Prison Breaking Point
Eva est une gardienne de prison humaine et compatissante. Malgré les situations parfois tendues avec certains détenus, elle s’engage dans des activités à leurs côtés (de la méditation) et s’assure au maximum de leur bien-être physique et mental. Jusqu’au jour où tout bascule. Un prisonnier issu de son passé est envoyé dans l’aile la plus dangereuse du bâtiment, qu’elle demande expressément à rejoindre.
Si le silence du personnage principal hante une bonne partie du long-métrage, Gustav Möller a la bonne idée de ne pas faire de ce traumatisme mystérieux le cœur de son polar. Au contraire, il évente assez vite le suspense pour créer un autre doute : à quel point la situation peut-elle dégénérer ?
Par cette expectative, Sons déjoue certains codes du film de prison pour mieux y revenir avec force. La précision de sa caméra a beau segmenter les pièces et les protocoles, sa métronomie est forcément chamboulée par l’humain, sa méfiance, voire sa haine par rapport à ceux qu’il doit surveiller.
En voyant Eva sombrer petit à petit dans des manipulations sadiques, le film reflète d’abord un parcours individuel borderline. Néanmoins, il est évident que ses écarts avec la loi et l’éthique de son métier sont permis par une violence systémique, inhérente aux rapports de force du milieu carcéral.
Là où le talent de Möller se distingue, c’est que son écriture ne cherche jamais une thèse trop à charge ou indignée sur ces dysfonctionnements connus de tous. Il s’intéresse avant tout à son héroïne tragique comme métonymie de ces problèmes, alors qu’elle se révèle tout aussi prisonnière de ses tourments que celui qu’elle malmène.
Tigres en cage
La dégringolade morale du personnage est en cela la plus belle réussite du film. Eva symbolise toute l’ambiguïté d’un système judiciaire qui ne cesse de prôner l’espoir de la réinsertion, tout en questionnant la possibilité même du pardon. Impossible pour autant de juger qui que ce soit, car Gustav Möller tient à rester au plus près des corps et des visages, encapsulés dans un cadre en 1.33 étouffant. On emmagasine en même temps qu’eux leur colère, qu’elle soit contenue pour Eva, ou animale pour Mikkel.
Ce va-et-vient, qui s’accorde aux retournements récurrents du scénario et à la redistribution du pouvoir entre les protagonistes, nous confronte aux mêmes contradictions qu’eux. Il faut dire qu’il est assez aisé de se projeter dans leurs dilemmes au vu de la qualité démente de la direction d’acteur. Tandis que Sebastian Bull effraie autant qu’il apprend à nous toucher, Sidse Babett Knudsen fascine par la finesse de son jeu tout en nuances, qui incite à scruter le moindre gros plan.
Le brio de Sons doit beaucoup au naturel désarmant de sa performance, qui compense d’ailleurs une mise en scène un peu trop programmatique et poseuse. Bien sûr, on ne dira jamais non à des surcadrages stylisés ou à la symétrie anxiogène de ses couloirs de prison, recouverts de tuyaux et autres tracés sinueux lourds de sens quant au parcours des personnages. Mais peut-être que Möller se regarde un peu trop filmer, surtout au vu de sa narration très rêche, et du petit miracle sans bouts de gras que représentait The Guilty.
Autant dire que c’est plus une manière de chipoter, car en l’état, le cinéaste transforme l’essai avec ce deuxième long-métrage, et s’affirme comme une nouvelle voix passionnante du cinéma nordique.
Vu Den Skyldige, j’avais plutôt apprécié (pas vu le remake US) donc je suis emballé, je l’ajoute à ma liste, merci pour la découverte !