateur Leonardo Van Dijl prend justement le temps de suivre son héroïne revivre. Les entraînements, les amis et les pauses se succèdent, recréant une bulle de presque normalité où Julie peut se reconstruire à son rythme. Un cri par ci, un rire par là, et elle se réactive peu à peu en tant qu’adolescente, avant d’être « la victime » ou « la témoin ».
Ces étapes, le réalisateur les filme un peu comme les rouages d’une machine qui se remet en marche (cette scène hypnotisante où les joueurs et joueuses défilent en boucle pour renvoyer la balle hors-champ). De quoi laisser au public le temps, là encore, de capter tous les signaux invisibles, et surtout de comprendre qui est Julie.
LA BALLE EST DANS LEUR CAMP
Il y avait mille manières d’aborder un tel sujet et Julie se tait a choisi l’une des plus belles : en faisant un pas de côté. Même la scène saisissante de la confrontation entre l’adolescente et l’entraîneur en est un bon exemple, où tout est pesé pour raconter le maximum avec le minimum : la distance de la caméra, le déséquilibre entre les mots des deux côtés, les silences comme langage, et les tremblements presque imperceptibles de Julie, incarnée par l’excellente Tessa Van den Broeck.
Julie se tait évite d’exploiter bêtement et salement ce cheminement vers le témoignage. En déplaçant le centre de l’attention vers les autres (la parole de l’entraîneur plutôt que celle de l’adolescente, l’écoute des parents plutôt que l’action de leur fille), le scénario raconte intelligemment le poids qui pèse sur les épaules des mauvaises personnes, chargées de devenir la solution à un problème dont elles sont les premières victimes. Une manière subtile de dire que la véritable charge devrait être portée par les adultes et pas les mineurs, qu’importe le rôle salvateur qu’on veut leur confier.
Et si le film réussit si brillamment à montrer tout ça, c’est parce que jamais il n’étale son discours. Celui-ci se construit au fil de séquences faussement anodines et non démonstratives, notamment les interactions avec ce nouvel entraîneur, quand Julie et lui cherchent en silence la bonne distance.
Jusqu’à la toute fin, et son parti pris fort, Julie se tait prend soin de suivre le tempo de son héroïne, sans forcer les mots ni les actions. De quoi placer le public au bon endroit, et soulever les questions les plus importantes de la meilleure des manières.