COPIE DE COPIE
Ces dernières années, les sagas épiques se multiplient dans toutes les industries cinématographiques indiennes. Depuis le triomphe historique des Baahubali de S. S. Rajamouli et des K.G.F de Prashanth Neel, tout le monde veut recréer la même recette. Rien que cette année, on a pu voir des projets comme Kalki 2898 AD ou encore Devara – Part 1, des projets très coûteux qui tentent de copier une formule magique tout en préparant à un deuxième opus plus spectaculaire, avec des résultats intéressants bien qu’imparfaits.
C’est dans la droite lignée de ces projets récents que semble s’inscrire Kanguva du réalisateur tamoul Siva. Pensé comme un événement majeur de l’année indienne, le blockbuster mettant en scène Suriya mélange science-fiction et fantasy dans un récit-fleuve voulant poser les bases d’une nouvelle franchise. Et sur le papier, le long-métrage pourrait ressembler à un bon élève qui coche toutes les cases de ses modèles.
Dans ses défauts, Kanguva ressemble énormément à Kalki 2898 AD et Devara – Part 1. On y retrouve un premier acte laborieux, des séquences comiques qui ne fonctionnent jamais, un personnage féminin réduit à n’être qu’un intérêt romantique aussi mal écrit que superficiel. Comme pour les deux films précédents, le long-métrage de Siva étire également sa narration bien plus que nécessaire dans le but de justifier un dernier twist permettant d’annoncer une suite.
Mais la véritable inspiration de Siva est évidemment à chercher du côté de La légende de Baahubali. Il recopie soigneusement l’idée de découper sa narration entre deux époques dans ce qui devient au final une histoire de vengeance qui traverse les âges. Premier problème de taille, le cinéaste n’a pas un dixième du talent de S. S. Rajamouli. En livrant une première demi-heure qui fait partie de ce que le cinéma indien a fait de pire cette année, il nous désintéresse totalement de tout ce qui concerne l’histoire se déroulant au présent.
RECHERCHE RÉALISATEUR DÉSESPÉRÉMENT
S’il y a bien une leçon à tirer de Kanguva, c’est que les formules magiques n’existent pas au cinéma. Si le film partage les défauts des blockbusters tentant de copier une recette qui a fait ses preuves, il n’en retrouve malheureusement aucune qualité. Kalki 2898 AD et Devara – Part 1 étaient sauvés par des moments de bravoure mémorables, par des cinéastes compétents. À l’inverse, Kanguva prend l’eau spécifiquement à cause de son réalisateur.
Le style du cinéaste avait déjà montré ses limites sur ses plus gros projets, notamment Annaatthe qui gâchait totalement la présence du légendaire Rajinikanth. Mais avec Kanguva, Siva nous prouve de manière spectaculaire à quel point il est incapable de gérer un film à très gros budget. Sa mise en scène outrancière fait basculer le blockbuster vers des moments de pur nanar. Le montage et le découpage chaotiques viennent gâcher le plaisir des quelques séquences réussies et des rares plans inspirés.
Chaque parti pris artistique s’avère totalement incompréhensible. Difficile de ne pas plisser les yeux face à la colorimétrie agressive de nombreuses séquences, notamment toutes les images safranées mettant en scène l’antagoniste principal incarné par un Bobby Deol tristement peu utilisé. Les effets spéciaux font également peine à voir, d’autant plus pour un film qui ne peut pas se cacher derrière l’excuse d’un budget limité. Et si RRR a lancé la mode indienne des séquences d’action avec des animaux numériques, Kanguva est un véritable modèle à ne pas suivre avec ses crocodiles et ses requins ridicules.
Mais le plus gros défaut du film reste cependant son mixage audio. La musique terriblement envahissante est jouée à un volume insensé qui parvient même à couvrir des dialogues constamment criés. Le long-métrage devient ainsi une véritable agression des sens pour des spectateurs condamnés à quitter la salle de cinéma avec une migraine infernale.
SPECTACLE BARBARE
Au milieu de ce naufrage artistique, il y a pourtant des qualités qui sauvent en partie Kanguva bien qu’elles rendent son échec encore plus frustrant. À plusieurs reprises, on devine l’immense richesse de son univers et le potentiel d’une telle histoire. Difficile de nier la beauté de ses décors naturels. La direction artistique de la partie se déroulant au passé est également saisissante. Les différents clans sont bien caractérisés, l’univers brutal de fantasy est immersif. Et les innombrables figurants avaient de quoi rendre les batailles spectaculaires.
Autre frustration totale, le film pouvait compter sur un acteur principal exceptionnel. Capable de rendre le rôle de Rolex iconique dans Vikram malgré une présence à l’écran d’à peine trois minutes, Suriya s’investit corps et âme pour faire du guerrier Kanguva un héros inoubliable. Son charisme est indéniable, malheureusement le film ne lui rend pas justice. Le talent de l’acteur est même totalement gâché lorsqu’il incarne le chasseur de primes à l’époque présente.
La seule promesse que Kanguva tient réellement, c’est celle de nous offrir un spectacle violent et sans concession. L’univers barbare à la Conan nous réserve son lot de batailles sanglantes, de membres arrachés et de crânes brisés. Mais là encore, le montage survolté parvient à gâcher en partie le spectacle qui avait pourtant tout pour nous impressionner.
On retiendra au moins une bataille mettant en scène des guerrières intrépides, une des rares séquences qui semble se poser la question de comment iconiser l’action tout en la justifiant sur le plan dramatique. Un bien maigre lot de consolation pour un projet si prometteur. Loin d’être détestable comme le récent Singham Again, l’échec artistique de Kanguva laisse l’arrière-goût amer d’être une grande occasion manquée.