Injustement oublié car bien trop sombre, 3615 code Père Noël est peut-être le film de Noël ultime. D’ailleurs, Chris Columbus et John Hughes le savaient avant de faire Maman j’ai raté l’avion.
Tous les ans c’est la même chose : entre ceux qui défendent le pire de la comédie romantique annuelle sous prétexte que Jude Law y porte un bonnet rouge et blanc et ceux qui imposent régulièrement Piège de cristal à leur entourage, chacun défend son film de Noël personnel. Et si la mièvrerie saisonnière était effectivement un genre, nul doute que le génial Gremlins serait son apogée. Néanmoins, toutes les oeuvres se déroulant lors des fêtes de fin d’année ne sont pas citées dans cette liesse, et c’est bien dommage.
La preuve, 3615 code Père Noël, très loin de l’académisme béta de Love Actually, est si méconnu que personne n’a repéré sa troublante ressemblance avec un autre classique américain familial, ou même les conditions particulières de sa production.
Le Père Noël n’est pas un cadeau
LALANNE IS THE NEW COPPOLA
Lors de sa projection au PIFFF (Paris International Fantastic Film Festival), petit évènement pour qui a grandi avec le film, 3615 code Père Noël n’a pas manqué de causer quelques éclats de rire, et ce dès ses toutes premières secondes. L’objet de ces ricanements : le carton introductif, stipulant avec le plus grand sérieux « Francis Lalanne présente ». Mais chose plus étonnante encore, c’est la famille Lalanne au grand complet qui est derrière le film. René Manzor, le réalisateur, n’est autre que le frère du chanteur.
C’est lui qui, tel qu’il l’explique dans un entretien avec L’Ecran Fantastique, a dissuadé l’interprète d’On se retrouvera de devenir professeur de lettres, pour se consacrer à la musique. Simple renvoi d’ascenseur, quand Manzor, déjà fort de deux courts-métrages, tente de monter un long-métrage, la star contacte Alain Delon pour un poste de producteur. Le comédien produit et joue donc dans Le passage, petit classique fantastique qui connaît un vrai succès, critique et populaire (1,9 million d’entrées). Les frères Lalanne créent à cette occasion une maison de production.
Étrangement, le cinéaste subit après ça une véritable traversée du désert, où il se consacre au montage de bandes-annonces. Trois ans au terme desquels il murit lentement mais sûrement 3615 code Père Noël, finalement financé grâce à la firme et les quelques deniers qu’il reste du Passage. En tout, ce n’est pas un, pas deux, mais trois Lalanne qui y participent. En effet, la musique est signée Jean-Félix Lalanne, troisième membre de la fratrie très célèbre pour son maniement de la guitare. C’est donc lui qui est à l’origine de la très marquante parodie de Eye of the Tiger introduisant le personnage principal.
Au casting, le gosse du Passage, Alain Musy ; un acteur passé par la filmographie de Bertrand Tavernier et Claude Chabrol, Louis Ducreux ; une icône des années 1980, Brigitte Fossey ; et surtout le terrifiant Patrick Floersheim, acteur de doublage ultra célèbre aperçu dans un des James Bond les plus kitschs (Moonraker). Un melting pot détonnant, balayant aussi bien le cinéma d’auteur que des figures populaires : un beau symbole de la mentalité de Manzor, tombé amoureux de Franju et du cinéma de genre, et plus spécifiquement de ce 3615, autant un survival bien plus grave que prévu, voire complètement horrifique, qu’un amusant conte de noël.
Quand le Père Noël fusionne avec le tonton relou du réveillon
Home (not) alone
Un gosse tout seul dans une maison la nuit de Noël, des parents un peu démissionnaires, mais pas trop, une grande demeure qui se transforme en terrain de jeu, puis en zone de guerre… La relative célébrité de 3615 tient aussi un peu à la sortie d’un autre film, à quelques mois d’intervalle. Le long-métrage de Manzor débarque en effet en France le 17 janvier, et Maman j’ai raté l’avion le 19 décembre. Pour les spectateurs français, si le parallèle est évident, la proximité des deux sorties interdit toute suspicion. La réalité est toute autre.
En effet, l’exploitation du film est en réalité bien tardive par rapport à son tournage, qui commence en octobre 1988. Dès mai 1989, il est montré au marché du film de Cannes, où il est acheté par une pléthore de distributeurs étrangers, avant de récolter plusieurs prix au Fantafestival de Rome et de faire l’ouverture de la grande messe du cinéma de genre de l’époque, le prestigieux festival d’Avoriaz.
Maman j’ai raté l’avion, de son côté, est filmé entre février et mai 1990. Le long-métrage de Chris Columbus a-t-il copié René Manzor ? Selon l’intéressé, c’est évident. Dans un entretien à la chaîne YouTube, La séance de Minuit, le cinéaste déclare « 3615 a été, ce qu’on appelle aux États-Unis un rip-off. C’est-à-dire quand on vole une idée et qu’on en fait autre chose. Ils ont fait un remake sans l’acheter en gros […] S’ils avaient fait un remake de 3615, ils auraient fait Maman j’ai raté l’avion. La seule chose, c’est ça aurait été mieux qu’ils m’achètent les droits ! »
John Hughes en pleine rédaction du scénario de Maman j’ai raté l’avion
Home Alone, de son titre original, un faux remake ? Le projet n’a probablement pas été initialement pensé comme tel, car la phase de préproduction pourrait avoir débuté avant la projection de 3615 lors du marché cannois. John Hughes, le scénariste, a expliqué avoir eu l’idée en s’inspirant de sa propre expérience, lors de la production d’Uncle Buck, avec Macaulay Culkin. Or, cette comédie très peu connue en France a, selon IMdB, démarré son tournage en janvier 1989. Toute conjoncture est donc très hasardeuse et concrètement manichéenne.
Ainsi, il est difficile de qualifier Maman j’ai raté l’avion de pâle copie. Mais nul doute que les péripéties du jeune Thomas ont hautement influencé le scénariste, qui n’avait pour point de départ que l’idée d’un enfant laissé seul, et le réalisateur Chris Columbus. Mine de rien, ce succès sans précédent (476 millions de dollars de recette pour 18 millions de budget tout de même) doit beaucoup au film de Manzor, car l’image que le public en a gardée est directement héritée de son travail. Dommage donc que le projet de remake américain officiel, lancé après Cannes, s’arrête à cause de ça.
Dommage également que l’équipe de production et la presse américaine n’assument pas plus la référence, d’autant que le visionnage des deux films coup sur coup rend la comparaison évidente. Le jeune Kevin ressemble beaucoup à Thomas. Turbulent, il est très émotif, mais croit encore dur comme fer à l’existence du Père Noël (nos excuses aux moins de 8 ans qui nous lisent). La tension des deux films est construite sur un montage alterné, avec d’un côté une mère inquiète faisant tout pour rentrer chez elle, et de l’autre un duel au sommet entre un gosse et un envahisseur.
À ceci près que le méchant de 3615 n’a pas grand-chose à voir avec le duo rigolo de Maman j’ai raté l’avion. Objectif : déposséder l’original d’une noirceur qui le fait verser sans détour dans le cinéma d’horreur, pour la remplacer par les poncifs américains du film de Noël. La froideur du huis clos est sacrifiée sur l’autel d’une multiplication d’intrigues secondaires visant à mieux souligner l’importance de la magie familiale. La mort, thème omniprésent dans la courte filmographie de son auteur et très important dans le cas de 3615, disparait sous l’avalanche de bons sentiments finaux. Du survival torturé à la comédie pétrie de guimauve, il y a une différence de perception du public, et un gros paquet de billets verts.
3615 Pôle emploi
Car le film de Manzor ne connaît pas le même succès que son successeur spirituel, et pour cause : complètement anarchique, il mélange une esthétique et des thèmes profondément liés à un cinéma très adulte avec une aventure à hauteur d’enfant, un melting pot improbable et surtout impossible à vendre. La sortie en salles en France est purement technique, au grand dam de son réalisateur.
Comme souvent avec les films de genre français, pour la plupart méprisés sur les terres de Godard (sauf par la presse spécialisée, Mad Movies et L’Ecran Fantastique en tête), il se vend plutôt bien à l’internationale. En l’occurrence, il a été exploité en Allemagne en vidéo, en Espagne, aux États-Unis pour une sortie limitée, mais aussi au Japon ou au Pérou !
De fait, paradoxalement, s’il sort dans la discrétion la plus totale, il va faire grand bien à la carrière de son metteur en scène. En effet, Steven Spielberg apprécie tellement le film qu’il le montre à sa petite famille plusieurs fois. De plus, les liens évidents qui lient 3615 code Père Noël et Maman j’ai raté l’avion font un peu parler de lui. « Le plagiat a été pour moi une source de 15 ans de travail », dira un Manzor philosophe sur la scène du Max Linder. 15 ans durant lesquels il travaillera à Hollywood, sur la série Les Aventures du jeune Indiana Jones pour Spielberg et même sur Highlander.
Verdun, 1916, épisode de Young Indiana Jones réalisé par Manzor
Aujourd’hui, il partage sa vie entre romans très appréciés des lecteurs et commandes pour la télévision. Une carrière honnête, où on peut retrouver quelques traces de son savoir-faire technique, et son sens du découpage. Toujours heureux de continuer à raconter des histoires sur papier, Manzor a récemment pu profiter du culte dont bénéficient beaucoup de ces œuvres, redécouvertes par une génération entière. Il faut dire qu’un film de Noël où un psychopathe souillant la mythologie saisonnière se la joue home invasion et meurtre de canidé, le tout vu intégralement d’un point de vue enfantin, ça ne court pas les rues.
Ultime consécration, le long-métrage a très récemment été doté d’une édition vidéo impeccable signée Le Chat qui fume, fidèle traqueur de pépites oubliées, qui lui a garanti un petit succès d’estime de cinéphile, sur le tard. La projection au PIFFF qui a suivi a fini de l’établir comme ce qu’il est : une des propositions de genre françaises les plus libres des années 1990 et l’inspiration cachée sous le tapis d’un petit pan du cinéma populaire américain.
« imposent régulièrement Piège de cristal à leur entourage »
Impose? Si je dois imposer ce chef d’oeuvre c’est que tu fais pas parti de mon entourage.
Je ne suis pas de la génération Minitel/premiers Rambo mais j’ai adoré et ce vachement plus que Maman j’ai raté l’avion .
Ah !! « 3615 Code Père Noël »; j’adore !! Je n’avais plus la VHS, et pour trouver le BluRay du film (édité en petit nombre en France), j’ai du commander sur Amazon une édition allemande (pays ou semble-t-il le film est très apprécié du public) titrée « Deadly Games ». Je l’avais découvert grâce à un voisin lorsqu’il était passé sur Canal+. Je n’ai pas souvenir qu’il ai eu depuis une autre diffusion à la TV.
Toujours est-il que malgré ses innombrables défauts, j’aime toujours voir ce petit film français. Merci de le faire découvrir à ceux qui ne le connaitraient pas.
@zapan
Merci et bonnes fêtes à vous !
Alors pour le coup, le Passage est un film que je n’ai vraiment pas aimé, et je me suis parfaitement retrouvé dans la critique qu’en ont fait les gars de chez Nanarland.
Par contre vous m’avez rendu curieux et ce 3615 je vais le voir !
NB : Cloud Atlas est un très grand film
Alors je ne suis pas là pour lire cet article (car non abonne) mais pour souhaiter à toute l’équipe d’EL un Joyeux Noël et de très bonne fête.
Merci encore pour votre travail à nous renseigner sur l’actu cinéma, nous faire rire ou pleurer à dire que Cloud Atlas est un chef-d’oeuvre (ahahah allez c’est Noël!) donc on oublie tout ca et on garde les bons moments.
Bien à vous et mangez bien!
Juste un grand merci de parler de ce film.
L’anti film de Noël par excellence ! Rien que le début ou la boule à neige se fait écrasé par le camion poubelle annonce bien la couleur ^^.
Ça nous change de tous ces téléfilms a l’eau de rose, parfumés de bonnes intentions jusqu’à l’écoeurement !
Un remède au sacro-saint esprit de Noël ^^
J’adore le commentaire islamo gauchiste sur la célébration capitaliste…