Produit pour à peine 17 petits millions de dollars, Sans un bruit a pris tout le monde de court avec presque 341 millions de dollars de recette dans le monde, 188 millions sur le seul sol américain. Un véritable phénomène, qui exigeait forcément une suite, sur les écrans français le 16 juin 2021. S’ensuivront probablement un troisième volume et un spin-off.
Mais alors que ce second opus divise le public et la rédaction, beaucoup se sont repenchés sur le long-métrage réalisé par John Krasinski en 2018. À l’époque, il a été propulsé par un bouche-à-oreille dithyrambique et des critiques plutôt positives. Méritait-il un succès aussi franc ? Qu’ils l’apprécient ou pas, les moins silencieux des membres d’Ecran Large reviennent sur le film, point par point.
le concept est cool
Les années 2000 auront été celles du « film-concept », suite au carton stratosphérique du Projet Blair Witch en 1999. Le principe est simple : on invente un principe inédit, puis on brode un scénario autour, et on filme le tout à peu de frais. La firme Blumhouse en a même fait sa spécialité, après que son créateur a refusé de distribuer la poule aux oeufs d’or d’Eduardo Sánchez et Daniel Myrick. Mais force est de constater que malgré une compétition fournie, peu de ces concepts sont franchement intéressants.
Alors que Blumhouse fait mouche une fois sur dix, voir un film d’épouvante avec une véritable bonne idée soulage. Le génie de cette idée réside dans sa simplicité. Elle repose sur un simple mécanisme : action, réaction. Soit le principe même du suspense. Alfred Hitchcock aurait beaucoup à dire sur Sans un bruit, dont le postulat même schématise à l’extrême les mécaniques de la tension. On se met à craindre un simple son et à scruter les environnements à la recherche de potentielles sources de boucan ignorées par les protagonistes.
Quand tu vas voir un film d’épouvante en salles
Les monstres de Sans un bruit, qu’ils soient absents ou pas, sont un vivier infini de jeux sur les attentes du spectateur. « L’ironie dramatique » (ou le fait d’avoir une longueur d’avance sur les personnages pour mieux craindre qu’ils fassent le mauvais choix), reine des frissons selon le maître du suspense, fonctionne à plein régime. Et le réalisateur en est bien conscient, comme il le montrait au micro de Den of geek en 2018, en prenant l’exemple de la scène du clou :
« Il y a une ligne très fine entre provoquer l’inconfort ou la sensibilité des spectateurs et les frustrer […] Je me rappelle que Christopher McQuarrie était l’une des seules personnes à lire mon premier jet, et il disait : « Ce truc du clou, c’est comme un classique d’Hitchcock. Et je t’ai vraiment détesté, parce que pendant 20 minutes de la lecture de ton scénario, je me disais : ‘Si il ne [concrétise pas] ça très vite, s’il ne le fait pas très vite, s’il ne le fait pas très vite…' ». Et puis quand ça s’est passé, il a dit : « J’étais si heureux d’être aussi anxieux ». »
Le concept est d’autant plus efficace qu’il rejoint une obsession du cinéma d’épouvante mainstream : le mixage sonore. Alors que la plupart des films-concept « à la Blumhouse » aiment artificiellement pousser les contrastes de son pour créer de la surprise, Sans un bruit rend ça naturel. Le son devient aussi, voire plus, important que l’image et on se fie principalement à nos oreilles, pour peu qu’un malotru ne se gave pas de pop-corn le siège derrière. Voilà peut-être une des limites les plus agaçantes du film.
Un modèle de suspens hitchcockien
OUI, c’est bien réalisé
Les films de genre à destination du grand public, ceux qui entendent moissonner le box-office, s’inquiètent rarement de mise en scène, préférant tout miser sur des univers connus et reconnus de leurs spectateurs, ainsi qu’une batterie d’effets de montages génériques, à commencer par une avalanche de jumpscares et autres sursauts faciles. La première et grande satisfaction qu’apporte Sans un bruit provient de la volonté de son metteur en scène, le comédien John Krasinski, d’offrir une véritable identité cinématographique à son premier gros film.
On sent que l’artiste veut bien faire, et veut bien faire en tout. Jamais il ne se laisse aller à recycler n’importe comment les travaux de ses prédécesseurs, et confère à chacune de ses séquences une identité, une direction artistique véritable. Bien sûr, Sans un bruit ne nous parvient pas libre de toute influence, et le film doit beaucoup, ne serait-ce qu’au récent Last of Us, mais on sent que son auteur lutte perpétuellement pour insuffler du l’âme et du sens à sa mise en scène.
À ce titre, on constate que le réalisateur impose une idée toute simple, mais plus que bienvenue dans le cadre d’un film à concept ultra-marketé : un véritable rapport au temps. Plus encore que le son, au centre du scénario et de son univers, c’est le choix de faire durer ses plans, d’étirer l’action, de la dilater pour générer un suspense véritable qui lui permet de faire la différence. Car si son sens du cadre fait souvent mouche, c’est ce travail de la temporalité qui permet pleinement au métrage d’inoculer une formidable tension dans l’esprit du spectateur.
MOUAIS, LES PERSONNAGES SONT DÉBILES
Sans un bruit manipule souvent son concept initial pour resserrer sa menace ou donner du lest à ses personnages. Le procédé ne va pas sans quelques incohérences, mais aucun film n’y échappe, et c’est sans doute le prix à payer pour tenir jusqu’au bout un film de divertissement au concept aussi kamikaze. En revanche, on est beaucoup plus sceptique quant à l’écriture des personnages que le scénario tend à rendre ouvertement débiles pour s’assurer quelques frissons à peu de frais. Et les exemples abondent…
S’il est certain que la grossesse du personnage d’Emily Blunt est pourvoyeuse de séquences bien tendues comme il faut, on a bien du mal à comprendre comment deux adultes, ayant déjà charge de famille, ont pu se laisser aller à concevoir un marmot en pleine fin du monde alors qu’ils sont encerclés par des aliens ultra-sensibles au son. Certes, on devine que le scénario voudrait faire de la mort traumatique d’un enfant l’origine de cette pulsion de vie, mais il y a un hic.
« Pourquoi on vit pas sous la cascade ce serait pas… » « Chut »
Pour forte et dure que soit la séquence au cours de laquelle un malheureux minot est transformé en sashimi sous les yeux de ses parents, la faire reposer sur un jouet sonore, dont il paraît impossible que quiconque l’offre ou le laisse offrir est une autre absurdité, qui tranche avec les innombrables précautions quotidiennes de nos survivants. Et d’ailleurs, puisque nos gros malins ont découvert une cascade dont le fracas les protège de l’ouïe des monstres, pourquoi ne s’y sont-ils pas installés, plutôt que de faire bombance dans une grande baraque dont la moindre planche craque comme les narines d’un exécutif de studio hollywoodien ?
Preuve que Sans un bruit se déroule dans une sorte de réalité parallèle où les principes de Darwin ont été battus en brèche. Lorsque nous quittons Emily Blunt endeuillée, fusil à pompe à la main, c’est bien la survie du moins adaptée que nous propose le film, dont l’héroïne s’apprête à affronter une tripotée de monstres à coups de décharges sonores…
« Et pourquoi on n’irait pas… » « Chut »
BOF, LE CONCEPT ne tient pas la route jusqu’au bout
C’est la question à mille points des films à high concept : jusqu’où ce concept si excitant peut-il tenir, avant de s’écrouler sous le poids des incohérences ? Sans un bruit repose sur une idée : les aliens sont ultra-sensibles au bruit, et pour survivre, il faut rester silencieux. Une idée diabolique, illustrée dès l’intro avec quelques codes (marcher pieds nus sur des zones ensablées, se déplacer avec précaution, manipuler les objets avec soin), et une mort pour sceller le pacte.
Mais sans surprise, le niveau de sensibilité des créatures semble varier selon les besoins du scénario. Quand il faut faire peur, un pauvre animal est broyé sans sommation parce qu’il rampe un peu trop fort sur le sol, et un très gros plan montre que le monstre peut capter le tic tac d’un minuteur. Mais quand il faut épargner les personnages, on les laisse marcher sur un parquet qui couine (peu, mais tout de même), courir (même pieds nus, il y a du bruit), s’enfuir en panique (même si un vieux désespéré a hurlé juste avant, ça reste un bruit supplémentaire), courir dans un champ de maïs (les feuilles qui fouettent le visage, ce n’est pas rien), avancer dans l’eau vers un bébé qui chouine un peu… et bien sûr, accoucher dans une baignoire.
C’est certainement le point de bascule du film, puisque la pauvre Emily Blunt affronte un monstre et des contractions. C’est héroïque, mais le moindre de ses souffles ravalés devrait alerter la bestiole, aux aguets, à quelques mètres d’elle. Sans même parler de la naissance d’un bébé, qui vient a priori avec quelques hurlements pour fêter l’entrée en scène de la chose. Le joker feu d’artifice est bien utile, mais ne suffit pas à enterrer toutes ces interrogations. Y compris celle de l’insonorisation un peu trop efficace de leur habitat en sous-sol.
Sans un bruit est donc une belle démonstration de suspension d’incrédulité : il faut accepter les règles du jeu, même lorsque quelqu’un triche, puisque c’est pour le plaisir de rallonger la partie. Le prix à payer : on passe une partie du film à se demander si on a bien compris les détails du concept.
Rien ne sert de courir, mieux vaut mourir à point
non, parce que les MONSTRES sont pas super
Qui dit film de monstre, dit plaisir de découvrir les monstres en question. Leur allure, leur tête, leurs mouvements, leurs mâchoires, voire leur culture : tout est possible au beau royaume de la science-fiction et du fantastique, et John Krasinski l’avait bien en tête. Il racontait à Collider à l’époque :
« L’idée, c’était qu’ils soient totalement aliens, et de parfaites machines de l’évolution. Ils ont grandi sur une planète sans humain, sans lumière, donc ils n’ont pas besoin d’yeux, ils chassent uniquement par le son. Ils ont aussi développé une manière de se protéger de tout, c’est pour ça qu’ils sont pare-balles. (…) Cette armure est la raison pour laquelle ils ont survécu à l’explosion de leur planète, et ces météorites. Jusqu’à ce qu’ils s’ouvrent et soient vulnérables, ils sont quasiment indestructibles. »
L’équipe a donc réfléchi à la raison d’être de ces créatures de l’enfer pour les plier à l’exercice du cauchemar high concept. C’était les contraintes du récit : il fallait que ces monstres soient aveugles et sensibles au son, et sortent de l’ordinaire puisque cette idée est très banale dans le cinéma de genre (des bestioles de The Descent à celles de Pitch Black). Et c’est justement le problème : ces aliens manquent d’une identité forte.
Où est Eleven quand on a besoin d’elle ?
Au final, le résultat est finalement très classique. Difficile de se souvenir précisément de la tronche de ces aliens, qui rappellent Cloverfield ou Stranger Things, tous deux sortis avant (sachant que le premier design ressemblait plus à un rhinocéros croisé avec un boss de Doom). Pas qu’ils soient ratés, ridicules ou risibles, puisqu’ils remplissent leur fonction cauchemardesque, notamment grâce à une rapidité forcément terrifiante. Mais ils n’offrent aucune image réellement marquante, ou du moins jamais aussi forte que le concept entier du film et la menace diffuse qu’ils représentent.
Ce n’est pas un problème pour le premier film, qui joue largement la carte du hors-champ, et se repose dans un premier temps sur l’absence et l’omniprésence des aliens. Il suffit ainsi d’une silhouette passant à toute allure, ou d’une grosse patte méchante, pour créer le cadre de l’horreur, et laisser imaginer le pire. Mais dès que les bestioles occupent le cadre, et sont filmées en gros plan, il y a l’évidence qu’elles sont finalement trop génériques pour entrer au panthéon des meilleurs cauchemars du genre.
Plus effrayant que la bête : l’absence de la bête
OUI au fond, parce que c’est une grosse série B assumée
Que reste-t-il du cinéma d’épouvante grand public américain ? Le Conjuring-verse et son cathoporn tristement prétentieux, tous ses rejetons serviles et ses copies maladroites se ruent régulièrement sur nos écrans, interrompus de temps à autre par la dernière production à récompense Blumhouse ou le dernier film d’auteur A24. Les séries B à budget médian se font rares et n’attirent que très rarement en salles, comme les scores mitigés des pourtant sympathiques Life : Origine Inconnue et Underwater le prouvent.
En ça, malgré ses nombreux défauts, Sans un bruit reste un film à part. Certes, il n’a rien d’un chef-d’œuvre définitif, mais il fait preuve d’une humilité et d’une sincérité rares outre-Atlantique. Kraskinski ne prétend pas réinventer l’horreur ou lancer un univers étendu tentaculaire (quoique la Paramount se chargera peut-être de le faire pour lui). Il embarque sa collaboratrice et compagne Emily Blunt dans un conte familial en quasi huis-clos n’ayant d’autre but que de divertir en continu, s’amuse et nous amuse au passage.
Derrière ses airs de high-concept bébête, c’est surtout un pur film de monstre parfois méchant, parfois touchant. Un tour de montagne russe bancal qui s’assume, et dont on repart souvent repu. Nul doute d’ailleurs que sa diffusion sur Amazon Prime va encore convaincre du monde. L’objectif est simple, louable, mais trouvera peut-être ses limites dans l’expansion de son univers. Sans un bruit 2 commence déjà à laisser transparaître un léger cynisme. Espérons qu’il ne s’empare jamais totalement de cette petite saga en devenir, née sous une bonne étoile.
Je pense que la seconde partie du film sera l’opus du film.j’ai personnellement adoré le 1er volet. C’est comme conjuring.
Non il ne mérite pas son succès, les incohérences listées ici m’ont trop déçu du film. Peut être trop mainstream aussi ? Et pourtant je suis fan de film de genre avec son lot d’incohérences.
On verra le 2 mais je pense que ça sera comme d’habitude moins réussi.
Un autre point négatif pour moi, c’est le « fusil de Tchekov », beaucoup trop évident. On connait le point faible des monstres bien trop vite et cela ruine un peu le suspense.
le vent ne balaye pas les chemins de sable dans cet univers
@Tuk
T’inquiète pour les fautes, c’est pas joli joli de mon coté non plus 😉
Désolé pour les fautes, faut vraiment que je me relise lol :p
Ce serait aussi dommage que l’humanité ne fasse plus d’enfants, sous pretexte qu’il y a eu une invasion d’alien…. Ce serait capituler et les aider à notre propre destruction bien trop vite. Il y toujours des gens pour faire des enfants, c’est une question de survit pour la race humaine dans cette situation…. Et il y en aura d’autre qui ne voudront pas et trouverons ca dingue. Exactement comme dans les commantaires lol..
oups, désolé….
Dans l’ensemble je suis d’accord avec Kyle Reese… Et pour l’enfant, il me semble qu’elle était tout simplement tombée enceinte avant l’invasion.
Ben je suis dans l’ensemble d’a
@TofVW
Je suis d’accord avec toi les enfants sont générateurs de bruits dés leur naissance et bien longtemps après ! 🙂
Mais je n’ai pas souvenir d’avoir eu d’info dans le film sur le comment il a été conçu, ou alors j’ai oublié. A mon avis c’est un accident, vivre dans un monde de peur avec ces monstres n’empêche pas les couples de faire l’amour pour tenir et même en prenant leur précaution, surement plus compliqué dans ces circonstances puisque tout c’est arrêté. Donc adieu la contraception.