Quand Netflix veut faire du Disney
The Witcher : Les Sirènes des abysses est une adaptation d’un texte bien précis de Sapkowski, qui s’appelle Une once d’abnégation et qui fait partie du recueil intitulé L’Épée de la providence, initialement publié en 1992. On retrouve donc, dans le film d’animation, cette histoire d’un jeune prince humain et d’une jeune princesse sirène qui s’aiment et qui devront lutter contre leurs familles respectives pour permettre leur union. Geralt, comme à son habitude, se retrouve au milieu du conflit tantôt pour tuer des monstres, tantôt pour servir de psychologue de fortune.
C’est (déjà) là que commencent les problèmes pour le loup blanc et, malheureusement, pour le film lui-même. L’histoire de Sapkowski est évidemment inspirée de La Petite Sirène, célèbre conte d’Andersen, et c’est un héritage que le film Netflix ne prend pas à la légère. Disons même qu’il l’assume avec une lourdeur assez incroyable qui laisse le spectateur pantois…

Du design du château du prince au climax opposant les personnages à un monstre marin (Pirates des Caraïbes 2 est aussi largement pompé) en passant par la caractérisation d’une sorcière des mers qui n’est ni plus ni moins qu’une Ursula bon marché, tout est repris directement de la version Disney du conte. Malheureusement, il manque l’inventivité, la beauté esthétique et la qualité de l’animation (rien que ça).
Pour dire à quel point Les Sirènes des abysses verse beaucoup plus dans le colmatage de fissures à coups de références épaisses que dans le noble hommage, il suffit de repenser à la séquence au cours de laquelle la jeune sirène va chercher l’aide de sa tante la sorcière des mers. Celle-ci chante à l’héroïne les bienfaits de ses potions en jetant des fioles dans un tourbillon dans une redite trait pour trait mais extrêmement cheap de la scène du Disney.
Sauf qu’il s’agit de la seule chanson du film (si on oublie les une ou deux chansonnettes poussées par Jaskier lorsqu’il se donne en spectacle) et qu’elle intervient au bout de plus d’une heure de récit, faisant arriver le concept de passage chanté comme un cheveu sur la soupe dans cet univers où aucun autre personnage ne chante ses dialogues.

Geraltment vu ça
L’effet est ridicule (autant que l’intérêt musical est inexistant), mais pas tout à fait autant que l’approximation totale du scénario, qui se permet d’enchaîner une séquence au cours de laquelle les deux jeunes amants discutent après une partie de jambes (et de queue de poisson) en l’air, et une séquence ou les deux amoureux ont tout à coup besoin d’une interprète pour se comprendre.
Quel dommage que Les Sirènes des abysses soit continuellement tiré vers le bas par de telles énormités, parce que la perspective de voir Geralt explorer un univers fantastique marin était très alléchante, et l’occasion de mettre en scène des créatures variant un peu des monstres habituels croisés par le sorceleur. De plus, la reprise du récit d’Andersen, avec une fin détournée ici de façon plutôt maligne, aurait pu être une vraie réussite si le film Netflix ne s’était pas appliqué à plagier le Disney sans vergogne et sans talent.

Les efforts réels de mise en scène, avec des plans plutôt inventifs qui viennent dynamiser efficacement les scènes de combat, et une reprise réussie du ton si particulier des dialogues du jeu sont comme le vague reliquat d’une envie de bien faire les choses. Et peut-être que le résultat aurait été digeste si le film avait au moins assuré soit son écriture, soit son esthétique.
Malheureusement, le dessin fade et sans personnalité, les couleurs horriblement ternes et l’animation raide ne font que confirmer que l’animation made in Netflix a décidément encore beaucoup à faire pour convaincre, puisque The Witcher : Le Cauchemar du loup ou la série Tomb Raider : La Légende de Lara Croft ne renieraient pas ce style de médiocrité généralisée.

Jeu vidéo ou série, il faut choisir
A force de vouloir rentrer dans le moule en nivelant par le bas, Les Sirènes des abysses ne sait d’ailleurs pas à quel saint se vouer pour parler au plus grand nombre. Confondre Andersen et Disney est une chose, mais le film oscille constamment entre la fidélité à la série et la fidélité au jeu vidéo, la fidélité à Sapkowski n’étant sans doute pas suffisante pour contenter l’idée que Netflix se fait du grand public. Si le Jaskier des Sirènes des abysses est beaucoup plus proche de celui de la série (c’est d’ailleurs Joey Batey qui le double), ce n’est pas le cas de Geralt qui retrouve ici sa voix de The Witcher 3 (Doug Cockle en anglais, Daniel Njo Lobé en français).
Certains personnages sont aussi beaucoup plus proches de leur version vidéoludique : on pense aux apparitions de Yennefer, à Essi (au doublage absolument catastrophique en VO) qui est un ersatz de la Priscilla du jeu, et au roi qui est une pâle copie de Crach an Craite. De même que certains éléments de décor sont tout simplement copiés-collés de l’œuvre de CD Projekt RED.

Dans cette indécision artistique globale, entre références plus ou moins assumées et molles prises de liberté, Les Sirènes des abysses ne parvient pas à affirmer une direction et à se suffire à lui-même. Il en va de même pour le récit, truffé de renvois à la vie de Geralt, qui laisseront sur le carreau ceux qui ne sont pas familiers du sorceleur, alors même que Les Sirènes des abysses n’est pas censé être la suite directe d’une œuvre préexistante.
On retiendra quand même de ce film ce qu’il aurait pu être : un conte reliant Geralt à l’univers tragique d’Andersen avec un monde proche de Skellige dans lequel les sirènes sont, contrairement à celles du jeu vidéo, une civilisation intelligente, le tout avec quelques belles scènes de bataille et une jolie fin. La prochaine fois, peut-être ?
The Witcher a déjà une saison 5 de confirmée
Ça ne donne pas très envie tout ça.
Petite remarque ; la 4eme saison de the witcher ne sera pas la dernière, mais l’avant dernière (à moins que j’ai raté les dernières mise à jour).
Et concernant « Essi », Essi Daven (aka petit œil) c’est un personnage de la nouvelle « Une once d’abnégation » Et la Priscilla du jeu en est inspirée, et non l’inverse.
HS : à quand une critique de la série animée Scavengers Reign ?