Vie pourrie simulator
La programmation de l’Étrange Festival l’aura démontré cette année : le thème ô combien délicat de l’infanticide et de ce qu’il révèle de son temps fascine les cinéastes habitués des tapis rouges. La Jeune fille à l’aiguille, présenté en compétition à Cannes, le traitait avec un misérabilisme qui n’aura pas fait l’unanimité sur la Croisette (chez Ecran Large non plus), malgré des qualités esthétiques indéniables. The Devil’s Bath s’ouvre lui carrément sur un meurtre de bébé.
Une longue première séquence glaçante qui donne le ton du long-métrage, lequel ne va absolument rien nous cacher du destin de sa protagoniste, énoncé blanc sur noir grâce à un carton dès l’introduction. Comme son homologue danois, le film s’inspire de faits historiques documentés. Toutefois, et c’est ce qui fait l’intérêt du projet avant tout, il dépeint moins un acte criminel isolé qu’une tendance propre à la période dépeinte, dont l’énonciation suffit à hérisser les poils du dos et à en tirer les conclusions les plus pessimistes sur les sociétés humaines.
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Mais Franz et Fiala ne s’en contentent pas et détaillent ses causes à travers le personnage d’Agnes (largement inspiré de la véritable Ewa Lizlfellner), jeune femme heureuse d’avoir quitté le cocon familial et épousé Wolf. Spoiler : la vie dans le milieu paysan autrichien des années 1750 n’est pas un long fleuve tranquille. D’autant plus pour une femme qui a épousé un homme refoulant de toute évidence son homosexualité, alors totalement inconcevable.
Les non-dits, c’est ce qui empoisonne ce monde froid et âpre, où la qualité de la soupe se mesure au nombre de « notre père » récités pendant la préparation. Et c’est ce qui va pourrir la vie d’Agnes, femme à la fois très sensible et très pieuse, désireuse avant tout d’avoir un enfant, mais incapable, comme chacun autour d’elle, de poser le juste diagnostic sur son état : la dépression. Car c’est le sujet de The Devil’s Bath : la dépression et à quel point la société européenne s’est bâtie sur son rejet absolu, au point de se vautrer dans une absurdité mortifère.
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Chroniques d’une dépression chronique
C’est une chose de relater une pratique, de mettre en exercice l’absurdité de la morale sociale (et donc religieuse à l’époque), qui pousse les femmes à bout et leur interdit même d’ôter leur propre vie, sous peine de filer droit en enfer. De s’immerger dans un monde si complaisant envers la souffrance psychologique qu’il finit par indirectement corrompre ceux qu’ils considère comme les plus purs. Cette ironie fait basculer le récit dans l’horreur pure par instant, surtout au moment de souligner à coups d’inserts glaçants l’hérédité morbide du cycle.
C’est autre chose de raconter la descente aux enfers de Agnes en adoptant vraiment sa perspective, et en prenant son mal-être au sérieux. En documentant, au risque peut-être de paraitre rébarbatifs, chaque coup de marteau asséné à sa sensibilité, les cinéastes font du spectateur le seul capable d’empathie sur ces terres désolées. Un usage de l’ironie dramatique renforcé par l’introduction, qui rend probablement le film moins aimable, mais bien plus pertinent.
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Paradoxalement, en suivant le calvaire de la jeune femme, Franz et Fiala font de nous les seuls témoins de ce qu’elle vit vraiment. De même qu’en racontant son histoire avec toute la cruauté dont est capable leur mise en scène, ils soulignent l’étouffement progressif de sa personnalité, qui perd une nouvelle occasion de s’exprimer à chaque séquence. L’empathie n’aurait pas non plus été au rendez-vous sans la performance de Anja Plaschg, à l’origine démarchée pour composer la musique sous son alias Soap&Skin, mais qui a finalement hérité aussi du rôle principal.
Elle est pour beaucoup dans le climax du long-métrage, un long plan fixe exprimant enfin avec émotion tous les non-dits et les espoirs contrariés qui ont accablé cette misérable existence. Pourtant presque doloriste sur les bords (comme les autres films du duo), The Devil’s Bath fait la différence entre le tire-larme racoleur et la chronique empathique, quand on le compare à d’autres œuvres du même acabit.
Et à l’heure ou les influenceurs osent éructer qu’ils n’en ont « rien à foutre de ta dépression », il explore les fondations d’un édifice tout entier tourné contre les personnes sujettes à ce mal, encore bien solide et pourtant largement occulté par des systèmes moins dévots, mais pas moins diaboliques.
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J’avais pas spécialement aimé Goodnight Mommy, mais bien apprécié The Lodge.
Mais malgré des relents de « elevated Horror » je n’arrive pas à mettre ces films dans cette case.
Mais je me laisserai tenter par ce nouveau film !