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Midsommar : pourquoi Ari Aster, le réalisateur d’Hérédité, est un maître de l’horreur moderne

Par Simon Riaux
22 juillet 2019
MAJ : 21 mai 2024
3 commentaires

En une poignée de courts-métrages et deux longs-métrages, le metteur en scène s’est imposé comme un créateur passionnant. On décortique son cinéma.

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Avec une poignée de courts-métrages et un premier long-métrage acclamé par la critique, plus gros succès international à ce jour du distributeur A24Ari Aster était forcément attendu au tournant. Le tournant du deuxième film étant particulièrement difficile à négocier, à fortiori quand on a débuté par un succès, on se demandait à quoi ressemblerait la continuation d’Hérédité.

Nous avons enfin pu découvrir Midsommar, qui sortira au cinéma le 31 juillet prochain, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il nous a tapé dans l’œil. Cette nouvelle réussite place instantanément son auteur au centre du paysage cinématographique horrifique. Comment l’artiste, consacré en tant que voix singulière, s’est-il imposé ? Où réside le style si particulier qui confère une aura instantanément identifiable à ses propositions ?

Attention, ce texte contient des SPOILERS sur Hérédité (et de tous petits sur Midsommar)

 

 

HORREUR PHYSIQUE

À l’heure des Conjuring, AnnabelleOuija et autres Dans le noir, l’horreur physique est tenue loin des écrans. Au pays de la possession grand public et du bric-à-brac catholique, on en reste aux yeux révulsés et aux articulations qui craquent. Les corps suppliciés, la douleur et les transformations grotesques de David Cronenberg semblent bien loin, et le body horror, complètement oublié. Par conséquent, le cinéma d’Aster et ses articulations dramatiques ont sur nous l’effet d’un choc.

Dans Hérédité, c’est le soubresaut d’une voiture qui marque l’arrivée du sang dans le film. Veines ouvertes à coup de corde à piano, cadavre transformé en jouet surréaliste ou crâne explosé livré aux fourmis… La chair se déchire, pourrit et s’impose dans la pleine lumière de l’écran. Le gore chez le réalisateur a des effets d’électrochoc, toujours asséné avec un calme olympien, signifiant au spectateur qu’il n’est pas là pour un grand huit et que ce qui l’attend n’a rien d’une saillie pleine d’outrances et goguenarde.

 

photo, Ari Aster Ari Aster (au centre)

 

De même, ce n’est pas par hasard que le cinéaste s’avère travaillé par une mutilation bien précise. En effet, dans Hérédité comme Midsommar, on fait péter des têtes. Le crâne, le visage, c’est ce totem de l’identité qu’il faut assiéger, cette face qui craque et purule. Pourquoi ? Aster lui-même n’est pas sûr de souhaiter le découvrir, comme il l’explique à Bloody Disgusting.

« Il y a quelque chose de satisfaisant dans le fait de décapiter ou d’écraser un visage. Je ne sais pas. Pour moi ça a quelque chose de viscéral, je crois. Si je dois imaginer une mort violente, c’est comme ça que ça m’amuse… Et quand je pense aux autres films que j’ai écrits, mais pas encore faits, je vous assure qu’il y a encore pas mal de traumas crâniens à venir. »

Dans Midsommar, les têtes passent également un sale quart d’heure, et on se dit que leur mauvais sort joue le rôle d’une bascule comparable à celle d’Hérédité. Et si le réalisateur l’utilisait le plus simplement du monde, pour nous signifier l’abolition du rationnel, la fin de tout espoir de retour à la normale ?

 

photo, Florence Pugh, Jack Reynor, William Jackson Harper, Will Poulter« Je savais qu’on aurait dû prendre le Routard… » 

 

DÉJOUER LES MÉCANIQUES

On l’a dit, le gore n’intervient jamais comme un sommet, jamais comme une forme de récompense envers le spectateur viandard. La violence physique est un traumatisme tranquille, qui surgit dans l’image avec un calme impavide, une tranquillité froide, qui lui confère une obscénité absolue. Et justement, la peur chez le metteur en scène s’efforce de détourner les canons actuels du genre.

Si vous êtes accro au rythme et aux sursauts bon marché, passez votre chemin : Ari Aster s’efforce d’expérimenter toute autre chose.

 

photoDes fresques beaucoup moins innocentes qu’elles n’y paraissent

 

Plutôt que d’assurer à chaque séquence un rythme trépidant et une esthétique en phase avec les modes contemporaines, Hérédité et Midsommar nous jouent le syndrome de l’élastique. Il consiste à prendre une situation vaguement inquiétante, ou bénine en apparence, mais de la laisser s’étirer, se distendre, jusqu’à ce qu’elle devienne trouble, inquiétante, voir complètement folle. C’est le cas de la scène de dîner d’Hérédité qui s’achève sur Toni Collette agressant littéralement ses proches.

On pousse la tension jusqu’à rendre le moment insupportable, dilaté à l’extrême. Dès lors, la rupture devient à la fois une bouffée de violence et une libération, qui va aspirer toute la dynamique de la narration. C’est parce que l’équilibre a été rompu lors d’un interminable repas, que la mère jouée par Toni Collette peut annoncer sur un coup de tête à son fils qu’elle ne l’a jamais désiré. Dans Midsommar, c’est parce que le couple Dani/Christian étire jusqu’à l’impossible le malaise précédant la séparation que l’irruption de rites païens perturbants emporte les protagonistes.

On aura vite fait de comparer la mise en scène d’Ari Aster à celle de Kubrick. Pas sûr qu’au-delà du goût pour la géométrie qui peut les rapprocher, leur philosophie soit franchement comparable. Aster s’amuse à organiser une image qui a l’apparence de la normalité, l’apparence du calme, mais dont les lignes de fuite, les légers déséquilibres, ou la trop grande rigueur ménagent des zones d’ombre et une possibilité d’emballement incroyablement inquiétante. 

 

photoSalut ou cauchemar collectif ?

 

AUTOPSIER LA FAMILLE

Cette fausse quiétude sied parfaitement aux sujets qui stimulent l’artiste. Aster aime disséquer les groupes sociaux réduits, donnés pour bons par essence – la famille, le couple. Autant de microstructures qu’il ne se contente pas de caricaturer, ou de subvertir, mais dont il entend montrer les points de frictions, les espaces de non-dits, et comment ils construisent des êtres faux et dysfonctionnels.

Ainsi, dans Hérédité, la famille n’est pas uniquement un lieu dont on doit s’émanciper pour survivre : c’est un lieu de mort dont personne ne parvient à s’échapper, qui organise le sacrifice de certains (les femmes, les faibles, ceux qui refusent de croire) au profit d’autres (les mâles, les forts). Pire, les structures immémorielles qui nous entourent ne nous protègent pas, puisqu’elles nous exposent directement à la résurgence de la démence grand guignol, du grotesque, la folie païenne d’entités bien plus anciennes et résilientes que nous.

 

photo, Toni Collette Toni Collette dans Hérédité

 

À travers ces récits, Aster s’impose également comme un auteur aux thématiques plutôt européennes. Tout d’abord, son goût pour le nihilisme émotionnel le rapproche de créations comme Ne te retourne pasLa Maison aux fenêtres qui rient ou encore The Wicker Man, une réhabilitation de la cruauté finalement assez éloignée du cinéma de genre très codé à l’américaine.

De même, sa manière de présenter le collectif comme systématiquement supérieur à l’individu le rend plutôt incompatible avec les grands schémas américains de l’horreur contemporaine. Un sentiment extrêmement prégnant dans Midsommar qui semble par instant sortir de l’âme redoutable d’un Ken Russell. En effet, lors d’une séquence en montage alternée totalement sidérante, le réalisateur s’amuse à placer ses deux héros dans des dispositifs en miroir, tous deux expérimentant la gestion par le groupe païen d’une crise intime.

On pense bien sûr à Les Diables, sauf que l’objectif n’est pas d’interroger les institutions ou de provoquer, mais de constater comment un individu va trouver à se sublimer dans le groupe, et comment la terreur qu’engendre cette même organisation chez un autre s’avère mortifère. En définitive, la dynamique la plus implacable de l’auteur demeure celle qui consiste à souligner combien nos structures sociales sont devenues aberrantes, ne servant plus aucun idéal d’harmonie ou d’équilibre, mais tentant piteusement de prolonger la domination des uns sur les autres. Le retour de bâton, symbolique, physique, et charnel n’en est que plus impitoyable. Et délicieux.

Ceci est un article publié dans le cadre d’un partenariat. Mais c’est quoi un partenariat Ecran Large ?

 

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Commentaires
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Geoffrey Crété

@darkpopsoundz

Veuillez patienter. Elle arrive très prochainement 😉

darkpopsoundz

Merci pour cet excellent texte, Simon, j’aime de plus en plus vous lire! Ce sont des textes comme celui-ci qui justifient mon abonnement. 🙂
Dire que j’attends ce film avec impatience serait un euphémisme, j’en peux carrément plus! Avec toutes les références qu’en plus vous citez (Cronenberg! Kubrick! Ken Russel! La Maison Aux Fenêtres Qui Rient! The Wicker Man! Que des pointures pour moi!) tous ces articles donnent grave l’eau à la bouche, à quand la critiiique? Puisque vous l’avez déjà vu, vous, bande d’enf.., heu, je veux dire chanceux que vous êtes. ^^

sylvinception

« et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il nous a tapé dans l’œil.  »
Vous avez un oeil au beurre noir du coup ??

« Des fresques beaucoup moins innocentes qu’elles n’y paraissent »
C’est gentil de préciser, au cas ou on aurait pas remarqué les grosses t*ubes dessinées dessus…