Comme d’autres genres, le western a aussi connu des duos de réalisateur et d’acteur qui ont marqué son histoire. Des paires qui se sont presque imposées comme une évidence tant leur entente a proposé des chefs-d’oeuvre intemporels. Parmi eux, on peut évidemment citer John Ford et John Wayne ou encore Sergio Leone et Clint Eastwood, mais aussi Anthony Mann et James Stewart.
Ensemble, les deux hommes ont collaboré sur cinq westerns, tous devenus de grands classiques du genre. Et tout a commencé en 1950, avec Winchester 73, qui dépeint l’histoire sanglante de l’Ouest américain, entre tradition et modernité.
Messieurs, je vois un chef-d’oeuvre à l’horizon
LA RENCONTRE
Au début des années 50, le western s’apprête à connaître son Âge d’Or. Depuis que John Ford a fait oublier la série B avec La chevauchée fantastique, le genre a envahi les écrans et gagné ses lettres de noblesse grâce à des réalisateurs comme Howard Hawks, William A. Wellman ou encore Anthony Mann. C’est à cette époque que le cinéaste se consacre au western après avoir déjà réalisé des films noirs à petit budget, d’abord avec Les furies en 1950, puis La Porte du diable et Winchester 73 dans la foulée.
Sans James Stewart, le film n’aurait probablement pas vu le jour. L’acteur voulait tourner dans Harvey, adapté de la pièce de théâtre de Mary Chase, qui devait être réalisé par Henry Koster, mais Universal n’avait pas les moyens de payer les 200 000 dollars que réclamait Stewart. À la place, son agent, Lew Wasserman, qui dirigeait la MCA, a négocié un contrat avec William Goetz, le président du studio, pour que Stewart joue dans Harvey et Winchester 73 en échange de la moitié des recettes des films et d’un taux d’imposition moins élevé en considérant l’acteur comme une entreprise.
Une combine qu’il avait mise en place dès les années 30 avec d’autres agents comme Myron Selznick et qui s’est généralisée au fil du temps, permettant ainsi aux acteurs d’accroitre leur pouvoir à Hollywood au détriment des grands studios, dont la domination était déjà mise à mal depuis quelques années. Encore plus avec le procès de Paramount Pictures en 1948 et le décret antitrust qui en a découlé, les empêchant de gérer à la fois la production et la distribution. D’après certaines estimations, le succès inattendu de Winchester 73 (plus de 2 millions de dollars au box-office) aurait rapporté environ 600 000 dollars à Stewart. C’est ce qu’on appelle un coup de maître.
T’y crois toi, à son histoire de western sur une carabine ?
À l’origine, Winchester 73 devait être réalisé par le légendaire Fritz Lang, qui avait déjà réalisé deux westerns, Le Retour de Frank James en 1940, et Les Pionniers de la Western Union en 1941. Seulement, Universal ne voulait pas que le film soit produit par la société de production du réalisateur de Metropolis, Diana Productions, qu’il avait fondée avec le producteur Walter Wanger et l’actrice Joan Bennett. Alors, Lang a abandonné le projet.
Impressionné par La Porte du diable, sorti quelques mois plus tôt (et un des premiers westerns antiracistes), James Stewart a alors suggéré le nom d’Anthony Mann pour prendre la relève. D’autant que les deux hommes se connaissaient bien : en 1934, le réalisateur avait fondé la Stock Company, une troupe de théâtre dans laquelle Stewart s’était distingué avant de prendre la direction d’Hollywood.
Enthousiaste, Mann rejoint le projet, mais n’est pas convaincu par le script écrit par Robert L. Richards d’après l’histoire de Stuart N. Lake intitulée Big Gun. Il demande alors à Borden Chase, avec qui il avait travaillé sur Dr Broadway (et retravaillera ensuite pour Les Affameurs et Je suis un aventurier), d’imaginer un nouveau scénario, conçu autour d’une histoire de vengeance pour le personnage de James Stewart et d’une arme passant de main en main, la fameuse carabine Winchester modèle 1873. Une des armes qui a conquis l’Ouest américain, comme le rappelle le carton d’introduction, qui sacralise l’objet avant que la caméra et les personnages ne le fassent. C’est d’ailleurs sur elle que s’ouvre et se conclut le film.
Tout le monde n’a d’yeux que pour elle
A HISTORY OF VIOLENCE
Objet de toutes les convoitises, le fusil est véritablement traité comme un personnage à part entière et permet de dresser un portrait de l’Ouest américain à travers ses différents propriétaires, chacun représentant une des figures traditionnelles du Far West, du cow-boy vertueux au hors-la-loi qui abat ses ennemis dans le dos en passant par l’Amérindien ou le sergent de cavalerie. Comme pour une Excalibur des temps modernes, les prétendants défilent en espérant pouvoir arracher de sa vitrine cette arme si rare qu’elle est surnommée « Une pour mille« . Mais à l’instar de l’épée de légende arthurienne (ou Mjöllnir), elle revient à celui qui s’en montre digne, un tireur hors pair : Lin McAdam.
Cependant, derrière ses faux-airs de film choral simpliste et la réalisation épurée de Mann, qui délaisse le pittoresque pour une mise en scène fluide, Winchester 73 s’avère aussi riche que dense, avec des mouvements de caméra aussi précis qu’élégants. Le film reprend bien tous les éléments d’un western tout ce qu’il y de plus classique, avec un marshal, des bandits, des fusillades, une attaque d’Amérindiens face à la cavalerie, la partie de poker qui dérape ou encore une chevauchée à travers des paysages qui dominent les personnages. Stephen McNally et Dan Duryea sont des méchants monolithiques, manichéens, de parfaits salauds que le spectateur attend de voir tomber sous les balles.
Pour historiquement ancrer son récit, le scénario mentionne également de grands noms et des chapitres importants de l’histoire sanglante des États-Unis, principalement bâtie avec des armes à feu à cette époque. À mesure que les personnages se rencontrent et que la carabine change de propriétaire, le film rappelle des événements comme la Guerre de Sécession avec la bataille de Gettysburg (dans une séquence où les ennemis d’hier s’associent face à la menace des Amérindiens), la bataille de Little Big Horn, mais aussi des figures importantes de l’histoire du Far West, comme Buffalo Bill.
Des passages pendant lesquels apparaissent Tony Curtis et Rock Hudson au début de leurs carrières au cinéma, respectivement dans le rôle de Doan, un soldat de la cavalerie, et de Young Bull, fils de Sitting Bull, célèbre chef amérindien ayant mené la bataille de Little Big Horn face aux troupes du général Custer, dont la mort est également rappelée. Le marshal Wyatt Earp et son frère Virgil (qui participeront tous les deux à ce qui sera connu comme la fusillade d’O.K. Corral) sont également présents dans le film, réclamant à Lin McAdam et High-Spade qu’ils retirent leurs armes une fois arrivés à Dodge City, qui fête le centenaire du pays avec son concours de tir.
I’M VENGEANCE
Outre ce scénario ingénieux et une forme relativement classique du western, Winchester 73 est un des films qui modernisera le genre, en particulier à travers un nouveau type de héros, déjà croisé dans La Vallée de la peur réalisé par Raoul Walsh en 1947 et J’ai tué Jesse James réalisé par Samuel Fuller en 1949.
Contrairement à la figure glorifiée du cow-boy qui représente la justice dans toute sa noblesse, Lin McAdam est un personnage torturé, complexe, rongé par ses névroses et une noirceur qui se devine dans ses yeux, emplis de haine. C’est cet acharnement qui devient obsession, cette colère qui le rend aveugle, qui donne toute sa substance au personnage et que James Stewart exprime à la perfection à travers son regard dur et ses expressions ambiguës.
Dans ce monde, les visages sont marqués par la fatigue et le climat, la sueur imbibe les chapeaux poussiéreux, le pardon ou la pitié n’existent pas et le sang coule dans une atmosphère sombre, magnifiée par le sublime noir et blanc de William H. Daniels. Par souci d’authenticité, l’acteur a d’ailleurs pris des cours de tirs auprès d’un employé de la Winchester appelé Herb Parsons (qui a aussi réalisé le tir dans la pièce pour les besoins du film).
Les affrontements sont d’ailleurs particulièrement brutaux. Pas autant que les westerns de Sam Peckinpah, mais suffisamment pour interpeller, interroger sur les motivations de Lin McAdam et sur la poursuite qu’il mène sans relâche. Par moment, l’esthétique et le scénario de Winchester 73 se rapprocheraient presque du film noir, genre dans lequel Anthony Mann était devenu un maître avec ses précédentes oeuvres.
Cette part d’ombre qui habite Lin McAdam se révèle justement dans ses accès de violence, que ce soit lorsqu’il colle le visage de Waco Johnny Dean contre le bois du bar du coin pour lui soutirer des informations sur celui qu’il poursuit ou quand il porte la main droite à son revolver qu’on lui a pourtant retiré quelques minutes plus tôt quand il croise son ennemi, qui a le même réflexe.
Je l’aurai un jour, je l’aurai !
Que sa quête de justice ou de vengeance soit légitime ou non (la frontière entre les deux est mince, comme le prouve le film), Lin McAdam devient presque une personnification de la vengeance et la révélation sur les liens qu’il le relie à Dutch Henry Brown, amenée sous forme de twist scénaristique, vient bouleverser la relation entre les deux personnages.
Le récit prend alors la forme d’une tragédie, comme une relecture du meurtre d’Abel par Caïn à une époque où les terres de l’Ouest étaient encore sauvages et que les armes dictaient la loi. Dommage, en revanche, que le seul personnage féminin du film, Lola Manners, incarnée par Shelley Winters, n’ait pas le droit à un traitement aussi dense et se laisse embarquer à droite à gauche sans trop protester, même si elle tente de s’imposer tant bien que mal dans ce monde cruel et machiste. En revanche, les autres rôles secondaires interprétés par Millard Mitchell ou Will Geer sont à la fois drôles, attachants et contribuent eux aussi au charme du film.
Ça te dit un petit tour de cheval à travers la pampa ?
Cette histoire autour d’une Amérique qui s’est façonnée dans le sang grâce aux armes permettra à Mann de confirmer son talent dans le western et de continuer avec d’autres films aux côtés de James Stewart, dont la perception auprès du public change après ce Winchester 73. Jusqu’alors, l’image du grand dadais frêle et idéaliste collait à la peau de l’acteur depuis Monsieur Smith au Sénat et ses autres films tournés sous la direction de Frank Capra. Stewart attribuera d’ailleurs largement cette évolution à sa collaboration avec Mann.
En plus de la magistrale série de westerns qui se poursuivra avec Les Affameurs en 1952, L’Appât en 1953, Je suis un aventurier en 1954 et L’Homme de la plaine en 1955, les deux hommes travailleront également ensemble sur Le port des passions en 1953 et Strategic Air Command en 1955. Une association qui a permis au western de connaître ses plus belles heures et de prendre un tournant à la fois brutal et moderne, qui sera ensuite repris et exacerbé par bon nombre de réalisateurs du genre. Et ça tombe bien, on a d’ailleurs consacré un dossier aux 20 meilleurs westerns de l’histoire, dans lequel se trouve un certain Winchester 73.
çà ! c était Des Films … Les westerns Nous manquent…Enfin je sais que Les Nouvelles Générations ne sont pas accros aux WESTERNS…Dommage…
Un grand film qui traverse l’histoire de l’Ouest dans un noir et blanc magnifique ! Vivement la sortie Blu-ray du nouveau master !