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Mickey 17 : critique avec double ration de Robert Pattinson 

Par Antoine Desrues
3 mars 2025
MAJ : 4 mars 2025

Il faut admettre qu’on avait peur : après le succès mondial de Parasite, le roi du cinéma coréen Bong Joon-ho s’est vu offrir par Warner son premier budget de blockbuster hollywoodien. Avec 150 millions de dollars en poche, le cinéaste s’est lancé dans Mickey 17, film de science-fiction loufoque et satirique porté par Robert Pattinson. Mais après un an de reports, visiblement dû à des tensions sur le montage final entre le studio et le réalisateur, on se demandait si le génie derrière Memories of Murder et The Host s’était fourvoyé. En salles le 5 mars.  

Mickey 17 : critique avec double ration de Robert Pattinson © Warner

Double Face

Il ne faut pas longtemps à Mickey 17 pour nous confirmer qu’on est bien face à un film de Bong Joon-ho. Dès la première interaction lunaire entre un Robert Pattinson coincé dans une crevasse de glace et son “ami” peu compatissant Timo (Steven Yeun), l’auteur laisse percevoir l’absurdité typique de son cinéma, soudainement appliquée à un blockbuster américain.  

L’acteur de The Batman est en cela un portail idéal vers cette bizarrerie, troquant son habituelle allure morose pour une voix nasillarde et une gaucherie qui confirment une nouvelle fois sa capacité à prendre des risques. Il y incarne donc Mickey, un “remplaçable”, un être humain sacrifiable pour les besoins d’une colonie spatiale sur une planète de glace. Après avoir sauvegardé sa mémoire et son corps, il peut être envoyé vers une mort certaine et réimprimé, encore et encore.  

mickey 17
Gravity

Glauque mais foncièrement comique, le film exploite son futur de science-fiction peu réjouissant pour refléter une totale apathie envers la notion de décès. Mickey n’est plus qu’une marchandise comme une autre, recréée et recyclée par les déchets organiques de toute la station (superbe idée). On nous prévient vite que la technologie a suscité des débats éthiques et philosophiques, et ceux-ci se matérialisent à l’écran lorsque la dix-septième version de Mickey, qui a échappé de peu à une énième mort, fait face à sa dix-huitième variante.  

Le temps d’expliquer ce concept et de poser cet élément perturbateur, Bong Joon-ho est déjà passé par plusieurs flashbacks (dont un qui explique le départ forcé du personnage de la Terre) et par l’introduction de nombreux personnages. On y retrouve pêle-mêle Nasha (Naomi Ackie, géniale), la petite amie de Mickey, des extraterrestres autochtones peu ragoûtants, et bien sûr Kenneth Marshall, l’autocrate à la tête de l’expédition, pour lequel Mark Ruffalo s’éclate en parodie outrancière de Trump aux dents trop blanches.  

Toute ressemblance n’est pas fortuite…

Expendables in Space

La satire est bien là (et fait souvent des merveilles), et on sent l’envie du cinéaste de lui conférer une nuance par le potentiel de son univers et les interrogations qu’elles sous-tendent. Cependant, Mickey 17 est sans doute trop gourmand pour son propre bien. Si l’ensemble réussit à ne jamais faiblir en matière de rythme, la quête exhaustive de Bong Joon-ho s’empêtre dans sa multitude de sous-intrigues (on pense en particulier au personnage d’Anamaria Vartolomei, bazardé en cours de route par le récit).  

On pourra toujours dire que le chaos industriel et aliénant de cette colonie est en accord avec l’absurdité de notre réel (la réélection de Trump rend le film d’autant plus prégnant malgré ses reports de sortie), et il est clair qu’à l’heure des saluts nazis décomplexés et d’un fascisme toujours plus légitimé, Bong Joon-ho n’a pas besoin de forcer la caricature. C’est même la tragédie larvée dans ce film de SF désillusionné, où les rares visions d’un ailleurs fantasmatique renvoient tout de suite à la volonté des technocrates comme Musk ou Bezos de coloniser d’autres mondes, et aux inquiétudes qui y sont liées.  

L’humour à la Bong Joon-ho

Pour autant, Bong Joon-ho a toujours mixé cette hargne politique à la précision chirurgicale de son écriture et de sa mise en scène. Tandis que Parasite racontait l’ancrage des inégalités sociales par la verticalité et ses sombres profondeurs, Snowpiercer exploitait l’horizontalité de son train pour la même finalité, et pour diagnostiquer les réglages d’un tel système et ses tentatives de révolution.  

Si Mickey 17 profite d’une production design à tomber (escaliers en colimaçon, fours plongeants, chambres sans fenêtres), les multiples directions qu’il emprunte, visuellement et narrativement, rendent le résultat final plus confus, et fatalement moins émouvant. On regrette que les divergences de personnalité entre Mickey 17 et 18 ne soient qu’effleurées, malgré le vertige qu’elles soulèvent autour de cette recréation artificielle d’un individu transformé en viande recyclable.  

Visuellement, ça claque

Memories of Snowpiercer

Et en même temps, comment ne pas adhérer à la folie de la proposition, surtout lorsqu’un artiste du calibre de Bong Joon-ho y trouve l’opportunité inespérée d’en tirer une synthèse de ses obsessions ? L’antispécisme d’Okja s’exprime une nouvelle fois par un amour évident pour ces aliens rampants et sensibles, et bifurque comme The Host vers cet attachement pour les freaks, qu’ils soient humains ou pas. 

En étant devenu malgré lui l’un des chefs de file de la Nouvelle Vague coréenne, auscultant par ses métaphores les dysfonctionnements de son pays après les débuts difficiles de sa démocratie, Bong Joon-ho n’a fait qu’observer tout au long de sa carrière l’éternel maintien d’un libéralisme vorace et cruel. Le manque de moyens de la police de Memories of Murder a pris au fil du temps une dimension plus large, qui a reflété par la même occasion le fossé grandissant entre les classes sociales.  

mickey 17 robert pattinson
Robert Pattinson est génial

Parasite doit peut-être une partie de son succès à ce contraste magnifiquement illustré, que Mickey 17 pousse à sa manière dans de nouveaux retranchements, plus foutraques, mais toujours aussi jouissifs. À grands coups de “réarmement démographique” aux dérives aryennes et d’appels à la noblesse du sacrifice, Kenneth Marshall fait du corps humain la ressource ultime que le capitalisme doit exploiter et épuiser, même à l’autre bout de la galaxie.

Dans l’apocalypse glacière de Snowpiercer, le seul train de survivants avait tout mis en œuvre pour reproduire ce modèle inégalitaire de société, traçant un parallèle avec une phrase du philosophe Slavoj Žižek : “Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme”. Peut-être que le cinéma de Bong Joon-ho pourrait être réduit à cette triste maxime, que Mickey 17 dépeint dans une nouvelle variable en quête de sens.

Affiche de Mickey 17
Rédacteurs :
Résumé

Ce n’est clairement pas le chef-d’œuvre de Bong Joon-ho, mais si tous les cinéastes pouvaient faire en sorte que leurs moins bons films ressemblent à ça, le monde se porterait mieux.

Autres avis
  • Alexandre Janowiak

    À défaut d'être sa plus réussie, Mickey 17 est peut-être l'œuvre la plus ambitieuse de Bong Joon-ho, satire subversive où la confrontation du burlesque et du sadisme a rarement eu une telle pertinence dans son cinéma.

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Arturo Bandini

Pour Flo1, tu sais tu peux aussi faire un seul pavé avec tout ton texte au lieu de pondre 10 coms totalement désordonnés, ce sera plus simple à lire (pour ceux qui en ont envie) au lieu d’être rébarbatif au possible.

Flo1

Mickey imprimé 3D ? Il faut que tu respires…

Car c’est la panique : Bong Joon-ho s’est fait happé par la machine, comme Chaplin dans « Les Temps Modernes » (cette référence n’est pas fortuite). Certes, pas par l’usine à rêves pour petits et grands, lesquels ne viennent pas en salle pour se faire peur. Mais celle pour les plus âgés, qui viennent pour être étonnés et bousculés… quitte à suivre à un programme également balisé pour arriver à ce résultat.
On devrait le savoir depuis le temps, mêmes les œuvres artistiques possèdent des codes reproductibles.

Flo1

À cause de ça, on comprend un peu comment l’auteur a fini par choisir de faire l’adaptation cinématographique du roman Mickey 7 de Edward Ashton, sorte de succédané sur le chouette « Moon » de Duncan Jones : quelle fût donc la raison du succès occidental de « Parasite », mis à part le fait que ça soit un film à la mise en scène et à l’interprétation splendides ? Parce que c’était aussi un film très évident, pas du tout cryptique, voilà pourquoi (ces deux familles de sitcoms américaines – l’une cucul et l’autre bordélique – qui sont l’arbre qui cache la forêt des miséreux).
Et quelles furent les conséquences des récompenses historiques que le film a récolté ? Des ponts d’or de la part des studios américains, pour encourager Bong Joon-ho à…
Refaire la même chose.

Flo1

Tandis qu’une série « Parasite » sur HBO met du temps à se monter (suite ? remake ? variation ?), la Warner continue à jouer les mécènes à gros budget qui se donnent une bonne conscience artistique… alors qu’ils ne savent plus comment le faire, qu’ils ne peuvent pas créer de la véritable subversion alors qu’ils sont eux-mêmes une grosse entreprise en quête de résultats tangibles – demandez donc aux Wachowski, à Nolan ou à Todd Phillips.
En gros « venez refaire « Snowpiercer » chez nous (pendant que se fait une nouvelle adaptation à la télé)… C’est à dire de la SF écolo, anticapitalo, neigeo, ça sera pas comme avec les Weinstein, vous aurez plein de sous, des stars et vous pourrez même mettre du « Okja » dedans ! »… sachant que « Snowpiercer » dans sa version complète était sorti sans problème dans le reste du monde, alors qu’aux USA il sera longtemps coupé au montage et nanti d’une voix off.

Flo1

« Faites un bel objet d’auteur qui fasse la fierté du cinéma américain »… et qui sera d’ailleurs raconté entièrement en voix off. Légèrement en décalage cette voix traînante de Robert Pattinson, donnant l’impression d’avoir un personnage qui se fiche de ce qui lui arrive, qui a de toute façon laissé tomber. Et dont le premier acte à l’écran est de refaire le fameux regard face caméra à la Song Kang-ho… mais en le plaçant justement au début, est-ce un signe qu’on va avoir un retournement du cinéma de Bong ?
Pas vraiment, c’est toujours une comédie sarcastique et cartoonesque (l’imprimante organique, qui se comporte littéralement comme une vieille imprimante papier). C’est juste que là, il n’y a pas une seule direction précise, ou même une petite poignée… il y en a Plein disponibles.
Et, drame du « spectateur chevronné qui aime extrapoler sur les détails narratifs parce que quand-même c’est un gros film Et un auteur « , Bong n’en fait rien :

Flo1

Mickey est cloné à volonté, sacrifiant littéralement son corps pour l’intérêt du collectif ? Pas de quoi en faire un Jésus Christ pour autant. Tout au plus un équivalent de Basile, le Disciple de la bande-dessinée Léonard.
Cette Gemma qui le briefe (Holliday Grainger), et qui éveille en lui le souvenir tragique d’une mère sans visage mais à l’odeur et aux cheveux similaires ? Aucun rapport, on ne pousse pas le scénario vers une complexité telle qu’on verrait des clones planqués partout. C’est pas « Orphan Black ».
Tiens justement, ils sont où les autres Remplaçables ? Pourquoi il n’y a que Mickey dans le vaisseau et la colonie, puisque nos leaders tordus sont loin du gouvernement terrestre et peuvent en profiter pour avoir plus de mains d’oeuvre kamikazes/cobayes ?
On dirait que beaucoup de choses ont été coupées, pour rester centré sur une trame plus simple, donc accessible pour un public tout de même large… et permettre donc de se rentabiliser. L’entreprise avant tout (raté).

Flo1

Mais derrière, on voit bien les grosses ficelles, les mêmes qu’on retrouve dans des blockbusters essayant d’avoir une allure un peu plus classieuse – engager des actrices françaises par exemple…
Bon ben Anna Mouglalis fait la « voix » d’une grosse bestiole, et Anamaria Vartolomei (parce qu’on a bien aimé « L’Événement ») ajoute encore plus de confusion en étant un personnage secondaire a priori gay, puis se plaçant comme peut-être la vraie héroïne romantique principale, adepte d’amour libre, rebelle… puis plus du tout, c’était juste un porte-flingue. Avoir des personnages féminins importants, comme dans ce film (il y en a beaucoup, comme la petite scientifique par exemple), ça implique de savoir aussi les écrire.

Flo1

Plus problématique encore, le fait de céder toute latitude aux acteurs, de les laisser en rond libre, expérimenter, et oublier ainsi de densifier son montage pour mieux faire avancer l’histoire. D’où des tas de scènes qui tirent en longueur, qui ressemblent à des séquences-sketch qui ne sont même pas drôles, s’enchaînant sans que la composition de l’une permette d’arriver naturellement à la suivante.
C’est aller trop loin dans les ruptures de ton, là. Comme si ce qu’il manquait à ce film, c’est l’homogénéité d’un casting coréen, permettant de faire passer les situations les plus improbables.

Flo1

Alors Robert Pattinson nous fait son numéro familier de tête à claques benêt, qu’on peut difficilement prendre en pitié à chaque fois qu’il se fait marcher sur les pieds… pendant que son double est encore plus irritable, avec son agressivité très artificielle (il ne fait pas énormément de mal autour de lui).
Pire encore, le film semble avoir été conçu comme une charge naïve pro démocrate, qui anticipait peut-être une victoire de Kamala Harris à l’époque de sa conception (c’est vers elle que tend le personnage – très protecteur mais balourde – de Naomi Ackie)…

Flo1

Et faisant l’erreur catastrophique de caser une énième parodie de Trump, Hollywood n’ayant toujours pas compris, depuis le temps, que les populistes sont (consciemment ?) devenus leurs propres caricatures, désamorçant donc toutes récupérations moqueuses et critiques. Pour mieux les dénoncer, il faut retrancher une part de grotesque, les traiter maintenant au premier degré, de manière glaciale.
Surtout avec des cabotins reconnus comme Mark Ruffalo et Toni Collette, sortes d’époux Ceaușescu, montrés continuellement en surrégime… on n’a pas nécessairement envie de voir ça sur grand écran, alors qu’on l’a déjà sur le petit, et dans la réalité, celle qui peut faire vraiment mal. La nuance n’est pas assez présente, à part lors des ultimes scènes de chacun des deux, les meilleures de toutes (des confrontations existentielles). Trop tard à ce moment là, et même le fourbe que joue Steven Yeun restera pathétique et bien peu complexe…
Résultat : Donald 1 / Mickey 0