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Love Lies Bleeding : critique d’un grand film d’amour et de violence

Par Mathieu Jaborska
13 juin 2024
MAJ : 23 juin 2024
16 commentaires

L’excellent Saint Maud avait fait un véritable triomphe au festival de Gérardmer. Mais la pandémie de COVID est passée par là, reléguant ce premier film à une discrète sortie SVOD. Cela n’a pas empêché sa réalisatrice Rose Glass de poursuivre sur sa lancée, s’octroyant les services d’une vedette hollywoodienne (Kristen Stewart) et d’une comédienne en pleine ascension (Katy O’Brian) pour les prestigieux studios A24 et Film4. Love Lies Bleeding sort bien en France ce 12 juin 2024 et donne enfin à voir au plus grand nombre le talent de la cinéaste.

Love Lies Bleeding

Mesdames muscles

Les premières minutes annoncent la couleur : Saint Maud s’intéressait à la piété religieuse, Love Lies Bleeding ne sera que muscles, stéroïdes et white trash. La stratégie reste la même : nous immerger dans un milieu refermé sur lui-même, inextricable pour des personnages forcés plus ou moins malgré eux de s’en imprégner. Ici, la messe est dite dès l’ouverture et son ballet d’inserts dégoulinants de chair et de sueur. L’épicentre géographique du récit sera une salle de musculation gérée par Lou (Kristen Stewart) et dans laquelle débarque Jackie (une Katy O’Brian au physique impressionnant). Deux femmes évoluant dans un bain de testostérone et de coupes mulets, qui vont très vite s’enticher l’une de l’autre.

À vrai dire, l’univers du film tourne plutôt autour de deux pôles : la salle et le stand de tir. Nos deux héroïnes ne cesseront de se revendiquer du premier, assurant privilégier le poing au canon, le physique au matériel, parfois verbalement. Mais tandis que les prises de stéroïdes se succèdent, mais ne s’espacent pas, une réalité terrifiante finit par les rattraper. Les deux approches sont tout aussi artificielles, illusoires. Et de toute manière, elles prouvent bien que dans ce coin d’Amérique des années 1990, les deux seuls projets de vie consistent à dompter d’une manière ou d’une autre l’usage de la force. Et ce afin de cesser de la subir.

Ceci n’est pas un road movie (bien au contraire)

Aidée au scénario par Weronika Tofilska (Mon Petit Renne), Glass ne se vautre pas dans le fétichisme de la capsule temporelle. Il y a avait de quoi tomber dans ce piège avec la musique rétro du trop rare Clint Mansell et l’armada de looks, bagnoles et références balancées à l’écran. Pourtant, la cinéaste révèle assez tard dans le récit un marqueur historique, de manière pas si anecdotique par ailleurs, et s’intéresse moins aux détails de ce microcosme qu’à la manière dont il broie ses héroïnes et la relation qu’elles tentent de tisser.

Le fétichisme, c’est celui des muscles de Jackie, interprétée par une Katy O’Brian qui crève l’écran dans un rôle difficile, aux côtés d’une Kristen Stewart également très juste. La mise en scène tourne autour d’eux en permanence, en faisant l’épicentre de l’intrigue. Ces muscles, tantôt chargés d’érotismes, tantôt chargés tout court, provoquent et dénouent les enjeux, à la fois résultat d’un trop plein de violence et de sa libération, au point de carrément faire basculer le récit dans le fantastique.

Sortir du cycle : mauvaise idée

Love, death and gros bras

Mais avant tout, Love Lies Bleeding est une histoire d’amour sincère, qui sera corrompue par la violence dont suinte son environnement. Car si certains risquent de trouver le temps long dans la première partie, c’est parce que la cinéaste prend bien soin d’accorder à ses personnages principaux un début d’idylle amoureuse et notamment des scènes intimes et charnelles faisant office de cocon dans un océan mortifère (peuplé à la fois par un Dave Franco détestable et par un Ed Harris parfait). Evidemment, celui ci finira par éclater dans un éclat de brutalité plus que sévère.

C’est deux types de violence qui se côtoient : la violence rituelle, couverte par tout à chacun, et la violence impulsive, conséquence de la première. C’est évidemment la seconde qui sera la plus réprimée, dans une logique héritée de Bonnie and Clyde. Les scénaristes ne mettent pas tous leurs œufs dans le même panier : l’horreur, défiant jusqu’à la raison de la victime, de la violence conjugale, n’a rien à voir avec celle qu’elle finit par provoquer. Et l’amour des femmes, entre femmes, ne cesse de se débattre avec un monde d’agressivité, jusqu’à en être submergé presque intégralement.

Les histoires d’amour finissent mal… en général

Bien qu’il ne laisse à aucun moment douter de l’empathie qu’il éprouve pour son couple en roue libre, Love Lies Bleeding fait preuve d’un nihilisme encore mieux dissimulé que dans le fameux dernier plan de Saint Maud. Volontairement grotesque, son final a la bonne idée de convoquer directement les grandes figures de la culture populaire, ayant cette cette manie d’à la fois perpétuer et pourfendre la culture de la violence qui corrompt chaque ligne de dialogue passé le premier tiers du long-métrage. La jolie rêverie fantasmagorique qui clôturerait le dernier acte de n’importe quelle série B se craquèle pour laisser apparaitre une fausse victoire amère.

À première vue, et à travers son affiche, Love Lies Bleeding semblait crier « elles contre le monde ». Sa cruelle qualité aura été de liguer le monde contre elles, puis d’ériger le cinéma grand public dans lequel il s’inscrit non pas en solution, mais en une étape supplémentaire sur leur route. Et ce jusqu’à un générique qui ressemble à une épitaphe : ci-gît l’amour, en sang.

Rédacteurs :
Résumé

Rose Glass raconte comment la violence corrompt l’amour et confirme que son cinéma développe un passionnant nihilisme féministe.

Autres avis
  • Geoffrey Crété

    Il y a beaucoup de raisons d'aimer et vouloir aimer Love Lies Bleeding, à commencer par la fantastique Katy O'Brian, le point de départ de cette odyssée sanglante, et la mise en scène Rose Glass. Dommage que son scénario ne soit pas à la hauteur du reste.

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Sanchez

C’est les purges stalinnienne à EL . Ils effacent tous mes messages désormais

Sanchez

De la bombe atomique. Parfait EM sur tous les plans. Peut être un chef d’œuvre . Merci Rose Glass. Toujours émouvant de voir un talent se confirmer

FinitoPepito

J’ai trouvé ça insipide. Par contre je me demande si yavait pas des refs a Tokyo Fist (en plus de celles plus évidentes a Refn).

Dario De Palma

Un polar qui ne présente guère d’originalité en dehors de son personnage bodybuildé qui pique des colères à la Hulk. Les actrices font ce qu’elles peuvent mais le scénario sonne creux, tentant vainement de cacher son côté superficiel par une imagerie vaguement trash et baroque.  

La Classe Américaine

Beaucoup de bruit pour rien. Le wokizm par excellence. Les hommes sont des abrutis, violents ou manipulateurs qui battent ou tuent leur épouse. Tandis que ce couple d’amoureuses vont tout faire pour garder leur passion intacte dans ce monde cruel, parce que elles c’est des femmes et que les femmes c’est mieux que les hommes, bah ouais c’est clair. C’est prétentieux, ca se prend tres au sérieux. Et le tout est finalement bien creux.

zakmack

J’en ressors, c’est vraiment bien. Le film est toujours surprenant, Ed Harris est impeccable. Je ne suis pas un grand fan de Kristen Stewart, mais elle fait le job… Mais de tout cela on se fiche, parce que le centre du film, c’est quand même Katy O Brian avec son corps qui fascine et met mal à l’aise en même temps ! J’aimerai voir plus de films comme ça au cinéma. J’ajoute que la musique et l’image du film sont super léchées. Je n’ai pas vu Saint-maud, je vais direct y aller du coup !

Flo

Love Lies Bleeding… (des mots qui font rêveeer)

Après avoir raconté une histoire très douloureuse, très contenue, assez anglaise, Rose Glass fait un virage à 180 degré, change de pays et vise la comédie noire américaine, plus Série B, plus colorée, plus joyeuse, plus optimiste… mais toujours avec le point de vue particulier de la réalisatrice (qui est le même qu’une bonne partie des films d’auteurs récents, post Covid et aux esprits sacrément échauffés par les grèves, l’IA, la quête de liberté artistique et de nouvelles représentations)
C’est toujours sale, extrême, fantasmagorique, plein de dangers et de fluides corporels… et ça arrive après que Ethan Coen se soit planté avec son propre polar comico-romantique lesbien.

Encore des bouts de films d’horreurs stylisés, dans un typique « thriller glauque dans le sud-ouest des États-Unis »… le genre d’endroit où on peut facilement devenir hors la loi, ou corrompu, à cacher des cadavres dans plein de trous (noirs).
Dans cette Amérique performative et musclée des années 80, le Grotesque rode régulièrement, il n’y a qu’à voir ces looks improbables, ces coupes de cheveux dégueulasses, ces horizons aussi bouchés que des toilettes, cette façon de se soumettre à la loi du plus fort, à un idéal de puissance complètement artificiel… et toujours cette musique sourde et ces moments fantastiques qui surgissent quand le spectateur le plus chevronné ne s’y attend Jamais.
Pas d’hésitation, ceci est bien un film romantique, sexué, crû mais pas dénué de méchancetés… de la violence et des mauvais choix (les stéroïdes) entre des gens qui s’aiment, bien qu’on puisse douter qu’ils aient un jour vraiment appris comment aimer.

Le désert et Las Vegas à proximité, la rébellion, l’envie de rendre justice envers les innocents, et des scènes de transformations monstrueuses – mais oniriques, à travers les yeux de Glass (!)… Tout ça donne l’impression de lire un comic book de Hulk. 
Pas Miss Hulk, bien que l’amusante Katy O’Brian ait quasi le même look que la version écrite et dessinée par John Byrne… non non, Hulk lui-même. C’est à dire une créature un peu simple, un peu infantile, capricieuse, rejetée par ses proches et sacrément impulsive. Au point de résoudre une situation uniquement par de la grosse destruction.
Et dans ce cas Kristen Stewart, avec son éternel look d’ado androgyne, serait un équivalent de Rick Jones, ce jeune homme un peu nonchalant de l’Arizona, qui aide Hulk, aime Hulk, essaie de le canaliser mais ne peut aussi s’empêcher de le trahir. 
Il y a même du Bruce Banner en elle, nanti d’une sorte de Mal absolu hérité d’un paternel manipulateur… Paradoxalement, c’est un grand rôle pour l’actrice, alors qu’il s’agit quand-même d’une paumée en quête de maturité (se débarrasser de son addiction à la clope, sauver sa sœur, faire ce qui est bien, tout contrôler), sans jamais y arriver totalement.
Un casting qui comporte beaucoup d’évidences, y compris Ed Harris en vieux lion glacial, Dave Franco et son sourire de petite teigne, Jena Malone et son déni de femme au foyer (pas un rôle facile au vu de son histoire personnelle)… Ils sont tous très grimés, pas trop dans le contre-emploi à part la révélation Anna Barychnikov (fille de, et incroyable en tête à claques).

Nos deux personnages principaux peuvent-ils survivre l’un à l’autre, alors que les grosses emmerdes vont déferler à la chaîne (chacune en entraînant une autre, puis une autre etc), dans un dernier tiers de film qui tire assez en longueur ? 
Il faudra alors se coltiner des pots de colle idiotes, trainer des corps, jouer à cache-cache avec le FBI et des truands, essayer de foutre le camp, bref le combo classique des polars noirs.
Nos Thelma et Louise (Rose Glass n’avait jamais vu le film ni aucun autre du genre, avant de coécrire le script avec Weronika Tofilska) vont tenter de coup… et ça sera en fait le début de leurs aventures. 
Pas du tout un film sur une Fin amère, comme l’était « Saint Maud ». Mais un film sur un Commencement qui s’annonce rocambolesque, comme le montrent les deux dernières séquences pendant le générique de fin.
Et si on tenait là une nouvelle franchise, avec les super-héroïnes les plus sublim(é)es et frappadingues qui soient ? Ça serait bien marrant.
Avec des monstres d’amour, en fin de compte.

Super

Cela ne casse pas des briques ! Tout juste une série B, avec une actrice que vous trouvez merveilleuse… Alors que bon, c’est très moyens tout ça.
Je ne comprend l’extase que provoque ce film chez certains.

Saiyuk

@La rédaction
Dave Franco détestable…son personnage ou bien son interprétation ?

fedor

Bon casting, bonne réal, mais j’ai pas trouvé le scénario terrible