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Tatami : critique d’un cinéma et sport politique

Par Alexandre Janowiak
12 septembre 2024
MAJ : 12 septembre 2024
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Après avoir reçu un prix d’interprétation féminine à Cannes en 2022 pour Les Nuits de Mashaad, suivant un serial killer et dénonçant in fine la misogynie systémique du régime iranien, Zar Amir Ebrahimi passe devant et derrière la caméra avec Tatami (co-réalisé avec l’Israélien Guy Nattiv). Inspiré de faits réels, ce thriller interroge aussi la place des femmes dans l’Iran moderne autoritaire, cette fois à travers le sport, dans un thriller captivant mené notamment par l’excellente Arienne Mandi, en salles depuis ce 4 septembre 2024.

Tatami : critique d'un cinéma et sport politique © Canva Metropolitan Films

requiem pour une judokate

« Je pense que c’est une très mauvaise idée de politiser le sport », expliquait Emmanuel Macron en 2022, à quelques jours de la Coupe de monde de football au Qatar. Six mois plus tard, c’est la « politisation » du cinéma avec le discours de Justine Triet pour sa Palme d’or Anatomie d’une chute qui avait vexé la Première ministre de l’époque, Elisabeth Borne. Alors, le cinéma et le sport doivent-ils être politisés ? Vaste question.

Plutôt que d’essayer d’y répondre ici en seulement quelques lignes, il semble plus judicieux de donner la parole à une œuvre qui interroge les deux frontalement. Co-réalisé par Guy Nattiv, un réalisateur israélien, et Zar Amir Ebrahimi, réalisatrice-actrice iranienne, Tatami en lui-même est un geste politique. Cette alliance artistique entre deux cinéastes de ces deux pays est inédite, et le message est d’autant plus fort vu ce que raconte le film.

Victoire sportive, politique ou les deux ?

Tatami suit en effet la descente aux enfers de Leila Hosseini (Arienne Mandi), une judokate iranienne en lice pour le championnat du monde de judo se déroulant en Géorgie. Alors qu’elle remporte peu à peu ses combats, son rêve de remporter le titre va être mis à mal par un ultimatum du régime iranien lui demandant d’abandonner prestement la compétition. La raison ? Éviter une possible confrontation avec l’Israélienne Shani Lavi (Lir Katz), l’athlète de l’ennemi géopolitique.

Ce point de départ, Tatami aurait pu ne jamais réellement le transcender comme souvent pour ce genre de film. Plus encore, le film aurait pu délaisser son côté artistique au profit de son message politique, ou inversement, le message politique aurait pu être supplanté par la virtuosité de l’ensemble. Habilement, Tatami réussit au contraire à fusionner les deux aspects pour livrer un thriller politico-sportif captivant.

Zar Amir Ebrahimi et Arienne Mandi dans Tatami
Opposées malgré elles

anti-soumission

C’est l’une des grandes forces de Tatami, l’intrigue se passe en quasi temps réel, ou en tout cas, sur une période extrêmement resserrée. Rapidement, la tension monte et s’est presque une course contre la montre qui se met en place, une sorte de « bombe à retardement » comme le décrit Guy Nattiv lui-même. Une manière de rapidement confronter les spectateurs aux enjeux qui entourent les personnages et notamment aux sentiments de Leila, que la caméra ne quitte presque jamais dans ce huis-clos.

Tatami raconte alors ses deux combats : celui politique et féministe mené dans les coulisses du stadium et celui sportif se déroulant sur les tatamis. Astucieusement, le film subvertit son point de départ. La violence des coups et autres ippons du judo cache en vérité une menace psychologique autrement plus brutale et difficile à contrer. Et lorsque Leila subit une prise de soumission lors d’un match, il n’est plus uniquement question de sport et son sort résonne avec toutes les femmes d’Iran, elles-mêmes étouffées, paralysées ou asphyxiées, par leur pays au quotidien.

Arienne Mandi dans Tatami
L’heure de reprendre le dessus

Bien sûr, les métaphores ne sont pas très subtiles, mais avec son rythme crescendo, Tatami parvient toujours à les rendre pertinentes. Le noir et blanc supervisé par le chef opérateur Todd Martin vient d’ailleurs sublimer l’ensemble. Car non seulement l’écrin visuel de Tatami est d’une incroyable beauté, mais la profondeur des noirs accentue la sensation que les personnages sont aspirés par une force qu’ils ne peuvent maitriser. Une horreur sombre, tapie dans l’ombre et ne cherchant qu’à les réduire au silence à tout jamais.

Plus encore, le judo n’avait probablement jamais été aussi bien mis en scène au cinéma qu’ici. En s’approchant au plus près des corps pour capturer les duels de l’intérieur et suivre l’épuisement progressif des judokates (du son de leur respiration à la danse de leurs mouvements), les cinéastes se réapproprient à leur manière les combats de boxe immersifs du Raging Bull de Martin Scorsese (référence évidente et confessée par Nattiv). Bref, même si Tatami est loin d’être parfait, il frappe fort et est l’une des plus belles preuves que l’art et le sport ont, sont et seront toujours politique.

Affiche française de Tatami
Rédacteurs :
Résumé

À la fois huis-clos redoutable, thriller sportif captivant et drame politique engagé, Tatami confirme la vitalité du cinéma iranien (et désormais israelo-iranien). 

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