Porté par deux cinéastes très appréciés (Robert Rodriguez et Quentin Tarantino) et servi par un casting aujourd’hui super luxueux (George Clooney, Salma Hayek, Harvey Keitel), Une nuit en enfer n’est néanmoins pas connu pour les stars qui s’y rencontrent. Le film s’articule en effet autour d’un retournement de situation pour le moins sanglant ayant su convaincre des générations de spectateurs vampirophiles. Et pourtant, c’était pas gagné.
En 2020, cette grosse série B trimballe mine de rien, derrière elle, un sacré héritage, assumé ou non. Alors que la vague des suceurs de sang romantiques et bioluminescents s’est éteinte, il est bon de replonger dans une vision du mythe décomplexée, n’hésitant pas à faire des dents longues un prétexte pour opérer un des mélanges de genres les plus barrés des années 1990, et au-delà.
Sortez vos crucifix : on revient sur le twist du Titty Twister.
BUDDY MOVIE
From Dusk Till Dawn (titre original plus efficace) est avant tout né d’une amitié, celle – bien connue – qui unit Quentin Tarantino et Robert Rodriguez, aujourd’hui au sommet de leur gloire, même si l’un est considéré comme un auteur de génie et l’autre comme un honnête artisan. Néanmoins, à la fin des années 1990, les deux compères sont dans une osmose artistique assez unique, osmose qui va concrètement les unir pendant la promotion de Reservoir Dogs et El Mariachi, deux premiers films qui fonctionnent déjà aux phéromones de nostalgie. Mais si le projet a pu voir le jour grâce à leur collaboration, il faut remonter un peu avant leur rencontre pour trouver la vraie origine du scénario.
Robert Kurtzman est un make-up artist émérite ayant travaillé sur un bon tiers des séries B d’horreur américaines cultes de 1986 à aujourd’hui. Son CV contient des titres comme Evil Dead 2, Misery, L’antre de la Folie, Scream, The Woman et même plus récemment Doctor Sleep, ainsi que Jessie et The Haunting of Hill House sur Netflix. Au tout début des années 1990, il écrit un traitement d’une vingtaine de pages, surtout centré sur le huis clos de la deuxième partie du film, et cherche quelqu’un pour en tirer un scénario complet, comme il l’explique lui-même dans un entretien à BackWoodsHorror.
Il recrute alors Tarantino, et le sort du vidéoclub où il travaillait, vendant des scripts comme celui de True Romance. La légende dit que le futur réalisateur de Kill Bill aurait empoché à peine 1 500 dollars pour cette tâche. Les deux hommes concluent un accord : si QT rédige le scénario de Une nuit en enfer, Kurtzman s’occupera des effets spéciaux de Reservoir Dogs. Connaissant la cinéphilie de l’intéressé, nul doute que ce fut cette proposition qu’il prit comme réel paiement.
Harvey Keitel, 4 ans après Reservoir Dogs
Malheureusement, le projet stagne pendant plusieurs années, même après la première percée de Tarantino, et les succès d’estime de Reservoir Dogs et Pulp Fiction. En cause : l’inexpérience de Kurtzman derrière la caméra, et surtout, selon les mots de l’aspirant réalisateur, la structure du récit, échappant quelque peu aux conventions. Ils se mettent alors en quête d’un nouveau metteur en scène. C’est là que la rencontre avec Rodriguez devient déterminante.
Fort de deux longs-métrages cinéma au succès non négligeable (El Mariachi et Desperado, sur lequel Tarantino a collaboré), il débloque la production. C’est la troisième pierre d’une entente prolifique. Niveau casting, le rôle de Seth Guecko aurait été présenté à Travolta par Tarantino et aurait été envisagé par Antonio Banderas, Steve Buscemi, Michael Madsen, Tim Roth, Christopher Walken, Jeff Goldblum, James Woods, et Robert De Niro, le plus souvent bien trop occupés pour se lancer dans cette série B.
Cinéphile devant le film, 1996
Les deux cinéastes se sont fait plaisir. Une nuit en enfer compile leurs univers avec une redoutable efficacité. Les lieux sur lesquels se déroule l’action, à la frontière américano-mexicaine, font directement appel à la filmographie de Rodriguez. D’autres détails se retrouveront quant-à eux dans les futures œuvres de QT. Le personnage de Earl McGraw (campé par Michael Parks), le shériff de la scène d’introduction, est par exemple un habitué de ses expérimentations, dans des films comme Kill Bill Vol.1 ou Boulevard de la Mort.
Plus explicite : la démonstration de son fétiche bien connu pour les pieds féminins. De fait, la séquence où Salma Hayek lui fait boire de la Tequila directement de ses orteils aurait bien pu remplacer son cachet d’acteur. La bande originale reflète bien ce mix d’influences : créée comme une sorte de playlist (procédé cher aux deux artistes), elle est quasi-intégralement composée de blues et de rock texan pour illustrer des séquences précises.
Un plan qui illustre l’influence de Tarantino sur la mise en scène
SURPRISE, MOTHERF*CKER !
Les critiques à la sortie du film sont pour le moins mitigées. « Un film agressif et accablant qui n’est ni engageant, ni dérangeant ou amusant », écrit le Washington Time. « Le climax est une autre démonstration du chaos super-kinétique, bien conçu mais exagéré de Robert Rodriguez », pour The Hollywood Reporter.
En France, ce n’est pas mieux. La Croix avance : « Nous sommes en terrain connu, pas forcément recommandable. Lorsque le film bascule dans le grand guignol et l’épouvante bas de gamme, vampires à l’appui, on décroche sans regrets ». Et selon Télérama, fidèle à son célèbre mépris de l’époque, « ce brouillon de sous-culture est le vilain petit nanar de l’été ».
Étrangement, peu de ces textes évoquent la première partie de l’intrigue, constituant tout de même plus de la moitié des 1h47 de métrage, préférant s’enfoncer dans les superlatifs pour critiquer la surenchère du climax. Pire, ils ne s’attardent pas beaucoup plus sur le véritable intérêt de la chose : son retournement de situation, unique en son genre.
L’ouverture du film s’amuse à malicieusement et subtilement préfigurer la suite des évènements. Une banale conversation, calme et explicative, se voit chamboulée par un changement de point de vue, et conclue par un bain de sang. La narration globale se construit de la même manière, et tout se tient autour de ce point central, aux portes de l’étrange, où la course poursuite tendue se transforme en massacre horrifique délirant. Cette partie centrale, déconcertante au premier visionnage et culminant avec la célèbre danse de Salma Hayek, constitue le sel de l’expérience.
Le thriller sérieux se transforme tout d’un coup en déferlement de violence fantastique cartoonesque, pivot que beaucoup de critiques (et de spectateurs) n’ont pas franchement dû apprécier. Mine de rien, le procédé permet de balayer en moins de 2h le spectre du film d’exploitation, cherchant à charmer à tout prix nos mirettes avec du suspense, de la nudité et de l’ultra-violence tapageuse. D’ailleurs, les dialogues s’amusent à tourner en dérision une figure classique du cinéma d’horreur, Peter Cushing.
Maligne, cette structure décriée à l’époque et reconsidérée aujourd’hui, s’accorde parfaitement avec nos attentes de spectateurs, jouant avec nos nerfs dans une première partie avant de nous donner l’occasion de nous défouler dans la deuxième.
Le personnage de Juliette Lewis, dont l’évolution suit celle de l’intrigue
Et quel pied, cette deuxième partie ! Ni trop courte, ni trop longue, elle s’emploie à blasphémer à peu près tout et n’importe quoi, du patriotisme américain des vétérans du Vietnam à la religion, en passant par le mythe classique du vampire, ici défiguré sur l’autel d’une opération de destruction massive, des chairs et des rétines.
Le tout est enveloppé dans une démonstration d’effets spéciaux parfois très limites quand ils se risquent au morphing, années 1990 oblige, mais souvent réussis quand ils sont physiques. Bourrin comme jamais, le huis clos gicle de partout, envoyant valser les têtes et les tripes aux quatre coins d’un décor particulièrement réussi. Ici, les vampires exposés à la lumière explosent littéralement.
Trejo, futur Machete, est donc dans son univers, et on ne parle pas de la publicité El Paso. Quant à Tom Savini, il trouve là le rôle le plus adapté à sa carrière, zigouillant du bestiau à foison avant de lui-même se transformer en monstre. L’hommage à sa filmographie et au rôle qu’il tenait dans le Zombie de Romero est plus que touchant, il est carrément jouissif.
L’impressionnante débauche de fun qui se dégage de cette effervescence sans cesse renouvelée est contagieuse. Toujours amoureuse du cinéma dont elle s’inspire, jamais prompte à la moindre concession, la scène finale ose même citer une des meilleures idées d’Aux frontières de l’aube, autre classique du film de vampire à voir absolument.
20 ANS EN ENFER
From Dusk Till Dawn n’a pas gagné ses jalons d’œuvre culte grâce à la réception de 1996. Outre les critiques, très mitigées, évoquées plus haut, il n’a pas non plus fait forte impression au box-office.
Ni bide total ni succès, il s’est contenté d’exister en salles. Aux États-Unis, il récolte 10,2 millions de dollars la première semaine, mais beaucoup moins par la suite. En tout, il y amasse 25,8 millions de dollars. En France, il marche légèrement mieux avec 677 411 entrées. Un score très honnête pour un long-métrage interdit aux moins de 16 ans et distribué dans 232 salles.
Au niveau mondial, ses recettes sont estimées à 59,3 millions de dollars, hors inflation. Doté d’un budget légèrement inférieur à 20 millions, il rentre tout juste dans ses frais. L’opinion populaire globale de l’époque ne le porte pas aux nues. Tarantino est même nommé aux Razzie Awards de 1997, dans la catégorie « pire acteur secondaire ». Pour l’anecdote, le lauréat sera Marlon Brando pour L’Île du Docteur Moreau.
C’est au fil des années qu’une communauté de fans de cinéma de genre va finir par adorer de plus en plus la structure atypique du long-métrage, rarement vue après. L’exploitation en DVD n’a pas dû y être pour rien. Une Nuit en enfer aura définitivement beaucoup aidé la carrière de Robert Rodriguez. Son film suivant sera une commande de studio qu’il honorera parfaitement : The Faculty. Il s’agit aujourd’hui, avec Alita, d’un des films les plus appréciés du cinéaste.
Le casting aussi est sorti grandi de l’expérience. George Clooney, qui se serait mangé un vrai coup de poing de la part de Savini sur le tournage, sortait à peine d’Urgences, la série ayant fait de lui une petite célébrité. Une Nuit en enfer l’a hissé sur des projets cinéma plus gros et moins lisse, le propulsant au firmament et au rang de sex-symbol.
En parlant de sex-symbol, Salma Hayek a connu une suite de carrière remarquable après être passée par deux des trois premiers films de Rodriguez. En 2021, elle mènera l’équipe de super-héros spatiaux dans Eternals pour Marvel Studios. Elle y incarnera Ajak, vénérée dans les comics par les Aztèques, en tant que Dieu serpent. Comme par hasard…
Plus révélateur encore : malgré un score moyen et comme Starship Troopers l’année suivante, l’œuvre a donné lieu à deux suites, à la réputation désastreuse, Une nuit en enfer 2 et Une Nuit en enfer 3 : la fille du bourreau (un préquel), sortis directement en vidéo.
Plus récemment, en 2014, la chaîne de Rodriguez El Rey a lancé une série, sobrement intitulée From Dusk Till Dawn : The series. Relativement bien accueillie par la presse et les spectateurs, elle reprend les événements du premier film, avec beaucoup plus de détails et de personnages. En France, elle est disponible sur Netflix. Danny Trejo et Tom Savini viennent même faire un petit coucou. Malheureusement, elle a été annulée après trois saisons.
Mais une telle longévité adossée à une franchise prouve le statut désormais acquis par l’oeuvre initiale, véritable déclaration d’amour à l’imprévu caractérisant le cinéma d’exploitation qui touche encore pas mal de spectateurs avides de strip-teases serpentins et d’ultra-violence improbable. Une Nuit en enfer est devenu un petit phénomène de pop-culture, allant jusqu’à inspirer le pseudonyme d’un célèbre rappeur français. Merci, Robert !
Ma première séance SEUL au cinéma. J’avais 16 ans, j’avais entendu la bande-annonce à la radio (ahahah), j’avais cru comprendre (SPOILER) qu’il y avait des vampires mais au moment du twist j’ai pris une gifle ! Ça reste un de mes films preferés autant pour ses dialogues que son côté « défouloir » ou le rôle badass de Georges Clooney.
@grift
Oui, le chemin étoilé n’est pas là partout. Mais ma réponse tient toujours sur le fait ça ne dérange pas la majorité des lecteurs, et qu’on considère ça comme un moyen de mettre en avant l’abonnement (puisqu’on nous a aussi souvent reproché de pas assez le faire) 🙂
@geoffrey crété
Je pense MassLunar est arrivé sur l’article en cliquant sur sa mise en avant sur la page d’accueil, et la il n’y a pas de signaletique indiquant que c’est un artcile payant (contrairement à dans la liste de news en dessous).
@masslunar
Il y a une jolie étoile sur la page d’accueil pour ces dossiers, c’est le signal que c’est abonné, et jusque là ça semble suffisant pour la majorité des lecteurs.
On pense aussi que c’est bien sympa d’avoir cette porte d’accès pour faire découvrir les abonnements, puisque c’est aussi comme ça qu’on peut découvrir l’offre.
Et oui, la réalité c’est que ces abonnements sont importants pour notre survie, comme on l’a clairement expliqué 🙂
https://www.ecranlarge.com/films/news/1173641-coronavirus-comment-ecran-large-et-les-medias-tentent-de-survivre-a-la-crise
Raaaah encore un article abonné … Sérieux , arrêtez de mettre le début d’article si c’est pour dévoiler que c’est payant. Je sais bien que c’est de l’accroche façon gamekult et qu’il faut que vous gagnez votre vie tout ça tout ça …mais c’est lourd quoi… Au moins, mettez le davantage en surbrillance que c’est un article premium;
Énorme souvenir ! vu au cinéma
A l’époque le film était interdit au moin de 12 ans pendant la fête du cinéma
il méritait largement le moin de 16 ans.
Je rigolais comme un con quand le film part sur un début pulp fiction et il déraille en gros film gore !
J’adore !!!!
Ah la dance de Selma… À savoir que QT est un fétichiste des pieds, et qu’il a écrit cette scène rien que pour sa pomme. Il a raison, fau se faire plaisir.
En tt cas super série B.
C’est marrant de voir qu’on est nombreux à avoir découvert le film en VHS, sans avoir été spoilé. Je pensais longtemps être le seul. J’avais même pas vu une bande annonce. Lors du twist j’ai du rembobiner car j’étais en pleine hallu.
Idem, découvert en salle, à l’heure ou internet ne spoliait pas un poil, quelle claque!
Meilleur film de toute les temps a voir absolument !!!!
Every body bee cool
You be cool!!!!