Knock, knock, it’s John ! John Woo ?
Lorsque le carton « réalisé par John Woo » apparaît à l’écran, c’est sur une volée de colombes (ou plutôt de pigeons, vu le décor) digne d’une grande migration. Pour certains, c’est désormais à ça que se résume le cinéma du Dieu de l’action hongkongaise : une succession de gimmicks collés les uns aux autres comme de vulgaires caméos Marvel. L’auteur de ces lignes percevait encore un style dans son très, très bancal Silent Night. Mais The Killer pourrait bien, malheureusement, leur donner raison.
Le cinéaste a pourtant tout fait pour revenir aux grandes heures de sa filmographie. Il reprend l’essentiel de son chef-d’œuvre, son alliance improbable, ses codes d’honneur, ses flics en costard, son église désacralisée et donc son symbolisme excessif. Nathalie Emmanuel, victime de la malédiction Game of Thrones, récupère le rôle de l’assassin Jeff, autrefois tenu par le grand Chow Yun-fat. Notre Omar Sy national récupère celui de l’inspecteur Li. Lorsqu’une tueuse aveugle accidentellement une jeune femme, elle doit faire face à ses patrons… et à un flic incorruptible.
Sauf que tout est d’une artificialité sidérante. Le scénario est déballé péniblement entre deux pubs pour Heineken, transformant les symboles en clichés, et les excès en sommets de ridicule. Les internautes les plus véhéments n’attendaient que sa sortie pour tirer à boulets rouges sur le casting, toujours désigné responsable lorsque leur nostalgie est mise à mal. Mais difficile de juger la performance de leur tête de turc Omar Sy ou de ses collègues, forcés de déblatérer des répliques tirées de manuels de développement personnel qui feraient passer Daniel Day-Lewis pour Steven Seagal.
Même les commentaires des figurants insérés dans le mix sonnent faux, probablement mal traduits d’un scénario écrit à six mains… pas du tout en français. La voilà, la racine du mal : la délocalisation.
Omar Sy in Paris
Quoi de plus logique que le cinéaste investisse la capitale, quelques années après son héritier américain le plus populaire (John Wick 4) ? Si The Killer est sorti en salles en France, mais pas aux États-Unis (où il a dû se contenter de Peacock), c’est non seulement parce qu’il embarque un casting bien de chez nous, mais aussi parce qu’il parcourt les rues parisiennes.
Ironiquement, les Français et surtout les franciliens seront encore moins dupes que leurs homologues américains. John Woo et ses scénaristes ont clairement essayé de se démarquer en changeant de décor, mais l’utilisation qu’ils en font rappelle surtout Emily in Paris. Au point où deux flics français avec un accent à couper au couteau en viennent parfois à discuter entre eux en anglais.
Alors d’un point de vue touristique, c’est parfait et nul doute que le long-métrage parviendra à séduire quelques touristes supplémentaires, qui s’évanouiront une fois arrivés à Gare du Nord. D’un point de vue artistique, c’est d’autant plus discutable que le film original et ses semblables étaient des peintures de Hong-Kong par des auteurs de Hong-Kong. En s’expatriant, le cinéaste sacrifie la singularité de ses ambiances poussiéreuses pour des images d’Épinal hollywoodiennes, soit exactement ce à quoi il constituait une alternative. Pas question de le blâmer directement : l’espace-temps où il s’est épanoui est désormais révolu. Mais dans ce nouveau contexte, l’image sur-utilisée des colombes ne tient plus que de la référence balourde.
Heureusement, John Woo s’amuse toujours autant à filmer l’action, et il nous gratifie d’un climax généreux, blindé de délires chorégraphiques et de mouvements de caméra virtuoses. Cette séquence, ainsi que les quelques relents de génie qui font irruption de temps à autre, compensent à la limite l’accent irlandais de Sam Worthington. Pour le reste, et en dépit du respect éternel qu’on voue à l’artiste, ce remake témoigne surtout du vide qu’a laissé la rétrocession dans le 7e art. On vient pour le shoot de nostalgie, on en ressort en deuil.