La saga Mission : Impossible, pensée pour et par Tom Cruise, en dit beaucoup sur l’homme et l’acteur.
Plus de deux décennies sont passées depuis le premier épisode de la franchise, sorti en 1996. Six films pour arriver à Mission Impossible : Fallout où Tom Cruise sauve une nouvelle fois le monde, ou du moins son monde.
Pour l’acteur dont la carrière en dit très long sur sa propre personne et son rapport aux choses, la franchise d’action est un formidable prisme par lequel le voir et le comprendre.
S’accrocher à son propre mythe
CRUISE CONTROL
En 1996, Tom Cruise a déjà connu le succès. Top Gun, Risky Business, Rain Man en ont fait une star en pleine ascension. La Couleur de l’argent de Martin Scorsese, Des hommes d’honneur de Rob Reiner ou Né un 4 juillet d’Oliver Stone ont affirmé ses ambitions. Ce dernier lui offrira d’ailleurs au passage sa première nomination pour l’Oscar du meilleur acteur. Mais il voit grand, et passe donc par ce qui est une étape quasi obligé pour beaucoup : avoir sa propre boîte de production.
Ainsi naît Cruise/Wagner Productions en septembre 1993. Avec une idée claire : permettre à Tom Cruise d’avoir plus de contrôle artistique et financier sur ses films, et prendre en main une carrière alors lancée vers les étoiles. Il signe un accord exclusif avec le studio Paramount qui y voit sans surprise le coup du siècle. Mission : Impossible sera leur premier film. En ça, il illustre un moment charnière dans sa carrière.
Cruise s’approche du contrôle absolu, tel Icare du soleil
Cruise cherche d’abord Sydney Pollack pour emballer la chose, avant d’engager Brian De Palma. Dans les deux cas, il y a le désir clair de reconnaissance et filiation avec le Hollywood doré des années 70 et 80. De contrôler son image de marque. C’est pour cette raison qu’il insistera aussi pour que le scénariste Robert Towne, oscarisé pour Chinatown, vienne peaufiner l’histoire – quitte à lancer une lutte entre lui, De Palma et l’autre scénariste David Koepp. Il ira chercher une même forme de noblesse mondiale avec John Woo, qu’il choisit (après le désistement de De Palma, et Oliver Stone), cinéaste ultra-populaire, issu d’un courant hors-Hollywood.
Puis, le contrôle l’emporte. Pour Mission : Impossible 3, il s’attire les services de David Fincher, qui ne tardera pas à s’en aller. Et lorsque Cruise cherche un étalon plus novice en Joe Carnahan, même chose : celui-ci quitte vite le navire. Panique à bord, et solution de rechange : l’acteur va pêcher J.J. Abrams, en plein succès d’Alias. Qu’Abrams n’ait jamais réalisé de long-métrage a certainement aidé à contrôler la machine.
Mais tout déraille lorsqu’en août 2006, la Paramount met fin à leur collaboration. En cause : le comportement de l’acteur qui, entre le troisième épisode de la saga et La Guerre des mondes, est parti en vrille sur la scène médiatique, entre démonstration de joie un brin excessives et rumeurs sur ses soucis personnels. En somme : un manque de self control.
Tom Cruise résiste, prouve qu’il existe
C’est alors passionnant de voir comment Tom Cruise a géré ce virage. Pour Mission : Impossible – Protocole Fantôme, il fait un pas en arrière. Pour la première fois de la saga, il partage littéralement l’affiche avec d’autres acteurs. Il laisse entrer un faux successeur, avec Jeremy Renner, qui assure cette fois la cascade en hommage au casse de la CIA dans le premier film. Tout est devenu fragile, et l’acteur, en deuil passif-agressif durant tout le film, semble en avoir conscience.
Sauf qu’Ethan a en réalité le contrôle absolu de la situation. Il n’a pas perdu Julia, l’amour de sa vie : il a mis en scène sa fausse mort pour mieux renaître de ses cendres et maîtriser absolument les choses. C’est ce qu’a fait Tom Cruise avec cet épisode-renaissance, qui sera un gigantesque succès en salles, et où sa mine déconfite laissera place à un sourire heureux à la fin.
Pour Rogue Nation, Cruise engage Christopher McQuarrie, et là encore c’est une question de contrôle : c’est un réalisateur frais, qui n’avait rien réalisé depuis le flop Way of the Gun avant de rencontrer l’acteur pour Jack Reacher, mais c’est en plus un vrai allié. McQuarrie a écrit Walkyrie, Edge of Tomorrow, et même « sauvé » Protocole Fantôme en venant le réécrire en plein tournage. Il co-écrira aussi La Momie.
Ne pas se perdre dans sa propre tempête
Ce n’est pas anodin si McQuarrie est le premier réalisateur à filmer deux aventures d’Ethan Hunt : Tom Cruise a trouvé en lui un collaborateur fidèle, et c’est ce qu’il cherche. Depuis Rock Forever, sa filmographie est articulée autour d’une poignée de réalisateurs, scénaristes et producteurs de confiance. McQuarrie donc, mais aussi Doug Liman (Edge of Tomorrow, Barry Seal : American Traffic) et Edward Zwick qu’il retrouvait après Le Dernier Samouraï.
Il a donné sa chance à Alex Kurtzman dont La Momie était le premier film, mais avec McQuarrie au scénario. Et les deux prochains films de Cruise sont Top Gun : Maverick, une suite chapeautée par Joseph Kosinski (Oblivion), et Edge of Tomorrow 2 où il retrouvera Doug Liman. Le Cruise est une affaire de contrôle, de confiance, et plus vraiment d’audace ou curiosité pure, comme c’était encore le cas dans les années 2000 avec Collatéral de Michael Mann ou Lions et agneaux de Robert Redford.
L’interminable ascension de Cruise
CRUISE VS LE SYSTÈME
CRUISE PRIVÉ
Ne comptez pas sur Ethan Hunt pour laisser ses affects s’étaler à l’écran. La presse people aura jasé des années durant sur la sexualité supposée de la star et sur ses relations, tout aussi contrôlées et compartimentées que le reste de son existence, et la saga Mission : Impossible viendrait presque en remettre une couche. Si John Woo a pu, essentiellement grâce à la mise en scène, caviarder l’intrigue de Mission : Impossible 2 de concepts qui transforment son intrigue du Club des Cinq en trip à la S.A.S ultra-spectaculaire, il est le seul à avoir pu sexualiser Cruise.
Dès J.J. Abrams, Hunt redeviendra un boy-scout prêt à tous les sacrifices et à toutes les folies, pas tant pour sauver son aimée, que pour éviter soigneusement de la retrouver. La figure de la femme a beau demeurer présente, tous les prétextes sont bons pour l’éviter, pour ne jamais être réunis, pour rester pure abstraction. La seule raison d’être de ces femmes (Michelle Monaghan, Rebecca Ferguson) est donc de nous dire comment Tom veut que nous le voyons, chevalier blanc, pur de tout désir, lavé de toute pulsion.
Ethan dans sa période homme-viril-tombeur-chaud
Pur mouvement, geste éblouissant sans cesse recommencé, Tom Cruise est aussi un homme qui s’est sacrifié pour son public. Que nous dit-il, en révélant dans Mission : Impossible – Protocole Fantôme qu’il a monté un faux assassinat pour protéger son épouse et continuer sa vie d’action star ? Très concrètement, le héros annonce qu’il est prêt à renoncer à sa vie privée, par amour du public. Hollywood vous a déçu, je dois remettre le métier sur l’ouvrage. Que ce soit en gros sa relation avec Katie Holmes qui se soit posée en obstacle dans sa trajectoire hollywoodienne, et ait contribué à mettre fin à son deal avec la Paramount, n’est pas anodin.
La star est en mission pour nous divertir, et Hollywood est bien incapable de prendre sa suite. Il ne peut donc raccrocher, et à la manière d’un saint laïque, ou d’un martyr emporté au cœur de jeux du cirque d’un genre nouveau, il ne cesse de remettre son corps et sa survie en jeu, pour notre plus grand plaisir, au gré de cascades dont chacun attend, sans l’admettre ni le verbaliser, qu’elles aient raison de ce grand sacrifié du 7e Art.
CRUISE VS LE FUTUR
En novembre 2010, Jeremy Renner avait un peu la confiance. Le Hollywood Reporter citait l’acteur, lequel faisait savoir que la saga Mission : Impossible pourrait se métamorphoser au gré de spin-offs ou remakes, dans lesquels il était susceptible d’apparaître. La chose n’était pas présentée aussi abruptement par le studio, mais l’intention était évidente : introduire le personnage de Jeremy Renner au public à l’occasion de Protocole fantôme, afin de le laisser remplacer un Tom Cruise perçu comme une potentielle planche pourrie.
C’est un Avenger, un Démineur, et quelques mois plus tôt, il a contribué à élargir le MCU naissant au sein de Thor. Renner a la gagne, la côte aussi bien du côté des amateurs d’action que des fans de James Gray (The Immigrant) Pour autant, sa notoriété est encore neuve, ce qui fait de lui une simili-page blanche, soit le candidat idéal pour se glisser dans la structure complexe d’une saga aussi dense que M:I.
« Je te jure, avec une flèche de Hawkeye, Ethan je le fous KO »
Sauf qu’on ne dépossède pas si facilement Cruise de la saga qu’il a façonnée, surtout après qu’il se soit construit un rôle iconique d’héritier cartoonesque de Jim Phelps. Transformé en petite boule de nerfs sous pression, Jeremy Renner doit composer avec un personnage qui n’est jamais défini qu’à travers son rapport à Hunt, et ne comprend jamais combien ce dernier le manipule.
Signe de l’intelligence stratégique de la méga-star : elle offrira à Renner son moment de bravoure, une cascade aux airs de piège. Son personnage y apparaît comme particulièrement lâche et peu désireux d’accomplir ce qui est attendu de lui, tandis que le saut dans le vide attendu de lui (référence au premier Mission : Impossible, assurée jusque là par Cruise dans la saga) paraît bien ridicule eu égard à la scène de varappe surréaliste qui a fraîchement précédé. En une séquence, Cruise démontre au spectateur et au studio que Renner ne peut pas prendre sa suite, n’a pas les épaules, et certainement pas le sens stratégique adéquat.
Ainsi, si le rythme de Mission : Impossible – Protocole Fantôme est un des plus curieux de toute la franchise (le film semblant sans cesse démarrer puis revenir en arrière, accumulant les séquences qui claquent, mais se souciant finalement peu de sa cohérence globale), c’est peut-être parce que Tom Cruise, en brillant joueur d’échec, s’autorise une expérience kamikaze. Jusqu’à son fabuleux climax, l’acteur donne le sentiment de jouer en sous-régime pour finalement reprendre le contrôle du récit, une fois tous les seconds couteaux écartés.
Les Avengers ne passeront pas par lui. Et si Tom a si aisément balayé Marvel, il va infliger une correction comparable à DC. Inviter Henry Cavill dans Mission : Impossible – Fallout, c’est bien sûr inviter Superman (tout un symbole), mais c’est aussi inviter le futur incarné. Le corps de Cavill est jeune, puissant, dépasse en tout celui de Cruise, même poussé dans ses derniers retranchements. Mais à la puissance sans limite du concurrent moustachu, Cruise oppose une nouvelle fois son intelligence et peut-être pour la première fois, son expérience. C’est cette dernière qui lui permet ultimement de supplanter l’adversaire Cavill, et qui l’autorise d’ailleurs à souiller ainsi son image quand enfin, il le domine. Il n’y a qu’à voir la manière dont le film de Christopher McQuarrie maltraite le corps et surtout le visage de l’acteur de Man of Steel et Justice League dans le climax, pour se dire qu’il n’y a rien d’innocent dans la manœuvre.
À ceux qui l’encourageraient à laisser sa place au futur, Tom répond par un triomphe absolu du présent, du flux, de sa maîtrise, qu’illustre parfaitement son amour immodéré des cascades.
Se mettre en scène aux côtés du futur
Si la carrière de Tom Cruise a toujours été simple et passionnante à décortiquer et analyser sous l’angle de la star, la saga Mission : Impossible l’est au moins autant, voire plus. En six films, la franchise, contrôlée d’une main de fer dans un gant de velour par l’acteur, a offert une scène de théâtre parfaite pour qu’il puisse mettre en scène sa personne, ses obsessions, ses ambitions et ses interrogations.
Mission : Impossible – Fallout le confirme de manière encore plus brutale et sèche, de ses enjeux scénaristiques à ses choix de casting. Au-delà du show assuré à l’écran, c’est ce qui rend la saga aussi excitante et puissante.
Il y a encore des intrigues, Il suffit juste de faire des films différents
L’analyse se tient.
Je serais même allé un poil plus loin en se demandant quel est le reflet de l’ego de Cruise à travers ces films ?
Après tout, dans les deux premiers il sauve sa peau, puis son équipe, puis Mission Impossible et maintenant… Le monde. Et de manière consciente et assumée dans Fallout.
Que reste-t-il à sauver dans une potentielle suite ?
À moins de revenir un peu sur Terre ça va être compliqué.
Excellente et passionnante analyse. Ça se tient bien en plus!
« Tom Cruise a beau être partie intégrante du système, il ne cesse de jouer en marge », on appelle ça un maverick, son pseudo dans Top Gun
J’aimerais bien que Cruise refasse une petite période bon film hors MI. Comme quand il enchainais le premier Jack Reacher et edge of tomorrow.
Entre 2 MI se serais pas mal
belle analyse, merci
@John Difool
Très bon point !
@Grunt
L’un n’empêche pas l’autre. Et le star system est vieux comme Hollywood : on analysait, suivait et pistait la construction des « personnages » des grands, à l’âge d’or hollywoodien, il y a des décennies déjà. Ca n’a rien de nouveau ou « moderne-méchant-pas-bien ».
Il y a moins de cinquante ans, l’exégèse portait sur des films profonds comme « Le Parrain » ou « THX 1138 », ce qu’ils disaient de la société, des gens, du futur. Aujourd’hui, les sujets sont Tom Cruise contre Marvel et DC. Mouais.
Wahooo
J’ignore à quel point tout cela peut être vrai mais faut reconnaître que ça tient la route.
Chapeau