Boudé par le public et la critique à sa sortie, Mort ou vif est un condensé de style signé Sam Raimi, au moins aussi énergisant que Spider-Man ou Evil Dead.
Au milieu des années 90, Sam Raimi est déjà devenu le chouchou des amateurs d’horreur, des fans de série B et autres lecteurs de comics, la troupe bigarrée qui deviendra quelques années plus tard l’Internationale Geek, au cœur des attentions des studios. Mais ces derniers sont encore loin de voir dans le réalisateur d’Evil Dead un technicien capable de diriger leurs plus grosses productions.
Le cinéaste va pourtant avoir l’opportunité de faire ses armes sur un western au budget confortable, sur lequel il bénéficiera d’une liberté de ton appréciable. Intitulé Mort ou Vif, le résultat a aujourd’hui des airs de tour de force stylistique d’une puissance et d’une intelligence exceptionnelles. Mais rendons à César ce qui est à César, c’est avant tout à son actrice principale et productrice que l’on doit ce petit miracle.
« Les rapides et les morts »… tout un programme
COEUR DE STONE
On aura, des années durant, présenté Sharon Stone comme une belle plante ne devant la longévité de sa carrière qu’à l’unique Basic Instinct, qui l’imposa comme un sex-symbol instantané. Si sa performance dans le film de Paul Verhoeven demeure aujourd’hui son rôle le plus adulé, il a souvent éclipsé (aidé par le peu de curiosité des commentateurs d’alors) les différentes facettes de la créatrice. En effet, après avoir joué la redoutable Catherine Tramell, Stone, nouvelle sensation hollywoodienne, est courtisée par les majors.
Notamment Sony, qui n’hésite pas à la faire productrice d’un prochain film pour peu qu’elle y tienne le haut de l’affiche. Un procédé relativement courant, qui permet d’ouvrir des gratifications supplémentaires, d’accorder un chouïa de contrôle artistique en plus, mais qui est assez rarement l’occasion pour une star de se transformer en véritable producteur.
Sauf que Sharon Stone n’est pas là pour la gloriole et se transforme bientôt en productrice à part entière. Impitoyable vient tout juste de remettre le western au goût du jour, et le récit crépusculaire de Clint Eastwood a donné une fièvre de nouvelle frontière à Hollywood. Tous les studios veulent faire parler la poudre, et Stone compte bien embrayer sur cette voie, jetant son dévolu sur le scénario écrit par Simon Moore, que Sony a acquis en 1993.
Un Kid en route pour la gloire
On comprend aisément ce qui a tapé dans l’oeil de cette artiste en quête de rôles forts, à la mesure de celui qui l’a fait connaître. Le récit est emmené par une héroïne, Ellen, qui évolue seule et sans demander son reste, dans un monde quasi exclusivement masculin, et franchement hostile à sa seule présence. L’intrigue s’ouvre alors qu’elle arrive à Redemption, cité sous la coupe du cruel Herod, qui en contrôle le moindre aspect et organise chaque année un concours de duellistes.
C’est ce qui amène Ellen, qui compte affronter les participants un à un pour avoir une chance de décocher une balle dans la caboche de l’édile. Film volontiers féministe, Mort ou Vif ne se contente pas de dresser le portrait d’une protagoniste qui ferait passer Ellen Ripley pour un sachet de thé, et s’avère même visionnaire dans son agencement de certaines problématiques.
Les questions de sororité, la représentation de la violence sexuelle et la manière dont le patriarcat est plusieurs fois explicitement désigné comme l’adversaire ontologique de notre desperado recoupent avec une précision troublante les débats qui agitent le corps social occidental depuis quelques années. Ces représentations sont d’autant plus stimulantes qu’elles s’avèrent idéalement mariées aux grands stéréotypes du western.
Russell Crowe, avant les Oscars et les sandwichs aux nouilles
Celui du duel bien entendu, qui consiste ni plus ni moins en une forme extrême de dialogue, la continuation de la dispute par d’autres moyens, mais aussi le motif de la vengeance. Car bien sûr, si Ellen veut terrasser Herod (Gene Hackman, jamais meilleur qu’en salopard satisfait) c’est bien sûr pour assouvir une soif de revanche typiquement westernienne, mais cette dernière est ici parfaitement conjuguée au féminin. Incapable de sauver son père, car renvoyée à une identité féminine qui l’a tenue loin du maniement des armes, elle revient à Redemption pour remettre les compteurs à zéro et laisser derrière elle une collection de cadavres masculins.
Cette écriture, affirmée et cohérente de bout en bout, offre au film une partie de sa singularité, qui lui a permis de demeurer dans les mémoires jusqu’à aujourd’hui. Ce qui n’avait rien d’évident, quand on constate que parmi la dizaine de westerns produits coup sur coup au début des années 90, seuls ceux de Sam Raimi et de Clint Eastwood ont survécu à leur temps.
Productrice investie, Stone va également se pencher sur le casting. C’est elle qui choisit Russell Crowe, parvient à convaincre le tout jeune Leonardo DiCaprio (qui redoute alors d’abimer sa carrière naissante en participant à un projet trop commercial). C’est elle, enfin, qui impose le réalisateur Sam Raimi, dont son Evil Dead 3 – L’Armée des ténèbres lui a tapé dans l’oeil. Et en le désignant, malgré les hésitations de Sony, elle vise juste, car c’est bien lui qui va faire du projet un démentiel opéra conceptuel.
ULTIMATE WESTERN SHOWDOWN APOCALYPSE
Depuis le choc Evil Dead, on connaît le style imparable de Sam Raimi. Incroyablement vive, encline aux défis physiques et aux envolées véloces, sa grammaire vient aussi bien des cartoons que des comics, dont il duplique, traduit, conjugue, la science du mouvement, la composition des images, et le goût des tableaux qui impriment instantanément la rétine. Sa caméra est toujours le premier protagoniste du récit, et semble s’imprégner à chaque image de la tonalité de l’action. Tous ces principes sont évidemment reconduits dans Mort ou Vif, à la différence que cette fois, c’est avec un héritage de cinéma qu’ils dialoguent.
Raimi a digéré des décennies de western, mais aussi le western spaghetti venu d’Europe, et le style qu’il forge ici est une recette détonante, un savant mélange de ces deux influences. Cette dimension orgiaque, qui fait de chaque personnage un précipité solide d’une époque, d’un cliché ou l’écho d’un héros d’hier, démultiplie la folie douce du point de départ de l’ensemble, à savoir un concours de duels.
Voilà qui précipite l’intrigue dans un pur film concept, et, le réalisateur ne s’embarrassant jamais de rendre palpables ou crédibles ce monde et les figures qui l’habitent, nous immerge instantanément dans une pure rêverie. À bien y regarder, on trouve ici, bien plus encore que dans son futur Monde fantastique d’Oz, le grand-écart entre sophistication et absolue candeur. Pour le cinéphile, le métrage a tout d’un fantasme, chaque lieu, la moindre pièce, le plus petit accessoire reproduisant un émerveillement de cinéma.
Car le metteur en scène n’est pas seulement un faiseur d’images à l’énergie inextinguible, c’est un érudit, qui se plaît à citer constamment, avec une ferveur qui n’a rien à envier à celle d’un Tarantino. Mais ici, il ne se contente jamais de clins d’oeil ou de petits greffons cinéphiles nous flattant la rétine, il va jusqu’à mélanger plusieurs effets de styles, plusieurs niveaux d’hommages, qui fusionnent pour créer une couche de sens (et de plaisir) supplémentaire. C’est frappant lors du duel entre Herod et Ace Hanlon (Lance Henriksen).
En surface, la séquence démarre alors que la mise en scène se part d’atours classiques, qu’on jurerait empruntés à John Ford, quand soudain, à la faveur d’un dézoom brutal, l’image nous révèle que les deux personnages ne sont pas aussi proches que nous le pensions, occupés à discuter d’un ton faussement badin, mais sur le point de se flinguer en duel, à plusieurs dizaines de mètres de distance. La géographie se transforme, le montage se réveille, l’illusion cède la place à une seconde manipulation, et nous passons de la rigueur du western américain classique à l’emphase de Leone, quand Harod pulvérise les phalanges de son adversaire.
HIGH FAME RATE
Ces allers-retours plastiques sont légion et rendent le film hypnotique, tant l’intensité et la créativité des procédés employés sidèrent. Progressivement, Sam Raimi délaisse (un peu) les références, pour réinjecter son style dans le film. C’est particulièrement vrai à partir de la bascule opérée à la moitié du récit. La pluie s’abat sur Redemption, l’atmosphère et la photographie s’en retrouvent instantanément altérés. Les teintes chaudes et ocres des premiers segments s’envolent, et l’horreur jaillit.
En effet, quelques secondes après qu’Ellen ait cru avoir remporté un duel improvisé, impressionnant de mobilité et de bouillonnement émotionnel, avec un poivrot un peu trop porté sur les adolescentes, la hargne légendaire d’Evil Dead envahit l’écran.
Car c’est bien la figure d’un Deadite qui est ici invitée, alors que cet adversaire nous occasionne un impressionnant jump scare. Quelques minutes plus tôt, le cinéaste nous avait donné un indice, quant à la tournure des évènements. Quand Herod prévient le sergent Cantrell (Keith David) que les règles d’engagement ont changé, c’est aussi à nous qu’il s’adresse. De simples jeux méta, de déclarations de styles fiévreuses, mais inoffensives, les duels deviennent désormais des duels à mort. Et les conséquences ne se font pas attendre puisque dans les secondes qui suivent, un crâne explose à l’écran, comme pour mieux annoncer la radicalité du traitement de choc que nous réserve Raimi.
Dès lors, Mort ou Vif ne se calmera plus, et va progresser dans la furie la plus totale jusqu’à son climax. Roboratif et luxuriant, le métrage accélère perpétuellement, mais on aurait tort de considérer cette célérité comme sa plus grande qualité. Là où Sam Raimi, qui fut tristement boudé par le public à la sortie du film, accomplit un exploit, c’est dans la mise en place d’un dispositif de montage, qui transforme l’oeuvre tout entière en un organisme vivant. Vingt ans avant le Baby Driver d’Edgar Wright, il choisit de faire reposer une grande part de la puissance émotionnelle de ses scènes sur le montage, en mariant toujours avec précision l’imbrication des images et le mixage sonore.
L’analyse de la scène de l’armurerie en est un exemple ahurissant. Sous nos yeux, trois personnages forts en gueule se mesurent, s’affrontent presque pour savoir quelle arme emporter, et dans quel but. Du roulis des barillets aux ongles tapotant un canon chromé jusqu’aux respirations, la bande sonore devient un morceau de musique concrète follement entrainant, qui dicte au spectateur son énergie, au moins autant que le découpage lui-même. Ce procédé est très fréquent dans le film, et apparaît aujourd’hui dans toute sa maestria.
Raimi apparaît finalement si maître de ses effets et virtuose narrativement, qu‘il peut même se risquer à des sorties esthétiques pour le moins inattendues, qui renforcent toujours le caractère de l’ensemble, plutôt que de ruiner sa cohérence. Il fallait oser pourtant, faire de l’antre du méchant, non pas un décor typique de western, mais une quasi-maison de sorcière, une demeure échappée d’un imaginaire de conte quasi victorien.
Mais à nouveau, en permettant à Hackman de jouer avec une voracité estomaquante, tandis que le travail du son met l’emphase sur ses mains jouant de son briquet, ou celles d’Ellen, espérant l’abattre en dégainant un pistolet dissimulé sous une table, le réalisateur sculpte une nouvelle scène inoubliable.
Loin d’être un manifeste surréaliste coupé de toute émotion, Mort ou vif apparaît au contraire comme un exercice de foi dans le cinéma total, et plus enthousiasmant à chaque visionnage. Un western azimuté qu’il est grand temps de réhabiliter.
Il y a tout de même un truc qui pique les yeux dans ce film ce sont ces zooms excessifs. Cauchemar pour épileptique…
Ne pas oublier son interview de jadis pour Premiere à la sortie de « Mort ou Vif », où il passerait limite pour une brêle pour ce qui est de la connaissance des westerns (malgré les liens scénaristiques, il n’avait pas encore vu « Il était une fois dans l’Ouest », c’est son scénariste qui a repris cette structure tout seul). Il y a bien de bonnes chances pour que Raimi n’ait effectivement jamais vu la plupart de ces westerns spaghetti dans sa jeunesse, puisqu’il a une culture cinématographique s’orientant plus vers les classiques américains. Et effectivement, il s’agit ici d’un style iconoclaste qui est commun à ce que lui développera en tant que cinéaste, peuplé d’effets aussi bien opératiques que cartoonesque. Pas besoin d’avoir vu ces westerns pour ça, puisque ça existe déjà dans une partie de la culture populaire.
Ce qui montre qu’il peut toucher à un certain absolu sans avoir au préalable théorisé un genre… parce-que tous les chemins possibles peuvent y mener ?
Revoir le film des années après permet de prendre du recul, son échec est totalement injustifié, vu le casting et l’équipe technique, c’est un hommage à film de Leone et d’autres avec la patte Raimi, à coté des duels il reste des scènes fournies de dialogues et scènes au petits oignons. Je n’ai jamais lu que Raimi le reniais, et DiCaprio est un ingrat, vu que Sharon Stone a sacrifié une partie de ces 6millions pour le faire engager et qu’il soit payé correctement. Crowe qui n’as fait que Romper Stomper en Australie est engagé par Stone. Lui a dit merci et qu’il lui devait sa carrière .là encore son visage le soleil et la photo de Spinotti achève le truc elle est canon et juste !!
Comme le dit Birdy tire à blanc c’est du Tex Avery chez les cow-boys.
Pour ça et toute les raisons déjà évoquées par ceux qui aiment, je trouve que c’est une pépite immanquable par tout ceux qui se piquent d’aimer la mise en scène et en image
Film too much, ça pourrait passer si on s’intéressait un peu au résultat, cousu hélas de fil blanc. Reste Di Caprio, lumineux, Hackman, qu’on adore détester, et quand même la 1ère fois que je voyais la gueule pas commune de Russell Crowe, encore sacrément bogoss.
Mais pour le coup, les choix de mise en scène de Raimi, le côté m’as tu vu du découpage, trop tex avery, tue la tension dramatique au lieu de l’amplifiée. Un western, surtout avec des duels à répétition, c’est quand même sensé etre un peu tendu…
Alors Kill Bill a su rendre les films de samouraï popcorn et jouissifs, mais Raimi n’a pas su le faire du western.
Eh bien, mon avis à la revoyure n’a finalement pas changé. Mise en scène trop artificielle et trop démonstrative. C’est du Raimi c’est sur mais ça ne fonctionne pas pour un western.
Trop de mouvements de caméra gratuit, trop d’effets qui donnent à certaines scènes l’impression d’une parodie et qui nous empêchent de profiter de l’impact émotionnel que devraient nous procurer les duels les plus dramatiques. Une proportion de gros plans, plans serrés et plan moyens, beaucoup trop élevé qui étouffe l’appréhension de l’espace de manière générale et plus précisément de la ville qui semble du coup toute petite comme rétrécie par l’utilisation à l’excès de longue focale. Excès de contre plongé. Le cast est bon surtout Hackman impérial et Di Caprio qui impressionnait déjà par son talent précoce. L’histoire est carrée, classique mais tendue avec des dialogues savoureux. Mais voilà, la mise en scène ne fonctionne ça ne fait pas western, ça manque d’ampleur, de respiration, de grand espace, de grand angle. Les scènes les plus satisfaisantes ne sont du coup pas du tout les scènes de duel tant attendues, un comble. Je comprend l’échec du film voir même son reniement de la part du réal et de Di Caprio. Dommage, content d’avoir revus les acteurs Hackman en méchant c’est toujours un plaisir.
Vous m’avez très sérieusement donné envie de le revoir avec votre critique Mr Riaux. Vue qu’une fois au ciné, avis mitigé à l’époque j’avais eu du mal je pense entre le mix de modernité de la mise scène de Raimi et les influences des westerns que j’adulais. Léone et Eastwood. La mise en scène folle pour l’époque de Raimi m’avait semblé artificielle et démonstrative. Or c’est sans doute ce que pouvait penser certains puristes du Western quand ils ont découvert les western de Léone.
Et rien que le petit extrait proposé m’a excité au plus haut point, et ce ne sont pas l’effet des guns proposés dans la séquence qui m’ont fait ça mais Hackman, Crow et le petit jeunot à la gueule d’ange qui ira loin comme on disait à l’époque…
Non, ce n’est pas un plagiat, c’est un film sous-influence, qui a bien des qualités pour lui, et pas seulement la présence de gene hackman.
@M.X.
T’as le droit de croire ce que bon te semble.Je maintiens la nullité , outre le plagiat d’il etait une fois dans l’ouest sans le talent des acteurs.Sauf Gene Hackman.
Bref les gouts et les couleurs…..mais le film est nul sinon(selon moi).
T’as le droit de pas aimer, dire que le film est nul, nan jcrois pas!!
Que le film soit sous haute influence « leionnienne », personne n’a prétendu le contraire, l’ombre d’il était une fois dans l’ouest se faisant hautement sentir, à travers le trauma de l’héroïne, mais dire que le film est nul, dans la gamme des quelques westerns sortis à la même époque, au milieu des silverados et consorts, je trouve que c’est l’un de ceux qui s’en sort le mieux..