Ceci n’est pas une suite (enfin oui mais non)
Alors que La Plateforme s’ouvrait sur une séquence à la limite du food-porn digne du Festin Chinois, dès ses premières secondes, La Plateforme 2 fait le choix de recentrer son propos sur la source de tous les maux : les êtres humains. D’un côté des enfants, tous vêtus des mêmes habits que ceux portés par les prisonniers de la Fosse, jouent autour d’une structure pyramidale. Arrivés à son sommet, ils n’ont d’autres choix que de glisser vers le bas. De l’autre, une succession de personnes, cadrées en gros plan, donnent le nom de leur plat favori. Eux aussi, une fois dans la Fosse, n’auront pas d’autres choix que de chuter.
Le cadre de La Plateforme 2 reste identique à celui du premier film. Une tour de béton brutaliste, empilement d’un nombre inconnu d’étages, tous ouvert en leur centre. Chaque jour, une plateforme, couverte de nourriture, descend. Les premiers étages sont rassasiés, ceux du fond doivent se contenter des restes. La Plateforme 1 déroulait son concept comme une colonne vertébrale, les enjeux narratifs et la critique sociale se greffaient à celle-ci. Dans cet enfer vertical dans lequel les gens s’enferment volontairement, Goreng, le héros servait de véhicule exploratoire de ce système.
Avec cette suite, Galder Gaztelu-Urrutia a choisi de ne pas perdre de temps à reposer le contexte. Il sait que le public sait (le cas échéant, il ira voir le premier volet), ce qui lui permet de foncer dans le tas, et de pousser les curseurs encore plus loin. Les thématiques centrales, la critique sociale et économique du consumérisme et du capitalisme sont toujours là, mais redoublées par un autre problème : celui de la quête absolue du bien commun comme point de départ d’une dictature pire que l’enfer de la Fosse.
Dans le chaos de la Fosse, une « révolution solidaire » a eu lieu, menée par un dénommé « Maestro ». Celui-ci a établi un ensemble de nouvelles règles, qui, si elles sont respectées, devraient permettre à chacun de manger à sa faim. Sa première règle : chacun ne doit manger que ce qu’il a désigné comme son plat fétiche en entrant dans la Fosse, ou l’échanger avec une autre personne. Le non respect de cette règle pacifique est la mort.
Avec ce point de départ, on verra le duo Perempuan (Milena Smit) et Zamiatin (Hovik Keuchkerian) lutter à la fois contre la condamnation à une mort lente qu’est la Fosse et contre ce nouveau socialisme totalitaire (les ombres du nazisme et de Franco ne sont pas loin), véritable système dans le système. Où quand la recherche absolue du bien commun fini par être plus destructrice que le chaos lui-même, comme un nouveau monstre dans le ventre du monstre.
Le Léviathan
La Plateforme 2 pose sans détour la question « le Chaos peut-il être contrôlé? ». Avec une brutale véhémence, le film réponse avec un non d’un nihilisme total. Plus les humains se débattent face à une situation désespérée, voire face à leur propre humanité, et plus la violence et la bestialité reprennent le dessus. Le premier film baignait dans cette inquiétante étrangeté chère à Freud et parlait de l’impuissance face au monstre (la Fosse, les systèmes consuméristes), ici, les humains se sont révoltés, ont organisé une révolution, et… ça semble pire encore.
Dans une logique tordue, les deux personnages principaux sont contraints d’adhérer à la révolution pacifique, sous peine de mort (logique), voire d’être condamné à une punition pire que la mort. Les scènes de pugilat, de torture, de mutilation se succèdent. Avec la même approche viscérale de l’horreur qui portait le premier opus, Galder Gaztelu-Urrutia montre des corps torturés, mutilés, avec une caméra dont la froideur clinique glace le sang. Ces corps, dans leur diversité de forme, sont ainsi réduits à de la viande que l’on découpe, déchire, et jette sans le moindre affect.
Le réalisateur assène une horreur crue, parfois à la limite du body-horror, comme dans cette scène atroce où l’une des prisonnières de la Fosse, pour ne pas avoir respecté les nouvelles lois, se voit attachée nue à la plateforme, presque ficelée comme un rôti, offerte ainsi à toutes les pulsions des prisonniers des étages inférieurs. Elle se trouve privée de toute humanité, réduite à l’état de viande. La plateforme devient aussi parfois un instrument de torture de la chair, certains l’utilisant comme un outil permettant de broyer les membres des malheureux qui ne sont pas dans leur camp. L’objet de torture métaphorique devient ainsi un objet de torture dans le réel.
Dans ce nouveau système dictatorial de la Fosse, la violence n’est plus celle d’un simple besoin de survie, c’est celle d’une mécanique absurde qui se met en place au sein d’un système déjà pourri, comme une surcouche de pourriture sur une panna cotta déjà moisie. Ici, le réalisateur questionne non seulement différents systèmes politiques, mais s’attaque aussi à la religion, avec la figure fantasmatique du Maestro quasi divin qui dicte sa loi, exigeant une vénération de ses fidèles. Alors que nous ne sommes même pas sûrs de son existence réelle, il impose sa volonté, divisant les prisonniers en Loyaux et Barbares. Les Barbares pouvant être mis à mort sans sommation.
Ce faisant, la frontière entre Bien et Mal glisse sous nos yeux, basculant de l’opposition de la Fosse contre l’humain, à l’humain contre l’humain. « Nous sommes tous prisonniers de nous mêmes », dira l’un des personnages, métaphore d’un enfermement dans un enfermement, qui rend encore plus fou. Une folie que le réalisateur traduit à l’image par une mise en scène parfois à la limite de l’expressionnisme.
Plateforme d’expression
De nouveau, Galder Gaztelu-Urrutia joue avec les sensations de de claustrophobie et d’austérité, mais esthétiquement, le réalisateur a lâché les chevaux. L’architecture de la Fosse de ce second volet sert encore mieux sa narration : la verticalité et le concept de l’ascenseur à nourriture sont encore au centre de l’action, mais Gaztelu-Urrutia s’amuse avec les perspectives, inverse le haut et le bas, et va même jouer avec la notion de latéralité, totalement absente du premier volet. Il rend la Fosse encore plus démesurée, pour mieux nous désorienter.
Une gestion de l’espace sublimée par un jeu sur la colorimétrie qui démontre la virtuosité de l’espagnol. Aux côtés des teintes grisâtres et des éclats de blanc du premier volet, Gaztelu-Urrutia assène des saturations de rouge et de vert comme des gifles. Il construit un tableau avec des noirs profonds, et des explosions de couleurs qui sont le reflet de l’éclatement de l’esprit des protagonistes. Tout ça soutenu par une bande-originale d’Aitor Etxebarria qui joue sur les dissonances, et par un jeu d’acteurs impeccables (mention à Milena Smit dont la charge émotionnelle est presque parfois trop lourde à encaisser).
L’image, la colorimétrie, mais aussi les visages et les corps se tordent jusqu’à un climax artistique et narratif qui va sûrement venir faire griller quelques neurones tant il est puissant, tout en offrant une ultime lueur d’espoir à l’humanité. Au-delà de l’horreur, des immondices créées par des égos ayant soif de domination et de contrôle, il reste une infime possibilité de rebondir. Plus Nitzschéen que jamais, dans sa dernière ligne droite le film pousse à assumer le réel tel qu’il est, à nier les fausses réalités (les idées d’au-delà imposées par les religions, les fausses espérances des systèmes politiques) pour se confronter à soi-même et ainsi se réaliser en tant qu’être humain. C’est seulement à ce prix que l’espoir est accessible.
Puisque la question va se poser : oui, La Plateforme 2 parvient à se raccrocher à certaines pistes du premier volet avec un incroyable brio. Certains appelleront cela du fan-service, mais rien n’est superflu ici. Les éléments qui viennent connecter les deux films entre eux ne sont pas gratuits, mais tissent bel et bien une mythologie encore plus grande, permettant aux deux opus de s’emboîter l’un dans l’autre comme deux âmes sœurs.
La Plateforme 2 sera disponible sur Netflix à partir du 4 octobre 2024 en France
Je ne serais pas contre une analyse de la fin de la part de EL
Visuellement c’est quand même très laid, avec des flous partout, ça sent le très petit budget, ça donne l’impression de regarder un mauvais téléfilm SF de syfy.
Sacré Delta entre les deux notes et appréciations …
alors c’est mieux ou moins bien que le premier ?