FANTÔMES CONTRE FANTÔMES
Il n’y a pas qu’un fantôme dans Presence. Il y a certes la présence fantomatique qui rode dans la maison, et essaye de communiquer avec la famille qui vient d’y emménager. Mais il y a aussi, surtout, le scénariste David Koepp qui hante le film de Steven Soderbergh – à moins que ça ne soit l’inverse. Ce n’est pas aussi terrible que la rencontre entre le monde des vivants et celui des autres, mais c’est tout aussi perturbant.
D’un côté, il y a donc Steven Soderbergh, réalisateur ultra-respecté (une Palme d’or pour Sexe, mensonges et vidéo, un Oscar pour Traffic) qui a méthodiquement torpillé sa carrière à plusieurs reprises, que ce soit pour expérimenter, pour jouer ou simplement pour voir ce que ça faisait. De l’autre, il y a David Koepp, scénariste hollywoodien par excellence (Jurassic Park, Mission : Impossible, Panic Room, La Guerre des mondes, Indiana Jones 4), et parfois réalisateur pas très fameux (Fenêtre secrète, Hypnose, Charlie Mortdecai).
La première collaboration entre les deux hommes, c’était sur KIMI, sorti directement en VOD en France en 2022. Et ce petit thriller parano avec Zoë Kravitz, qui essayait de mettre à jour un meurtre, fonctionnait parce que le scénario et la mise en scène étaient alignés. Difficile d’en dire autant pour Presence, où la caméra de Soderbergh semble toujours vouloir raconter autre chose que le scénario de David Koepp. Et c’est malheureusement le mauvais qui prend le pas sur l’autre, et enfonce le film.
CAMERA OBSCURA
Il y a deux Steven Soderbergh : le gros roublard de Hors d’atteinte, Ocean’s Eleven ou Erin Brockovich (qui peut aller jusqu’à Ocean’s Thirteen et Magic Mike 3 dans ses pires moments), et le petit expérimentateur de L’Anglais, Solaris ou encore Paranoïa (qui peut aller jusqu’à Full Frontal et La Grande Traversée dans ses moments les plus douteux). Et en quarante ans de carrière et presque autant de films, sans parler des séries, il a exploré un paquet de nuances entre les deux.
C’est le deuxième qui est à l’œuvre sur Presence, construit autour d’une idée brillante : un film de fantôme, raconté du point de vue du fantôme. Sachant que le réalisateur est là encore directeur de la photo (sous le pseudo Peter Andrews, nom de son père), c’est littéralement lui qui dirige le ballet macabre dans cette maison, que la caméra flottante explore en silence.

Il incarne les yeux de ce fantôme, et l’idée est aussi belle que malicieuse. Car cette caméra joue ici un double rôle : elle filme l’histoire et y participe, devenant témoin des événements comme le spectateur de l’autre côté de l’écran. Lui aussi est muet, condamné à observer sans réellement interagir, cherchant à comprendre ce qui se passe dans la tête de ces personnages. Lui aussi aimerait pouvoir les prévenir, les aider et les sauver.
Ce lien presque magique créé un étonnant vertige, où un simple regard caméra transperce l’écran pour donner une dimension déstabilisante au récit. Après tout, qu’est-ce qu’un spectateur, si ce n’est une présence invisible qui hante les décors et observe en silence les personnages ? Ça, c’est la partie intéressante du film.

LA MENACE FANTÔME
Mais tout comme ce fantôme emprisonné entre les murs, Steven Soderbergh est enchaîné au sol par le scénario de David Koepp. Presence est un peu le miroir de Panic Room, un autre huis clos du même scénariste. C’était déjà une histoire de famille assiégée dans une maison, même si la menace était tangible. Mais le film fonctionnait parce que la mise en scène de David Fincher était entièrement tournée vers la formule du home invasion : la caméra élevait l’écriture très grossière de ces personnages de gangsters, et permettait de passer outre les facilités. Tout était aligné, et au service du thriller.
Dans Presence, il y a un court-circuit. Soderbergh filme son histoire comme si c’était A Ghost Story, mais David Koepp l’a écrite comme un épisode du Jour où tout a basculé. Pendant que le réalisateur essaye de capter les petites choses du quotidien et le temps qui passe, l’intrigue balourde avance vers ses twists, très bêtes (traiter un tel sujet comme un vulgaire thriller dans la dernière partie) et trop démonstratifs (le monologue qui explique tout).

Cet énième personnage de médium qui semble débarquer d’un mauvais Conjuring pour pirater le film était un avertissement. Mais il y avait l’envie d’y croire, et de retrouver le plus malin des Steven Soderbergh. S’il l’avait été, il se serait probablement pris par la main pour écrire lui-même le scénario, comme pour quelques-uns de ses films les plus minimalistes et sensibles (Sexe, mensonges et vidéo, Solaris).
Ça lui aurait peut-être permis de véritablement utiliser son dispositif de mise en scène et son casting (Chris Sullivan et Callina Liang s’en sortent tant bien que mal, mais pauvre Lucy Liu) et de ne pas terminer sur une double fausse note, avec un reflet dans un miroir et un ultime mouvement aussi lourdingues l’un que l’autre.

David Koepp réitère plus ou moins son pas si mal Stir Of Echoes avec son arrière goût de thriller mâtiné de fantastique. Quelques beaux mouvements de caméra et des comédiens pas trop mal mais des trous scénaristiques embêtants et un dernier plan à la Here de Zemeckis mais en vraiment moins bien et super catho. Le fondu au blanc : au secours. Dommage Steven j’y croyais.