S’il fallait résumer la magie Miyazaki en quelques films…
Alors qu’il travaille sur deux nouveaux films avec son fils chez Ghibli, malgré l’annonce sa retraite en 2013 avec la sortie du Vent se lève, Hayao Miyazaki revient dans les salles avec Le Château de Cagliostro. L’un de ses derniers films inédits dans nos cinémas a enfin l’opportunité d’être projeté, depuis le 23 janvier.
L’occasion de revenir sur l’oeuvre riche et magique du cinéaste japonais, avec une sélection de six films (classés par ordre chronologie) qui pourraient représenter l’essance de son imaginaire fabuleux.
NAUSICAÄ DE LA VALLÉE DU VENT
Quel rapport l’homme entretient-il avec la nature ? Quel message un film nous délivre-t-il ? Voilà deux des interrogations récurrentes des créations de Hayao Miyazaki.
Avec Princesse Mononoké, Nausicaä de la vallée du vent est certainement l’œuvre qui aborde le plus en détail cette question. Son univers, aussi original que saisissant, a inspiré la plupart des productions postérieures du dessinateur. Le film est sorti en 1984 au Japon, mais en France l’histoire est un petit peu plus compliquée. Le film sort une première fois en 1991, totalement remanié et retitré La Princesse des Étoiles, et il faudra attendre 2006 pour que l’oeuvre originale parvienne jusqu’à nos écrans.
Hayao Miyazaki, choqué par l’état de pollution de la Baie de Minamata et récemment nommé réalisateur d’un film d’animation pour Animage, imagine ainsi Nausicaä de la vallée du vent. Dans cette oeuvre, il illustre des temps troublés où une nature souillée a muté et se propage comme un cancer pour subsister, malgré le chaos : c’est la Fucaï.
En plus d’être extrêmement ambitieux et d’apporter des petites nouveautés dans le monde de l’animation, Nausicaä de la vallée du vent aborde des thèmes matures plus que vibrants de vérité aujourd’hui. De la guerre à la crise écologique en passant par la symbiose avec la nature, Hayao Miyazaki réussit à peindre un portrait poétique de ce monde post-apocalyptique.
Seule figure positive qui a pour unique ambition de comprendre la fucaï, sa manière de se défendre contre les hommes, et de s’en faire sa porte-parole, Nausicaä se dresse contre l’humanité et offre jusqu’à sa vie pour montrer au monde les conséquences de ses guerres.
Chef d’œuvre incontesté, Nausicaä de la vallée du vent est souvent perçu comme l’œuvre fondatrice de son créateur. Mais c’est également celle qui permettra à Hayao Miyazaki et Isao Takahata de fonder les studios Ghibli. Nausicaä de la vallée du vent s’impose par sa subtilité d’écriture, sa résonnance écologique et son final cathartique. L’attaque des ômus est aussi sombre, violente et inquiétante que Nausicaä est lumineuse et entièrement dévouée à sa cause.
LE CHÂTEAU DANS LE CIEL
C’est le premier film d’Hayao Miyazaki à avoir été réalisé pour les studios Ghibli. Sorti au Japon en 1986, il aura fallu (comme pour la plupart des œuvres du dessinateur) attendre de nombreuses années (janvier 2003) avant de voir Le Château dans le ciel en France.
Titré à l’origine Laputa : Le Château dans le ciel, le film va au-delà de sa référence assumée au roman de Jonathan Swift Les Voyages de Gulliver. Et il s’inscrit dans un corpus littéraire occidental véritablement dix-neuvièmiste. Laputa est l’une des destinations de Gulliver dans ses voyages au Japon certes, mais les machines volantes évoquent Jules Verne, les ouvriers Dickens, les espions et les pirates Maurice Leblanc.
Robot, nature et île flottante
Le Château dans le ciel est aussi un savant mélange entre références mythologiques et monde en pleine révolution industrielle, avec des éléments de science-fiction rétro-futuristes, des personnages d’une naïveté attachante, et une nature qui reprend ses droits. Le Château dans le ciel est une œuvre profondément originale. Là où Princesse Mononoké ou Le Voyage de Chihiro laissent surtout découvrir la culture niponne, le premier film des Studios Ghibli est truffé d’accessoires de l’imaginaire futuriste occidental de la Belle Epoque.
Si le film se présente d’abord comme une simple chasse au trésor, prétexte à de nombreux épisodes comiques et mouvementés, il est bien plus que ça. C’est une histoire d’héritage, un roman d’apprentissage.
C’est l’histoire d’une petite fille, Shiita, tombée du ciel et qui a hérité d’un médaillon magique. C’est l’histoire d’un petit garçon rêveur, Pazu, qui n’attend qu’une chose : partir en quête de Laputa, la mythique cité céleste, sorte d’Atlantide dans les nuages, que son père a pu un jour photographier d’un avion. Et c’est surtout un chef d’œuvre d’art et de poésie.
MON VOISIN TOTORO
« Je pense que si un enfant a vu un ou deux dessins animés dans sa vie, celui-là est déjà suffisant. S’il se rappelle ce dessin animé de temps en temps, et qu’il en garde l’impression d’avoir vu quelque chose d’extraordinaire parmi toutes les merveilles du monde, alors ce sera bien » disait Hayao Miyazaki à propos de Mon voisin Totoro.
Dans le cinéma, c’est souvent grâce au dessin animé que sont abordés les thèmes récurrents des fables pour enfant. C’est le médium qui se penche avec le plus de facilité sur la question de la vie avec les animaux, des règnes différents, du passage entre le végétal et le minéral, et du fait qu’on vive ensemble.
Mon voisin Totoro n’échappe pas cette règle et il est de loin le film d’Hayao Miyazaki où l’on retrouve le plus cette douceur enfantine. Le générique de ce film a marqué de nombreuse générations, il est même devenu la musique des Studios Ghibli et pourtant il aura fallu attendre de longues années avant de voir le film arriver en France puisqu’il n’est sorti qu’en 1999, soit 10 ans après sa production et sa sortie japonaise.
Dans Mon voisin Totoro, c’est tout un Japon traditionnel que le réalisateur dessine. Le film montre très simplement la maison familiale, au milieu des champs et des rizières, son architecture et ses murs qui coulissent et construisent l’espace, ses bains chauds à l’arrière. La maison elle-même happe tout de suite le spectateur, elle le transporte dans son univers. Et cett maison est hantée par de petits esprits, les « totoros », qui habitaient là bien tranquillement avant l’irruption des humains.
Nuit magique, sons synthétiques
« Totoro » existe dans la langue japonaise. C’est un mot qui fait référence à des elfes ou à des personnages mythologiques. Hayao Miyazaki réutilise ce terme et s’en sert pour en faire une sorte de grosse peluche, esprit du canfrier géant du jardin, et avec Totoro, on assiste à la naissance d’une sorte de mythologie.
Mon voisin Totoro un film bien plus étrange que merveilleux puisque le monde imaginé par Hayao Miyazaki fait toujours coexister deux explications à chaque évènement : une rationnelle et une autre qui l’est beaucoup moins. Cette façon de traiter la réalité fait de la vérité quelque chose d’ambigü et contrairement à ce qu’on peut penser au départ, le film n’est pas un simple conte pour enfant.
De fait, les choses vivent, même celles qui sont-semblent inanimées. Rappelez-vous des noiraudes du début, sorte de petites boules de suie personnifiant l’illusion d’optique quand on passe d’une grande lumière à la pénombre : elles sont tantôt des boules de suies, tantôt une illusion, mais toujours vivantes.
Mon voisin Totoro est d’abord un dessin film sur la vie quotidienne. Le spectateur entre dans la vie des deux petites filles qui vont voir leur mère malade à l’hôpital, qui vont attendre leur père à l’arrêt de bus, qui rencontrent leur voisin, qui vont à l’école… bref, des scènes triviales que Hayao Miyazaki réussit à embellir. La scène des deux petites filles à l’arrêt de bus n’est ni plus ni moins qu’une banale histoire de parapluie, qui devient merveilleuse grâce à l’arrivée du « bon gros Totoro« .
PORCO ROSSO
On a beau se rappeler Hayao Miyazaki comme le grand chef d’orchestre d’œuvres aux univers incroyablement poétiques, comme autant de fenêtres ouvertes sur un cinéma japonais dont l’héritage culturel semblerait soudain à portée de main, c’est oublier un pan de sa carrière. Bien sûr, le cinéaste demeurera comme l’inventeur de mondes passionnants, mais cette verve métaphorique se combine parfois chez lui à une étonnante appréhension du réalisme.
Hanté par l’échec du socialisme, la fin de la pensée du collectif, Miyazaki situe donc Porco Rosso dans l’Italie alors qu’elle bascule progressivement dans le fascisme. Toujours marqué par son père, ingénieur aéronautique, il use de ses souvenirs (comme il le fera dans Le Vent se lève) pour façonner un grand récit d’aventure, où une immense partie des émotions usent de l’aviation comme vecteur principal. C’est à un véritable poème de tôle, d’hélices et de carlingues qu’il nous convie.
La preuve la plus éclatante en est sans doute l’extrait ci-dessus, où la précision sidérante des représentations mécaniques cohabitent avec un sens de l’épure lyrique tout à fait remarquable.
PRINCESSE MONONOKÉ
Plus de dix ans après sa sortie (en 1997 au Japon, en 2000 en France), Mononoké résonne plus que jamais dans le monde. Impossible de ne pas être bouleversé par cette épique et fabuleuse histoire de lutte entre l’Homme et la Nature, où la colère, la haine et la peur grandissent et font bouillir le sang dans les deux camps, jusqu’à créer des monstres ravageurs de désespoir.
Revoir Princesse Mononoké, c’est être encore une fois frappé et touché en plein cœur par l’intelligence d’un propos, qui évite le manichéisme et prend soin de dessiner la complexité des liens fragiles – éventuellement belles, mais souvent terribles – qui unissent l’être humain et la nature qui l’a vu naître. Avec en plus un sous-texte féministe fin, illustré par le fascinant personnage de Dame Eboshi qui recueille et forme des femmes, le film écrit et réalisé par Hayao Miyazaki est d’une étonnante modernité, qui en fait un classique de toute évidence intemporel.
Une première apparition mémorable
Replonger dans les aventures de San et Ashitaka, c’est aussi être emporté dans un univers magnifique, où la violence et l’horreur cotoîent la poésie et la beauté pure. Dès le départ, Princesse Mononoké frappe avec des visions sensationnelles lorsque le dieu sanglier renverse tout sur son passage, dans une pure image de cauchemar. Le cinéaste veut présenter la nature comme une entité capable d’être aussi féroce et inquiétante que l’âme humaine, comme en témoigne l’extrait ci-dessous, morceau incroyable du climax où la douceur laisse place à l’horreur, transformant un paysage idyllique en véritable tunnel d’angoisse apocalyptique.
Les têtes tombent et les créatures trépassent dans cette histoire légèrement traumatisante, qui a infusé l’imaginaire collectif avec ses Kodama (Sylvain, en français), son dieu-cerf, et ses personnages aux allures mémorables. Difficile de ne pas y voir l’une des plus grandes œuvres de Miyazaki, qui résistera particulièrement au temps.
LE VOYAGE DE CHIHIRO
Si Princesse Mononoké restera probablement comme la première rencontre entre le grand public français et le génie japonais, c’est définitivement Le Voyage de Chihiro, deux ans après dans nos salles, qui fera office de crash test culturel. Un crash test réussi haut la main. En effet, si Princesse Mononoké était indiscutablement une œuvre japonaise, nombre de ses thèmes et de son rapport à la nature, au fantastique, pouvaient faire écho à la culture occidentale, tout comme le parcours de son héroïne avait de quoi provoquer l’empathie du spectateur néophyte en quête de grande aventure.
Avec Le Voyage de Chihiro, Miyazaki nous plonge dans un univers autrement plus dépaysant. Accompagner Chihiro alors qu’elle passe dans le monde des esprits, et va entreprendre de sauver ses parents transformés en porcs, c’est faire l’expérience du salut par le collectif, alors qu’elle commence à travailler dans de curieux bains, se confronter sans cesse à l’altérité, et accepter d’être immergée dans un univers dont la densité poétique provoque un vertige presque systématique.
En témoigne cet extrait, essentiellement muet, où la jeune fille entame un voyage en train, au cours duquel le réalisateur marie avec génie un certain sens de l’absurde, le shinto et ses valeurs, mais aussi un art du découpage invraisemblablement efficace, une vraie mélancolie (ces étranges passagers fantomatiques) et des références assumées à Edward Hopper.
le château dans le ciel et nausicaä pour moi les meilleurs
L’égal de Kubrick dans l’animation. Avec la poésie en plus.
C’est vrai qu’on peut parler d’un maître de l’animation et de la narration!
Un bel article qui donne envie d’aller revoir ou re re re re revoir tous ces chefs d’oeuvre …
Concernant Nausicaa, le manga papier est plutôt dense.
Il me semble qu’il n’était pas encore achevé au moment où le film a été réalisé. d’où cette légère sensation d’inachdvé.
Tiens, une petite anecdote, sur ce film : le maître a confié la réalisation d’une scène importante à un certain … hideaki anno.
Sinon, j’ai bien aimé son taff sur Heidi, Sherlock Holmes, et surtout Conan le fils du futur.
Article passionnant , Miyazaki est le Disney Japonais Princesse Mononoké je l’ai vu 3 fois en salle le plus grand film d’animation. Miyazaki un géant de l’animation vivement le prochain !
Quel Maitre… J’ai découvert Chihiro au ciné et dans la foulée (il me semble) Kiki qui ressortait en France, deux beaux souvenirs avec les enfants émerveillés. Ensuite nous les avons tous vus en DVD ou autres. J’ai vu Laputa au ciné lors de sa sortie française, est-ce à cause du thème, de la musique, celui-ci reste mon préféré…
Petite devinette :
Un « macron » se cache dans mon précédent commentaire…
Oùùùùùù est-il ?
@FaF
Personne ne parle de scoop, et surtout pas pour deux nouvelles productions Ghibli. Vincent Maraval affirme que Miyazaki et son fils travaillent sur deux films Ghibli. Ensemble, séparément, ou un peu des deux : ce n’est pas précisé.
Il écrit : « Je peux témoigner, miyazaki pere et fils sont au travail. 2 nouvelles productions des studios ghibli sont en cours et les dessins sont in-cro-ya-bles ! Tres grosse emotion »
Affaire(s) à suivre donc.
Bonjour,
Porco Rosso et grosse préférence pour « le château dans le ciel », produit par un certain Isao Takahata, qui de son coté à réalisé également ce chef-d’oeuvre qu’est « le tombeau des lucioles »…Avec Yoshifumi Kondō aux dessins…
Quand les talents se rencontrent….
L’annonce quel le studio Ghibli travaille actuellement sur 2 films n’est pas un scoop. Ca fait maintenant plus d’un an (novembre 2017) que le producteur du studio, Toshio Suzuki, l’a annoncé (voir le site Buta Connection par exemple).
Et il y très peu de chance que Miyazaki travaille sur un film AVEC son fils, mais plutôt séparément sur deux films différents.