La Cérémonie, Merci pour le chocolat, Madame Bovary, Une affaire de femmes… 8 films réalisés par Claude Chabrol arrivent sur Netflix.
Il était l’une des figures centrales de la Nouvelle Vague, l’un des grands critiques des Cahiers du cinéma, a réalisé une soixantaine de films au fil d’une carrière étalée sur 50 ans, et était également acteur. Claude Chabrol a marqué le paysage du cinéma français, en signant de nombreux films populaires, comme Docteur Popaul, Les Bonnes Femmes, Que la bête meure, Les Cousins, À double tour, La Fleur du mal, L’ivresse du pouvoir et Bellamy (son dernier film, en 2009).
Parcourir sa filmographie, c’est voir défiler la cinéphilie d’un demi-siècle, portée par les visages de Jean-Paul Belmondo, Jean Yanne, Isabelle Huppert, Jean-Claude Brialy, Bernadette Lafont, Michel Bouquet, Michel Piccoli, François Cluzet, Emmanuelle Béart, Sandrine Bonnaire, Ludivine Sagnier, ou encore Gérard Depardieu. Et même des têtes plus inattendues, comme Mia Farrow, Jodie Foster (Le Sang des autres), et Orson Welles et Anthony Perkins (La décade prodigieuse).
Après Truffaut, c’est au tour de Chabrol d’être à l’honneur sur Netflix, avec l’arrivée de huit films le 15 février. Et c’est l’occasion de revenir sur cinq films marquants, à (re)voir.
D’autres Chabrol manquent, comme Le Beau Serge
Une Affaire de femmes (1988)
DE QUOI ÇA PARLE : Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans la France du régime de Vichy, Marie survit tant bien que mal avec ses enfants. Elle n’aime plus son mari, revenu abîmé de la guerre. Un jour, elle aide une voisine enceinte à avorter d’un enfant d’adultère. Marie devient alors « faiseuse d’anges », et aide d’autres femmes.
POURQUOI C’EST A (RE)VOIR : Derrière la fiction, il y a la réalité. Une affaire de femmes est inspiré de l’histoire vraie de Marie-Louise Giraud, une des dernières femmes guillotinées en France, et la seule « faiseuse d’anges » exécutée pour ce motif, le 22 octobre 1943. Une vérité qui a inspiré l’écrivain Francis Szpiner, adapté ici par Claude Chabrol et Colo Tavernier (collaboratrice et femme de Bertrand Tavernier, et mère de Nils Tavernier, qui joue l’amant de Marie dans le film).
Avec François Cluzet aussi
Une affaire de femmes porte bien son titre, puisque c’est bien un film de femmes. Il y a Isabelle Huppert bien sûr, de tous les plans, et qui porte avec justesse et sobriété ce rôle douloureux. Sans surprise, l’actrice (couronnée à Venise) ne verse jamais dans le pathos, laissant le spectateur scruter son visage a priori impassible, pour reconstruire toute l’émotion de cette femme. Il y a également Marie Trintignant, mémorable en prostituée de bistrot.
C’est le mélange entre la petite (l’ennui, le silence, les rires, l’amant) et la grande histoire (Vichy, l’exécution) qui donne cette atmosphère si étrange à Une affaire de femmes. C’est sans nul doute l’un des grands films de la collaboration fructueuse entre Claude Chabrol et Isabelle Huppert (sept films ensemble, de Violette Nozière, Madame Bovary, La Cérémonie, Rien ne va plus, Merci pour le chocolat, L’Ivresse du pouvoir). Et c’est justement suite à Une affaire de femmes que les deux se retrouveront régulièrement sur les plateaux.
Madame Bovary (1991)
DE QUOI ÇA PARLE : Emma Bovary est une fille de fermier, qui fait un jour la rencontre de Monsieur Bovary, médecin de campagne veuf et désireux de refaire sa vie. Ni une ni deux, la voici bientôt mariée à cet ennuyeux notable de province. Pour tromper l’ennui, elle s’amourache d’un autre homme. Mais l’amour n’a rien d’une évidence dans le milieu qui est désormais le sien.
POURQUOI C’EST A (RE)VOIR : Gustave Flaubert a deux cibles d’élection : la bourgeoisie et la bêtise, ce qui lui vaudra notamment un procès retentissant en 1857, la censure impériale ne goûtant pas franchement son texte Emma Bovary, alors sous-titré “Moeurs de Province”. Logiquement, l’écrivain était cher au cœur de Claude Chabrol, cinéaste initialement identifié à La Nouvelle Vague, qui devint rapidement un des plus aiguisés pourfendeurs de la bourgeoisie française et de ses petitesses.
Une femme bien plus complexe que le portrait d’amoureuse éconduite qui en est parfois fait
Logiquement, il a parfaitement compris les lignes de force du texte, et peut éviter les écueils des adaptations précédentes, mais aussi de celles qui lui succéderont. Chabrol échappe ici totalement aux fausses pistes de la farce sarcastique ou de la tragédie romantique, pour se demander comment se manipulent, se trompent et se détruisent des êtres victimes de leur milieu et de leurs propres limites. Avec ravissement, élégance et dureté, il épingle autant les limites d’un milieu terriblement conformiste, que celles d’une imbécile enivrée par les valeurs d’une bourgeoisie qui démultiplient ses penchants égoïstes. Le portrait est au vitriol, et chaque plan est à la fois déchirant et acéré.
Peut-être parce qu’il est tenu par une reconstitution exigeante, l’ADN d’un immense auteur et qu’il bénéficie d’un budget honorable, Chabrol ne cède à aucune des facilités qui sont parfois les siennes, et s’avère d’une précision aussi jubilatoire que parfois oppressante. De même, il offre ici à Isabelle Hupper un de ses plus beaux rôles, à la gamme d’émotions aussi variée qu’intense, qui lui permettent de saisir le spectateur à la forge pour ne plus le lâcher jusqu’à la conclusion du récit.
C’est quand même autre chose que la tectonique
L’ENFER (1994)
DE QUOI ÇA PARLE : Paul dirige avec compétence le prospère Hôtel du Lac qu’il vient de racheter. Son épouse, Nelly, est ravissante, et son fils, un charmant bambin. Les clients affluent. Pourtant, Paul dort mal. Oppressé, en plein doute, il commence à perdre pied.
POURQUOI C’EST A (RE)VOIR : Parce que L’Enfer occupe une place particulière dans la filmographie de Claude Chabrol. Projet abandonné par Henri-Georges Clouzot, que le cinéaste avait commencé à tourner avec Romy Schneider et Serge Reggiani et dont les premières images promettaient un trip quasi expérimental, Chabrol en a fait une étude sur la jalousie maladive, portée par le couple François Cluzet et Emmanuelle Béart.
Une autre ambiance chez Clouzot
Malgré l’ombre pesante du film inachevé de Clouzot qui plane au-dessus de Chabrol, le cinéaste se réapproprie L’Enfer pour en faire un thriller hitchcockien aux visions troubles. Cluzet y livre une de ses performances les plus inquiétantes, poussé vers la folie par sa jalousie qui le ronge, lui montrant des images d’une Emmanuelle Béart vénéneuse qui fait des galipettes avec Marc Lavoine (oui, dit comme ça, ça peut être particulier).
Une relecture passionnante qui n’a rien à envier au projet abandonné de Clouzot, même si les rushs de l’époque, révélés dans le documentaire L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot, sorti en 2009, nous laissent un arrière-goût de déception à l’idée de ne jamais découvrir la version hallucinée du réalisateur des Diaboliques.
La Cérémonie (1995)
DE QUOI ÇA PARLE : Sophie travaille au service des Lelièvre, dans une petite ville de province, elle ne se tarde pas à se lier avec Jeanne, qui hait ses employeurs. Les deux femmes vont développer pour la famille de bourgeois qui emploient Sophie une haine virulente et insatiable.
POURQUOI C’EST À (RE)VOIR : Isabelle Huppert, Sandrine Bonnaire, Jean-Pierre Cassel, Jacqueline Bisset, Virginie Ledoyen… rarement Claude Chabrol aura eu à sa disposition une distribution aussi parfaitement équilibrée, charismatique, et prestigieuse. Personne ne se laisse aller au surjeu, la moindre réplique est assénée avec précision et justesse, tandis que la complexité psychologique des situations progresse de séquence en séquence.
L’affaire célèbre des “soeurs Papin” est ici une influence évidente, mais Claude Chabrol ne souhaite pas tant adapter Jean Genet ou retranscrire un authentique fait divers que réfléchir au sens de la violence, à son origine et sa signification. Qui, des bourgeois qui méprisent Sophie, de la postière qui veut en faire son bras armé, ou de la jeune analphabète qui initiera finalement la violence physique, est le véritable pourvoyeur de la brutalité ?
La réponse n’est jamais univoque chez Chabrol, et ici moins qu’ailleurs. Avec un sens du tranchant qui ne fait que se resserrer sur le spectateur au fil de l’intrigue, il établit une caisse de résonnance où chaque micro-agression est captée par la caméra, et notamment un montage faussement indolent, pour livrer, au cours de séquences faussement anodines, un petit précis d’horreur sociale. En témoigne la séquence des moules, où une conversation anodine se mue en un étalage de violences symboliques et intra-familiales.
Merci pour le chocolat (2000)
DE QUOI ÇA PARLE : Le pianiste André Polonski a épousé une seconde fois Mika. Entre-temps, il a eu un fils, Guillaume, dont la mère est morte accidentellement. Jeanne, future grande pianiste, apprend incidemment qu’elle aurait pu être échangée avec Guillaume le jour de sa naissance. Elle décide alors d’approcher cette famille qui n’est pas la sienne…
POURQUOI C’EST A (RE)VOIR : Pour son entrée dans le nouveau millénaire, Claude Chabrol signe avec Merci pour le chocolat un pur thriller psychologique, aussi savoureux que la boisson qui émaille son récit. Vaguement inspiré d’un livre de Charlotte Armstrong, le film a l’excellente idée de reposer sa mise en scène sur le point de vue de Jeanne, qui va pénétrer petit à petit dans un cercle familial qui renferme de nombreux secrets.
La caméra du cinéaste accompagne alors cette progression en s’attardant sur le moindre détail et sur le moindre non-dit, au point de transformer le long-métrage en enquête que le spectateur vit en même temps que son héroïne. À vrai dire, Merci pour le chocolat jouit de son aspect foncièrement ludique, que Chabrol traduit par la minutie de sa réalisation cinéphile, qui pioche dans le meilleur d’Hitchcock et de Fritz Lang.
Mais cette étonnante cocotte-minute faite film ne serait rien sans ses acteurs qui s’amusent de leur duplicité. Aux côtés d’un Jacques Dutronc surprenant, Isabelle Huppert trouve un rôle joyeusement pervers, qui annonce certaines performances majeures de sa carrière (dont Elle de Paul Verhoeven). Pour toutes ces raisons, Merci pour le chocolat est une œuvre fascinante à redécouvrir, d’autant plus qu’elle souligne le renouveau de Chabrol dans la dernière partie de sa vie.
La Cérémonie (1995) avec son twist a 2 balles .digne d’une série Z…
Des bourgeois incapables de se payer un magnétoscope (déjà c’est limite) , qui donc enregistrent un concert TV sur un vulgaire magnétophone, pas en branchant la sortie son de l’écran sur l’entrée son du magnétophone (ça serait bien trop facile et évident) mais via un microphone qui va surtout enregistrer les bruits ambiants rendant inaudible le concert , tout cela pour justifier le Twist final ,
C’est vraiment prendre les spectateurs pour des abrutis et indigne d’une réalisateur honnéte !
On a des scénaristes Français qui n’essayent vraiment pas de se casser la tête pour être réaliste et de trouver un autre moyen crédible pour arriver a leurs fins , ça n’a quasiment effleuré aucune critique ces énormes ficelles scénaristiques.
On va me dire que c’est un détail, mais c’est dans les détails qu’on juge un film en le rendant crédible ou pas.
L’enfer le bien nommé, Chabrol n’avait visiblement pas pris connaissance de ce que Clouzot avait en tête, tellement que son adaptation d’une histoire d’un mari jaloux est d’une banalité soporifique ,sans trouvaille aucune ..
Landru avec un Charles Denner doublait la plupart du temps par un autre acteur, ça fait assez bizarre.
Jours tranquilles à Clichy, Chabrol lucide avait ce film tourné en Anglais bien raté.
@Lecteur 451 Bacon :
Les huit films mis en ligne sur Netflix :
Betty
La Cérémonie
L’Enfer
La Fleur du Mal
Madame Bovary
Merci pour le chocolat
Rien ne va plus
Une affaire de femmes
J’aurais mis Betty en tête de gondole. Ce métrage passe systématiquement sous les radars, coincé entre Une affaire de femmes et La cérémonie. On en parle souvent comme du meilleur rôle de Trintignant et de sa dernière collaboration d’avec Audran.
Mais il faut revoir ce métrage adapté de Simenon qui fouille les arcanes d’une âme tourmentée oscillant entre le bien et le mal et sans jamais que Chabrol ne cherche à trancher. C’est ce qui fait tout son talent, absence de jugement. Il avait coutume de dire qu’on ne pouvait jamais connaître totalement un personnage, qu’une part d’opacité devait subsister et ce métrage incisif, cruel, triste, évanescent en est la quintessence. Vivement conseillé.
J’attends toujours la diffusion à la télé ou sur les plateformes de streaming de 2 raretés de Chabrol: un film de SF Docteur M et un film fantastique Alice ou la dernière fugue.
Que la bête meure, quel moment de cinéma.
Quels sont les 3 autres films s’il vous plaît ? C’est cool en tout cas
Que la bête meure est un chef d’œuvre.
Je ne peux pas m’empêcher de le rapprocher du Boucher, grâce à l’interprétation de Jean Yanne, incroyable dans les deux films.
Vous l’avez bien cité dans votre article mais « Que la bête meure » reste l’un des films les plus forts réalisé par Chabrol. Duchaussoy impeccable et Jean Yanne dans un de ses plus beaux rôles d’infâme salopard d’enfoiré.
C’est cool de parler de chabrol, un réal un peu oublié je trouve, surtout que les éditions dvd de ses films ne sont pas si nombreuses.
Qu’on aime ou pas Netflix, c’est à saluer, merci pour l’article!
Déjà, vous m’avez redonné envie de me plonger dans sa filmo que je ne connais qu’en surface.
Je m’étais mis de côté La cérémonie (je ne saurais pas expliquer pourquoi je ne l’ai jamais vu, alors que je sens que c’est pile pour moi), Les noces rouges, La femme infidèle, Les Innocents aux mains sales, Jours tranquilles à Clichy et Le cri du hibou, pas revu depuis très longtemps pour ce dernier.
Donc mission remplie (pour moi) ! 🙂
Et au sujet de Bellamy, son dernier film, c’est à redécouvrir, clairement.
Depardieu bouffe l’écran, comme d’habitude, et c’est un bon film policier, qui distille ses indices au compte-goutte.
@BadTaste
On aurait pu en ajouter d’autres, la liste est loin d’être exhaustive, mais qui sait peut-être qu’un jour on reviendra en détail sur tout ça !
Avec un peu de chance, cet article intéressera nos lecteurs et lectrices 🙂