Films

The Bikeriders : critique des fous du guidon

Par Alexandre Janowiak
18 juin 2024
MAJ : 18 juin 2024
23 commentaires

Depuis 2016 et Loving, Jeff Nichols vivait une sorte de petit cauchemar hollywoodien. Entre sa série remake Alien Nation qui n’a jamais vu le jour et ses projets de cinéma portés disparus (Yankee Comandante adapté de David Grann) ou désertés (Sans un bruit : Jour 1 confié à Sarnoski après son départ), Jeff Nichols a erré avant de se plonger dans The Bikeriders, adaptation du roman-photo éponyme de Danny Lyon. Terminé depuis début 2023, le film de motards a été abandonné par Disney avant de retrouver une maison avec Focus Features (division d’Universal) et heureusement. Mené par Austin Butler, Jodie Comer, Tom Hardy ou encore Michael Shannon, The Bikeriders signe le beau retour de l’Américain aux affaires, ce 19 juin en salles.

Tom Hardy, Austin Butler et Jodie Comer dans The Bikeriders

conduite sauvage

« On veut tous appartenir à un groupe. On est rejeté partout, mais là, on est ensemble », explique un personnage dans les premières minutes de The Bikeriders. Ce message encapsule une grande partie de la filmographie de Jeff Nichols. L’Américain s’est en effet toujours attelé à raconter le parcours de réprouvés : qu’ils soient perdus (comme dans Shotgun Stories), pris pour des fous (comme dans Take Shelter), vagabondent (comme dans Mud), fuient une simili-chasse aux sorcières (comme dans Midnight Special) ou affrontent le système qui les accable (comme dans Loving).

Avec son sixième film, Jeff Nichols continue à explorer ses marginaux-indésirables (et/ou prolétaires en général) subissant une société qui préfère les repousser plutôt que les accepter tels qu’ils sont. Dans une succession de flashbacks, The Bikeriders raconte ainsi l’évolution des Vandals, un groupe de motards créé par Johnny (incarné par un Tom Hardy à son meilleur), à travers les yeux de Kathy (excellente Jodie Comer), jeune femme de caractère tombée amoureuse du séduisant casse-cou Benny (Austin Butler).

Le couple Benny et Kathy dans The Bikeriders
Fumer la vie…

Car qu’à cela ne tienne, quitte à être exclu du reste du monde, autant s’en créer un autre : le sien. « Ces bikers du début des sixties n’avaient pas adopté un moyen de transport, mais un mode de vie hors de la société. Peu de gens le font vraiment. La plupart trempent leurs orteils dans la marginalité, juste pour le frisson. Eux s’y étaient plongés en entier », a confié le réalisateur à Les Échos. Le moyen d’expliciter les raisons de son intérêt pour cette histoire, cette époque et ces fous du guidon.

La moto est non seulement leur ticket pour la liberté, mais aussi leur religion. Un moyen de s’accrocher à ce qu’ils leur restent, de croire encore à l’intérêt de vivre dans une Amérique qui les a volontairement oubliés. Ce n’est pas anodin si on ne voit (presque) jamais ce que font ces motards au quotidien : leur vie, celle qui les anime, ne tient qu’à cet amour de la bécane. En faisant vrombir leur moteur, en roulant à perte de vue ou en riant jusqu’à l’aube une bière à la main, ces prolétaires (routiers, mécanos…) peuvent enfin rêver. Ces délaissés ont trouvé une façon de former un collectif, de trouver une famille de substitution prête à se soutenir jusqu’à la mort (littéralement).

Un pub en feu dans The Bikeriders
… avant d’allumer le feu

les outsiders

Ce fantasme d’une vie en dehors des codes va donc vite les rattraper. Jeff Nichols n’a jamais caché son amour pour Martin Scorsese (« Un exemple à suivre » selon lui) et The Bikeriders est incontestablement son film le plus scorsesien. Dans une structure rappelant Les Affranchis et sa bande de gangsters, le film de Nichols est une sorte de rise & fall, amorçant à la fois la chute inévitable de ses personnages (masculins tout du moins) et la fin d’un âge d’or de la moto (et pas uniquement).

Avec une vraie intelligence narrative, The Bikeriders n’oublie en effet jamais d’ausculter cette décadence croissante en parallèle de l’effondrement global de l’Amérique (les conséquences post-guerre du Viet-Nam en ligne de mire) à travers des clins d’œil furtifs, mais efficients. Car leur Vandals, ce petit bout de paradis créé de toute pièce, n’est en vérité qu’une lueur d’espoir. Un culte voué à disparaître, ou plutôt à être rattrapé par la triste réalité d’un système prêt à tout dévorer, déformer, détruire et que ces motards n’ont jamais pu réellement quitter (malgré eux).

Austin Butler sur une moto dans The Bikeriders
En route vers nulle part

On pourrait presque dire que The Bikeriders est un road movie immobile, suivant la fuite en avant de personnages roulant inlassablement vers leur point de départ. C’est ce qui rend le film particulièrement émouvant, d’autant plus que Jeff Nichols offre tout l’espace à sa troupe grâce à sa caméra. S’ils sont maîtres absolus de leur destin, prenant possession du cadre lorsqu’ils chevauchent leur moto ensemble, les Vandals ne sont presque rien, relégués à des silhouettes minuscules-isolés au milieu d’étendues vides, lorsqu’ils en ont séparé.

D’une fluidité déconcertante, la mise en scène de Jeff Nichols atteint d’ailleurs un niveau encore jamais vu durant sa carrière. Le cinéaste parvient avec un naturel impressionnant (caractéristique de son cinéma) à nous transporter au plus profond de cette époque, à creuser son groupe, à sonder son ambiguïté dans un geste à la fois mélancolique et violent, nostalgique et brutal. Ne reste plus qu’à espérer qu’on ne doive pas attendre encore huit ans pour que Jeff Nichols nous fasse autant vibrer.

L'affiche française de The Bikeriders
Rédacteurs :
Résumé

Avec ce rise & fall scorsesien éthéré au cœur d’un gang de motards, Jeff Nichols continue à retracer le parcours mélancolique de marginaux-prolétaires cherchant leur place et ce en quoi croire dans cette Amérique oubliée. Retour gagnant.

Autres avis
  • Geoffrey Crété

    The Bikeriders, c'est comme Austin Butler dans le film : beau mais poseur, charmant de loin mais chiant de près. Jeff Nichols fait son petit film de mafieux avec des bikers, et c'est très certainement son scénario le plus faible, impersonnel, et grossier.

Tout savoir sur The Bikeriders
Vous aimerez aussi
Commentaires
23 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
MorganeBTK

Très déçue de ce film … Je me suis ennuyée …. Austin Buttler est vraiment désagréable a regarder …. Il passe son temps à poser et a se regarder jouer.
Jodie par contre wow !

Bibi

A se demander si ce critique a réellement vu ce navet ennuyeux ou on voit plus les bars que les sorties moto !!!

Isa

Rien de bien nouveau, pour qui connaît la série Sons of Anarchy qui avait au moins le mérite de développer les personnages secondaires dans la durée et nous épargnait le happy end…
J’ai été assez déçue.

Flo

Encore une évolution chez Jeff Nichols : certes on n’est toujours dans le Passé, dans une histoire inspirée de faits réels – ce livre de photos et interviews de Danny Lyon.
Mais cette fois on s’éloigne du Sud pour aller dans le Midwest. Et on met littéralement de côté la famille pour ne garder que la communauté de marginaux. De motards en l’occurrence…
Sont-ce des Anarchistes ? Non, pas encore, parce que l’histoire raconte le moment d’avant, quand il ne s’agissait que d’une bande de durs qui aiment se réunir pour glander à motos, en parallèle de leur travail, de leur vraie vie officielle (qu’on ne verra d’ailleurs pas beaucoup). 
D’ailleurs ce sont les petits instants du quotidien, émaillés de quelques bastons et provocs, qui vont rythmer ce film visuellement élégant… où Tout le casting est d’une évidence !

Tom Hardy, plus sobre et grave que ses dernières années (il fait un peu « vieux singe »), Austin Butler en sempiternel rebelle séducteur Rétro… Mais aussi Damon Herriman, Boyd Holbrook, Michael Shannon (c’est la première fois que Nichols le filme en mode « tronche de traviole ») etc… que des gueules ! Et pendant qu’on y est, rajoutons aussi Norman Reedus en cousin californien, encore plus crade que d’habitude (c’est un exploit).
C’est simple, Pas Un Seul acteur principal à contre-emploi là dedans, ils font tous « ton sur ton ».
Même Jodie Comer, narratrice ploucarde, membre d’un triangle affectif où elle et Hardy convoitent Butler… elle a beau avoir calé son jeu et sa diction sur la vraie Kathy du livre, on a quand-même l’impression de retrouver le comique décalé et éberlué que déployait l’actrice dans « Killing Eve » (on dirait même Louise Bourgoin).

Ce qui en fait avant tout une comédie un poil dramatique, qui serait aux « Sons of Anarchy » ce que « Les Soprano » étaient pour « Les Affranchis » (en inversant films et séries) : le portrait d’un groupe de machos pas très malins, qui ont trouvé leur inspiration dans des films (le spectre va de « L’Équipée sauvage » à « Easy Rider »), qui se la racontent beaucoup, qui ont des règles un peu bancales, une morale à deux vitesses… et qui meurent plus à cause de pépins du quotidien plutôt qu’à cause de règlements de compte sanglants. Comme chez David Chase, l’énergie rock et la violence de mauvais goût ne font pas tout… le dépit et la mélancolie doivent avoir une place encore plus grande.
Et puis leur beau rêve (pas si américain) ne peut que se casser la figure quand, un peu comme dans « Loving », la grande Histoire leur rentre dedans. Notamment la fin des idéaux de leur pays (Vietnam, drogues, insécurités), ce qui va gangrener les clubs, faire fuir les fondateurs et transformer une bonne partie en organisations criminelles…

La famille (le couple en l’occurrence, avec madame aux commandes) peut-elle représenter une bonne échappatoire, même pour les jeunes casse-cous ?
Ça, on n’en est pas si sûr à la fin… 
Tant mieux !?

Dario De Palma

Je ressors de la séance, je m’y suis ennuyé du début à la fin. Un film peu incarné, au scénario peu consistant. C » est mou, redondant, la vie et la mort de ces bikers n’impliquent pas le spectateur. L' »ouverture sur fond de Steppenwolf d' »Easy Rider » a plus de vie et d’ampleur que ces presque deux longues heures de « The Bikeriders »!

eddie-felson

J’en sors, je n’en attendais rien de spécial et, à l’arrivée, c’est une bonne surprise, un film presque d’une autre époque dont les effluves rappellent un “Rusty James” “Outsiders” avec une pointe de nostalgie façon “stand by me”. Le casting est au top, mention spéciale à Jodie Comer dont la narration et le jeu font beaucoup dans la réussite de ce dernier Nichols. Un beau petit film sans prétention à découvrir.

Sess

D’accord avec Geoffrey, et pourtant j’adore ce réal… Mud et Take Shelter sont des pépites. Shotgun Stories un très puissant premier film.
The Bikeriders est peu captivant, désincarné, et clairement ennuyeux.

Hasgarn

À tout ceux qui m’ont répondu.

Vous avez probablement raison. Merci pour vos conseils et merci de me recommander ces films. Mais non merci quand même.

Ce sont des choses qui arrivent. Tout le monde n’aime pas tout et je ne me forcerai plus à voir des films dont l’auteur ne me plaît pas.

Je déteste Kubrick. Ses films les plus loués m’ont tellement laissé sur le carreaux que je ne me fais plus violence quand un réalisateur ne semble pas me plaire. j’ai regardé 2001, Barry Lyndon, Shinning pour la culture et parce que tout le monde trouve ces films extraordinaires. Et ben pas moi.
Ce sont quand même des chefs d’œuvres, je ne suis personne pour décider ce qu’ils sont ou pas, mais je ne les aime pas.
C’est formidable qu’il plaise à d’autres, il en faut pour tout le monde.

Mais pour moi, Nichols, c’est « un jour peut-être » tout comme Wes Anderson, d’ailleurs. Je n’aime pas et c’est pas grave.

crakman

perso Austin Butler je peux pas l’encadrer , ça tête de jeune premier m’insupporte c’est physique il a une tête à claques ce qui m’empêche de voir tout film ou il joue alors ce sera sans moi

rientintinchti2

Oh un autre produit de la planmarshallisation globalisée idéalisé et sacralisé par une jeunesse abrutie et ubérisée (Lire Michel Clouscard)