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La Nuit se traîne : critique d’une course-poursuite endiablée 

Par Antoine Desrues
28 août 2024
MAJ : 30 août 2024
15 commentaires

Repéré pour son court-métrage T’es morte Hélène, Michiel Blanchart signe avec La Nuit se traîne un premier long-métrage d’une impressionnante maîtrise technique. Avec l’humilité d’approche d’un exercice de style, le cinéaste belge dépasse la promesse d’une course-poursuite nocturne restreinte dans son unité de temps et de lieu. L’efficacité est indéniable, mais elle est toujours au service d’un sens du politique parfaitement imbriqué dans sa frénésie. En salles le 28 août.  

la nuit se traine critique © Canva Gaumont

La nuit lui appartient

Mady (Jonathan Feltre, immédiatement charmant) est étudiant le jour, et serrurier la nuit. En quelques minutes, Michiel Blanchart laisse entrevoir l’évidente bonhomie de son protagoniste fan de Petula Clark, résilient face à un quotidien qu’on devine difficile. Bonne poire, le jeune homme accepte un soir de dépanner une femme, mais la porte qu’il ouvre n’est pas la sienne. L’inconnue en profite pour voler un sac plein d’argent avant de s’enfuir, et Mady se retrouve malgré lui embarqué dans les affaires d’un gang mené par un certain Yannick (Romain Duris, génial et inquiétant). 

S’il ne retrouve pas la somme avant le lever du soleil, c’est lui qui passe à la casserole. Simple, carré, et surtout diablement efficace, La Nuit se traîne trouve dans son compte à rebours la source d’adrénaline idéale pour sa suite de péripéties, transformant pour l’occasion les rues de Bruxelles en labyrinthe envoûtant. Si un plan de drone choisit de retourner la ville sur elle-même pour la plonger dans une pure dimension de film de genre, Blanchart ne se complait pas dans cette note d’intention un peu facile.  

La nuit se traine romain duris Jonathan Feltre
Une offre qu’il ne va pas pouvoir refuser

Pour sûr, son premier long-métrage impressionne par son style, qui ne recule devant aucune prise de risque spectaculaire. Épaulé par le soutien de Gaumont à la production, La Nuit se traîne puise une véritable chorégraphie de ses courses-poursuites en voiture, et s’offre quelques jolis moments de bravoure à la caméra, comme ce plan-séquence qui suit Mady à vélo en train de s’engouffrer dans une station de métro.  

Pour autant, le réalisateur esquive le piège récurrent des premières œuvres et leur côté m’as-tu-vu qui catalogue leurs références et leurs prouesses. Blanchart assume ses inspirations (un peu de Fincher par-ci, pas mal du After Hours de Scorsese par-là), et les digère au mieux pour garder en ligne de mire la tension de son concept.  

Si ses effets les plus explicites reflètent une grisante ambition, la retenue globale de sa mise en scène est portée par une sobriété et une économie au service du rythme. En plus d’exploiter la topographie de ses décors avec beaucoup de soin, le film épure son montage au maximum, pour faire de chaque séquence un punch en attente du suivant.  

la nuit se traine
It was at this moment Jackson knew… he f****d up

Black Lives Run

On pourrait penser que ce sentiment d’urgence et de panique ferait figure de minimum syndical dans la plupart des thrillers de ce type. Mais la réussite de La Nuit se traîne souligne ce qui manque à moult de ses concurrents : l’empathie envers son personnage principal. Trop gentil mais lucide, Mady est soudainement contraint de réagir face à toute cette agitation qui lui tombe sur le coin de la gueule. Plus la situation est désespérée, plus sa manière d’être révèle sa véritable personnalité, et les conséquences de ses choix.  

Michiel Blanchart a d’ailleurs conscience que son récit dépend d’un pivot spécifique. Alors qu’il se sait piégé par cette histoire de banditisme, son héros a l’opportunité d’appeler la police. Mais il se retient, à la dernière minute, de peur du traitement qu’il pourrait subir en tant que Noir que tout accuse.  

À cela s’ajoute le contexte que le réalisateur choisit en arrière-plan de sa course-poursuite effrénée : une manifestation anti-raciste, en réponse à une bavure policière. Mady, jusque-là caché derrière les écrans de télévision ou les postes de radio qui relaient cette information, se voit propulsé dans cette réalité hyper-violente. On le voit venir, mais difficile de ne pas jubiler lorsque Blanchart convoque cette foule en colère au cœur de cette fuite en avant.

la nuit se traine
On le rappelle : la jeunesse emmerde le RN

Au-delà de renouveler la scénographie, la séquence voit Mady être emporté dans un flux, image d’une société qui a toujours déconsidéré et broyé cette jeunesse racisée. Le constat est d’autant plus dur quand on voit à quel point les rues de Bruxelles sont vides le reste du temps. Sans personne pour l’aider, le personnage est poussé à l’action, comme jamais auparavant.  

Dans les faits, cette bascule n’empêche pas un petit ventre mou à mi-parcours, aisément pardonné au vu de l’efficacité générale du scénario. Plutôt que d’appesantir son thriller d’un discours indigné sur un racisme systémique et cruel, Michiel Blanchart met cette brutalité en pratique dans cette nuit d’horreur, qui vaut mieux que mille mots.

Rédacteurs :
Résumé

La Nuit se traîne est l’exemple parfait du thriller ramassé et efficace, qui profite de sa course-poursuite ininterrompue pour y projeter ses inquiétudes politiques. Un coup d’essai encourageant pour Michiel Blanchart.

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Flash

Moi ce qui m’embête le plus c’est Duris, j’ai jamais aimé cet acteur.

Joey Joe Joe Jr Shabadoo

La critique du monde ne m’avait pas super emballé mais vous savez comment redonner envie (même si je vous trouve parfois un chouia trop gentils 😋). D’ailleurs c’est toujours dans votre politique de faire critiquer une oeuvre par le rédacteur l’ayant le plus appréciée ?

Force à l’équipe pour les commentaires désobligeants. Ne lâchez rien surtout !

Dario De Palma

Un thriller plutôt plaisant sur la forme avec son rythme relativement soutenu, son jeune acteur principal impliqué et son tournage nocturne sous influences (« Collateral ») , mais qui pâtit d’un scénario bancal avec des péripéties peu vraisemblables, des personnages insuffisamment caractérisés et un arrière plan politique traité de façon superficielle.

amebix-winter

Quand je vois la teneur de certains commentaires, je me dis que l’équipe est encore bien courageuse de laisser la section ouverte sur certains articles et d’ainsi s’infliger pareilles lectures.

Bref, un grand merci pour la critique. J’avais déjà hâte et ce que je lis me conforte beaucoup. Vivement la séance !

espriterrant

Merci pour la critique… j’étais partis pour laisser filer la semaine, vu qu’il n’y a rien que je trouvais intéressant à priori. Mais je vais me laisser tenter par votre article, j’irai le voir demain.
Continuer comme ça et merci à vous 😉

pikachu

« On le rappelle : la jeunesse emmerde le RN »

Ca confirme tout le « bien » que je pense du média d’extrême-gauche Ecran Large. Et en parlant de cette jeunesse, c’est celle des cassos, des LFIstes, punk à chiens, anarchistes et fils à papa étudiant à Sciences Po… et islamo-gauchistes de tous poils.

tnecniv

 » On le rappelle : la jeunesse emmerde le RN « , merci de ne pas faire d’essentialisme à l’envers et d’avoir l’honnêteté de préciser quelle type de jeunesse emmerde le RN, à savoir une grande partie de celle venant des banlieues ainsi qu’une partie de la petite bourgeoisie des centres villes, à moins que ce commentaire au dessous de votre image soit ironique, ce dont je doute. Du reste je pense qu’il est évident que de plus en plus de jeunes penchent vers la droite ou l’extrême droite, seuls les gens comme vous, cloisonnés dans votre microcosme idéaliste, n’avez pas l’air d’en prendre conscience, ou de faire semblant…. Cela dit je vous remercie quand même pour cet article, cela m’évitera de perdre du temps devant cette œuvre qui ( si j’en crois votre critique ), m’a l’air bien en phase avec tout ce que j’essaie d’éviter, à savoir le misérabilisme exacerbé quasi systématique lorsqu’il s’agit d’essayer de dépeindre certaines réalités… Encore merci.

Signé: Un banlieusard quadragénaire non racisé

cidjay

Romain Duris en Gangsta… j’ai du mal a y croire…
Mais bon, de toute façon, ça ne se fait plus de mettre un méchant avec une gueule de méchant.
Limite, ça aurait été encore plus original de mettre un Black en méchant !!!
Là ça aurait apporté encore plus de nuance et de réflexion, même (surtout) avec le fond de manif « Black Lives Matter ».