L’Indien d’Amérique est une figure indissociable du western. Un personnage emblématique dont le cinéma a principalement défini l’archétype, celui d’un être belliqueux à la peau rouge qui s’en prend sauvagement aux convois des pionniers, un arc à la main, une coiffe de plumes sur la tête. Une image simplifiée et négative, longtemps restée ancrée dans l’imaginaire collectif, héritée des séries B, des westerns classiques et de leur vision binaire de l’Ouest américain : le shérif arrête les hors-la-loi, les fermiers s’opposent aux riches et les cow-boys tuent les Indiens.
Il faut attendre les années 50 pour que La Flèche Brisée marque un tournant en présentant les Indiens comme des personnes civilisées, pacifiques, tout simplement humaines, initiant ainsi un mouvement de réhabilitation des Amérindiens au sein du genre à travers un progressisme pro-indien. Puisqu’il n’y a pas vraiment besoin de prétexte pour en reparler, on a donc décidé de se replonger dans ce grand film réalisé par Delmer Daves avec James Stewart, sans doute un des plus beaux westerns de l’Histoire.
Bonjour, je cherche Cochise, s’il vous plaît
ENTERRER LA HACHE DE GUERRE
Bien qu’il soit une oeuvre essentielle dans la représentation des Indiens d’Amérique du Nord au cinéma, La Flèche Brisée n’est pas le premier western antiraciste de l’histoire, et tous les westerns avant lui ne traitaient pas les Amérindiens comme des monstres sanguinaires. Déjà à ses débuts et à l’époque du muet, le cinéma américain avait filmé de vrais chefs de tribus indiennes avec un point de vue réaliste dans des oeuvres entre film historique et documentaire, désormais perdues.
D’autres par la suite, comme Buffalo Bill, réalisé par William A. Wellman en 1944, ont également appelé à la tolérance entre les peuples et mis à mal la soi-disant supériorité de l’homme blanc en montrant la sauvagerie dont il était capable. Personnification du genre, John Ford a aussi démontré une volonté de restaurer l’honneur des Natifs du Nouveau Monde avec deux chefs-d’oeuvre de sa filmographie, Le Massacre De Fort Apache en 1948 et La charge héroïque en 1949 (même s’il a aussi largement contribué à véhiculer ce stéréotype de l’Indien assoiffé de sang au long de sa carrière avec Le Cheval de fer en 1924, Sur la piste des Mohawks et La chevauchée fantastique en 1939 ou encore La Prisonnière du Désert en 1956).
Là, tu vois, je fais rien et j’ai quand même la classe
En revanche, s’il n’est effectivement pas le premier film du genre à dépeindre les Amérindiens avec justesse et respect, La Flèche Brisée est le premier à s’intéresser à la culture amérindienne et ses traditions avec autant d’acuité et d’humanité, et c’est sans doute pourquoi il est considéré par beaucoup comme le premier western pro-indien. Le film l’annonce d’ailleurs dès l’ouverture par la voix off de James Stewart : « ce que je m’apprête à vous raconter est arrivé exactement comme vous allez le voir« , suggérant ainsi que tout ce qu’était le western auparavant n’était qu’un mythe, et qu’il est temps de rétablir la vérité.
Une vérité qui a presque une valeur historique, puisque le récit est une adaptation dramatisée et romancée du roman Blood Brother d’Elliott Arnold (La Flèche Brisée en français), publié en 1947, basé sur la véritable rencontre entre l’aventurier Thomas J. Jeffords et le chef apache Cochise à l’époque où le président américain Ulysses S. Grant a demandé au général Oliver Otis Howard de négocier la paix avec les Apaches.
IMAGINE ALL THE PEOPLE
1870, en pleines Guerres indiennes. Ancien éclaireur de l’armée devenu chercheur d’or, Tom Jeffords (James Stewart) chevauche au pas dans le désert d’Arizona. Un personnage qui, comme le film, va à l’encontre des mentalités. Même s’il présente les Amérindiens comme des êtres plus dangereux que les serpents, il ne peut se résoudre à laisser un jeune apache mourir devant lui et le soigne. Considérant que les Indiens sont les occupants légitimes d’une terre que les Européens ont colonisée par la force, il est lassé des tueries et décide alors de se rendre dans la citadelle de Cochise (Jeff Chandler), espérant établir le contact avec lui pour discuter d’une paix durable entre Blancs et Apaches.
À partir de cet optimisme assez rare dans le genre débute alors un voyage initiatique que Tom effectue en même temps que le spectateur, l’impliquant émotionnellement dans le drame du récit. Une fois la frontière franchie, le chercheur d’or et la caméra découvrent un paysage hostile, mais qui renferme autant de mystères que de richesses. Un monde fait de cérémonies, de rituels, de danses, de croyances, de symboles, composé d’êtres sages, nobles, sensibles, qui aspirent eux aussi à l’amour et la liberté.
Ça fait moins le malin sans son pistolet, hein
Lentement, sans esbroufe, Delmer Daves prend le temps de dévoiler leur culture, leurs traditions, la place qu’occupent les hommes et les femmes dans cette civilisation qui le passionne depuis tout jeune, quand son grand-père lui contait ses aventures de chef de convois après la Guerre de Sécession. Durant sa vie, le cinéaste a effectué plusieurs séjours dans différentes tribus amérindiennes (Apaches, Hopi, Navajos, Pueblos), devenant familier de leur mode de vie.
C’est cette honnêteté, cette pureté, cette sobriété formelle dans la mise en scène qui lui donnent toute sa force. À défaut de pouvoir vivre ensemble, Blancs et Indiens peuvent vivre en paix, sur un seul territoire. Un discours d’apaisement et de réconciliation dont la dimension politique transparaît d’autant plus sachant que le scénario (nommé aux Oscars) a été écrit par Albert Maltz, inscrit sur la liste noire du maccarthysme des Dix d’Hollywood pour son appartenance au parti communiste et remplacé par Michael Blankfort, sans être crédité au générique.
On va fumer le calumet de la paix après, on va se mettre bien
Cette trêve entre Blancs et Apaches passe inévitablement par le dialogue et la communication est un thème majeur dans le film, comme le note le chercheur en philosophie Philippe Sabot dans son article La question indienne ou la communauté impossible. La voix off de James Stewart précise bien dès les premières secondes que les Indiens parlent anglais par convention et avant même d’entamer son périple en territoire apache, il apprend leur langue et leurs moeurs auprès d’un Indien installé en ville. Comme un symbole, la première revendication concerne le courrier, qu’il décrit à Cochise par une analogie avec les signaux de fumée qui voyagent dans l’air. Le chef indien s’étonne de voir un Blanc faire preuve d’autant de compréhension pour son peuple.
Quand la langue du papier remplace la langue des flèches
ORGUEIL ET PRÉJUGÉS
Au fur et à mesure, la confiance et le respect mutuel entre Tom et Cochise se muent en une profonde et touchante amitié, tandis que le chercheur d’or se marie avec une jeune squaw, Sonseeahray (Debra Paget). Malgré des séquences magnifiques entre les deux personnages, presque oniriques, leur romance facile est malsaine avec le recul (d’autant que Debra Paget avait 15 ans quand James Stewart en avait 41). Mais cet amour entre l’Indienne et l’Américain tient plus du sacrifice compte tenu des difficultés que pourraient rencontrer le couple mixte et leurs futurs enfants aussi bien chez les Blancs que chez les Apaches.
Comme l’écrit le grand critique Jacques Lourcelles : » Le lyrisme de Daves et son immense talent plastique culminent dans le plan où les deux époux allongés contemplent un paysage de lac et de montagnes. […] La beauté, chez Daves, n’est pas seulement la splendeur du vrai, mais également celle du possible, comme si le possible faisait partie du vrai et était appelé à se réaliser, un jour ou l’autre, quelque part. L’interprétation du film est particulièrement mémorable. «
Et on ne peut qu’être d’accord
Refusant le manichéisme, Delmer Daves montre également les dissensions au sein des deux camps : d’un côté, les habitants de Tucson veulent pendre Tom pour ce qu’ils considèrent comme une trahison et ne croient pas un seul instant que les Indiens puissent tenir parole même après avoir eu une preuve avec les cinq convois de courrier revenus sains et saufs ; de l’autre, Cochise doit faire face à la méfiance des autres chefs et se heurte à Geronimo, qui quitte la tribu et viole la trêve. La paix a un prix comme le démontre la dernière séquence, qui sublime tout le propos du film, mais qu’on préserve pour ceux ne l’ayant pas vu.
Une leçon de cinéma et d’humilité de 93 minutes qu’on ne se lasse jamais de voir et revoir, avec un casting fabuleux. Pour son deuxième western, James Stewart est absolument parfait, comme d’habitude, avec une partition toute en retenue et un regard qui renferme déjà toute la complexité de ses futurs rôles dans le genre. Face à lui, un Jeff Chandler tellement magistral qu’il sera nommé pour l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle et incarnera Cochise encore deux fois, dans Au mépris des lois réalisé par George Sherman en 1952 et Taza, fils de Cochise réalisé par Douglas Sirk en 1954. Sans oublier Debra Paget, candide, solaire, merveilleuse.
Quelques mois après La Flèche Brisée sortait un autre western pro-indien, La Porte du diable, réalisé par Anthony Mann avant qu’il n’entame un cycle de cinq westerns avec ce même James Stewart (dont Winchester 73, auquel on a également consacré un dossier ici). D’autres films du genre ont ensuite repris le flambeau du progressisme pro-indien : Taza, fils de Cochise et Bronco Apache réalisé par Robert Aldrich en 1954, Little Big Man réalisé par Arthur Penn en 1971, jusqu’à Danse avec les loups réalisé et porté par Kevin Costner, qui pourrait presque être vu comme l’accomplissement de tout ce que Delmer Daves a initié à l’époque.
merci de ne pas souillé un grand film avec votre vocabulaire infame tel « progressisme pro-indien » et autre grossièreté
excellent western…Les Films de DELMER DAVES sont très souvent Humanistes…Et JAMES STEWART vraiment un Super acteur comme on en fait plus…
Ford a fais « Les cheyennes » aussi qui montre les amérindiens de manière moins manichéiste, même si c’était après La flèche brisée
J’ai l’impression que ça va débattre comme dans JCVD au sujet des méchants. Les indiens, les russes, les arabes, les vénézuéliens et sûrement d’autres. Le cinéma américain n’est pas que du divertissement, ça peut être aussi une bonne machine à propagande parfois pour des choses plus nobles ou parfois par pur impérialisme….l’on va dire. Mank le relève assez bien même si c’est plus pour un point de vue politique intérieur dans le film. De toute façon, les USA ont besoin d’antagonistes, l’antagoniste, c’est un peu la colle de leur nation.
L’indien a longtemps été représenté comme un sauvage, un barbare qu’il faillait « civiliser ». L’Amérique et son récit national mensonger a fait des dégâts. La « destinée manifeste » au service de ce récit national justifiait les massacres et les injustices. Il se passe la même chose au sujet des arabes et des musulmans, le ciné us (et pas seulement ment et généralise). Dernier exemple en date, le dernier film de Guy Ritchie « un homme en colère » voir de 1h03 à 1h05.
Vu quand j’étais gamin, moi qui était habitué à voir les indiens comme les « méchants » dans les westerns, ce fut un choc.
Tiens, il faudrait que je revois ce film.