THALAPATHY VS VIJAY
Tout amateur de cinéma indien sait à quel point les différentes industries régionales sont encore dominées par le culte des superstars. Et s’il y a bien un homme qui définit le cinéma tamoul moderne, au-delà de l’inclassable Rajinikanth, c’est sans le moindre doute Thalapathy Vijay. Chaque sortie en salles de l’acteur est un raz-de-marée populaire. Il était donc évident que The Greatest of All Time serait un des événements majeurs de l’année kollywoodienne.
Mais si ce film est aussi important aux yeux du public, c’est aussi pour une autre raison. Thalapathy Vijay a annoncé se retirer de l’industrie cinématographique afin de se lancer en politique. Il s’agit ainsi de son avant-dernier film avant une retraite anticipée qui prend toute l’industrie tamoule par surprise. Conscient de l’immense pression qui repose sur ses épaules, le cinéaste Venkat Prabhu transforme son long-métrage en hommage de trois heures à la gloire de sa superstar. Les références à la filmographie de l’acteur sont innombrables, tout comme les dialogues méta et les purs moments de fan service.
Cette dimension méta fonctionne en grande partie grâce à l’immense charisme de Thalapathy Vijay. L’acteur tient un double rôle et livre deux performances flamboyantes. Sa présence à l’écran parvient presque à nous faire oublier un rajeunissement numérique très discutable lors des séquences de flashback. Mais cette glorification permanente de la superstar est également la grande limite de The Greatest of All Time. En dehors de son double rôle, tout le reste du casting est totalement effacé. Les personnages secondaires n’existent pas. La déclaration d’amour se fait au détriment de la narration.
À vrai dire, même Venkat Prabhu semble s’effacer derrière l’enjeu vertigineux de créer un film à la hauteur de Thalapathy Vijay. Capable de longs-métrages extravagants et créatifs comme Maanaadu, le réalisateur se limite ici à un blockbuster plutôt efficace, mais bien trop générique. Sa mise en scène ne nous surprend jamais et on peine à reconnaître le style passionnant du directeur de la photographie Siddhartha Nuni (Captain Miller, Lucia) tant le résultat à l’écran semble lisse.
LIMITE LIMITE
S’il y a bien un point noir qui ressort de The Greatest of All Time, c’est son manque d’équilibre. Après une séquence d’ouverture dynamique et très efficace, on bascule vers une comédie familiale qui ne fonctionne presque jamais. Il faudra attendre près d’une heure avant qu’un élément perturbateur, divulgâché par n’importe quel poster du film, vienne enfin présenter les enjeux du scénario. Cette mauvaise gestion du rythme crée un récit inégal, qui aurait gagné à être affiné et raccourci.
On pourrait saluer une deuxième partie largement plus efficace. Une fois que le second Vijay est utilisé à la hauteur de son potentiel, la narration devient bien plus fluide. Malheureusement, la séquence finale retombe dans les travers de la première heure en étirant inlassablement un concept qui aurait pu créer une séquence sous tension mieux tenue.
L’autre rendez-vous manqué se trouve du côté de la bande originale. Les thèmes musicaux de Yuvan Shankar Raja peinent à traduire l’énergie grisante que l’on attend habituellement d’une super-production kollywoodienne. Et ce n’est pas une reprise surprenante et bien placée du thème de Mission Impossible le temps d’une séquence d’action qui suffit à sauver l’ensemble.
Même constat du côté des chansons, qui sont particulièrement mal intégrées au récit et tombent souvent comme un cheveu sur la soupe. On quitte The Greatest of All Time avec l’immense regret de se dire qu’un film réunissant deux danseurs prodigieux comme Thalapathy Vijay et Prabhu Deva n’a pas été capable de nous offrir au moins une chorégraphie spectaculaire et mémorable.
PROMESSE (UN PEU) TENUE
Il serait cependant faux de voir The Greatest of All Time comme une simple sortie de route. Le blockbuster de Venkat Prabhu tient en partie sa promesse d’être un divertissement populaire efficace. Difficile de bouder son plaisir devant les nombreuses séquences d’action généreuses qui viennent élever le récit. On retiendra tout particulièrement la course-poursuite dans le métro qui survient juste avant l’entracte, un véritable modèle d’efficacité et de tension.
Cette générosité se retrouve également dans l’écriture. Une fois la première heure passée, le film enchaîne les rebondissements les plus fous afin de venir continuellement surprendre le spectateur. Si les twists ne fonctionnent pas tous, force est de reconnaître que plusieurs séquences réussissent très bien à relancer les enjeux narratifs. On saluera également l’envie qu’a le cinéaste d’explorer la face sombre et inquiétante de Vijay, bien que Lokesh Kanagaraj l’explorait avec plus de talent dans Leo.
Ce qui fonctionne le mieux dans le grand spectacle proposé par Venkat Prabu, c’est la volonté du cinéaste de tourner ses séquences d’action dans des décors réels. Que ce soit à Chennai, Bangkok ou encore Moscou, The Greatest of All Time nous fait voyager et utilise les villes comme un univers ludique et immersif. Lorsqu’on compare ces séquences nerveuses à celles qui reposent en plus grande partie sur des effets spéciaux franchement discutables, la différence de qualité est stupéfiante.
Malgré ses nombreux défauts, The Greatest of All Time reste un divertissement honnête et sympathique. Les séquences d’action fonctionnent, même si un montage plus fluide aurait pu décupler l’efficacité du spectacle. Et quoi qu’il en soit, toutes les imperfections pourront être balayées du revers de la main par les fans de Thalapathy Vijay qui ont droit à un best-of de trois heures à la gloire d’une légende vivante.