Dans Rock Academy, un professeur apprend à ses élèves à s’émanciper. Mais pas avec des dictons poussiéreux : grâce à la furie culte du rock’n roll. C’est évidemment une mission pour Jack Black et Richard Linklater, qui sont parvenus à transformer un projet plutôt quelconque, à la recette éculée, en riff pas loin d’être culte.
Les années 80/90 n’auront manqué aucune occasion de confronter enfants et stars hollywoodiennes. Ils se seront entrechoqués à la faveur de concepts plus ou moins finauds (La Course au jouet), auront souvent poussé la chansonnette (Sister Act, acte 2), et embarrassé moult spectateurs. Pour gênant qu’il puisse être, le sous-genre a perduré jusqu’à notre époque de lumière et de félicité, qui vit Vin Diesel traquer des couches sales dans Baby-Sittor, Dwayne Johnson se transformer en Fée malgré lui. Plus d’une fois, Rock Academy fut comparé à ces longs-métrages douloureux, lui occasionnant sans doute un petit déficit de popularité auprès des non-initiés. Il est temps de réparer cet affront.
TENACIOUS JACK
Au commencement était le rock. Le rock teigneux, celui qui fait saigner les doigts et ne se lave pas les cheveux. Celui qu’incarnent depuis le mitan des années 90 Jack Black et Kyle Glass. Le duo de copains se produit alors dans les bars de Los Angeles, de 1994 à 1997. Ils vont faire la rencontre de David Cross et Bob Odenkirk (oui, le Saul de Better Call Saul), respectivement producteur et auteur, lesquels ont un coup de coeur pour leurs compositions gentiment azimutées. Ensemble, ils transformeront cette douce dinguerie en une série, Tenacious D, laquelle deviendra un film en 2006 intitulé Tenacious D in « The Pick of Destiny ».
Mais nous n’en sommes pas là, et Black, qui commence à se tailler une solide réputation d’amuseur, comédien et musicien, est surtout un amateur de fêtes surréalistes, lesquelles l’amènent plus que de raison à courir, nu et chantant, dans les couloirs de l’immeuble de Los Angeles où il habite. Immeuble où réside également le scénariste Mike White. Ce dernier assiste plus souvent qu’à son tour aux frasques du comédien et musicien, tant et si bien qu’elles vont lui inspirer une histoire, qui deviendra Rock Academy.
Au-delà de l’anecdote, c’est bien cette proximité qui va permettre au film de prendre une saveur, et une valeur particulières. En effet, le projet va prendre des airs de quasi-documentaire sur son interprète principal. Leur connexion est évidente, tant et si bien qu’il finira par jouer également dans le film.
« Groupie n’est pas un métier gamine »
Dewey Finn est un éternel aspirant rockeur en voie de clochardisation. Exclu de son groupe, incapable de payer son loyer, il est mis au pied du mur et va bien devoir accepter la cruelle vérité : il ne sera jamais la star qu’il rêvait, et n’électrisera aucune foule en délire le révérant dans un stade bondé. Usurpant l’identité d’un enseignant, le voici bientôt professeur de musique. L’occasion de transmettre toute la passion qu’il a accumulé, et peut-être d’en faire don, quitte à devenir autre chose que le musicien espéré. Une situation voisine de celle de Black, certes pas en voie de clochardisation comme le personnage principal du film, mais familier avec la nécessité de laisser mourir ses vieux rêves.
Comédien alors reconnu, à l’affiche de productions aussi variées qu’Ennemi d’état, High Fidelity ou encore L’Amour extra large, il a beau pratiquer encore le rock, comme en atteste le petit succès de Tenacious D, l’entreprise en elle-même est suffisamment proche du pastiche pour en dire long sur le renoncement qui la fonde. Par conséquent, l’acteur sait exactement par quel angle attaquer ce protagoniste qui pourrait n’être sur le papier qu’un énième prototype de loser attachant, mais se révèle ici incarné avec bien plus d’intensité.
Quand il pulvérise un instrument dans un accès de rage, quand il peine à émerger d’une soirée alcoolisée, ou quand il feint de croire encore en lui-même, Dewey est presque plus intéressant et saisissant que lors de ses sorties drolatiques, quand il monte sur scène, ou capture avec malice les affres de la vie collégienne, pour aider ses élèves à exorciser leur condition. Et si le film parvient à ce point à tirer le portrait de son héros, c’est peut-être parce que son chef d’orchestre n’a rien des faiseurs qu’Hollywood choisit habituellement pour diriger ce type d’entreprise.
« Un Champomy on the rocks, bâtard de barbare »
LES RIFFS DE RICHARD
Le statut d’auteur identifié de Richard Linklater semble jurer avec le statut de comédie de studio qui demeure celui de Rock Academy. Mais en 2003, l’artiste n’a pas encore atteint le statut incontestable qui est aujourd’hui le sien. De plus, des productions telles que Slackers ou Génération rebelle, mettant en scène jeunes, drôles d’azimutés et autres flâneurs rigolards laissent entrevoir chez lui les qualités nécessaires à la direction du projet. C’est du moins ce que pense le producteur Scott Rudin, qui lui propose la mise en scène du film. Mais à cet instant, personne n’y croit. Pas même l’intéressé, qui s’en est expliqué au cours d’une master class commune donnée avec Jack Black en 2017.
« ‘Voilà un scénario. Jack Black a déjà signé, qu’en pensez-vous ?’ Je leur ai répondu : ‘Bah je ne sais pas trop si j’ai envie de faire ça. Je préfère passer mon tour.' »
Linklater travaille alors déjà à Before Sunset, suite de Before Sunrise, appelée à devenir culte, tout comme Before Midnight des années plus tard. Il travaille donc à ce qui est encore aujourd’hui sa signature cinématographique, et ne voit pas bien ce qu’il pourrait apporter à un film qui n’a guère besoin de la patte affirmée d’un metteur en scène. Un avis que partage Jack Black.
Les Choristes II : la vengeance
« On était quelques-uns à se dire que ça n’avait aucun sens. Il s’agissait d’une sorte de feel good movie estival, et nous considérions Richard comme un cinéaste auteurisant. »
Tout semble donc entendu, mais Scott Rudin n’a aucunement l’intention d’accepter le refus du réalisateur et lui fait savoir qu’il refuse qu’il passe son tour. Cette attitude l’interpelle et lui laisse entrevoir la possibilité qu’on soit venu le chercher expressément, plutôt que de parcourir l’annuaire des techniciens disponibles et désireux de garnir leur compte en banque. Le choix a beau être déroutant sur le papier, il relève de l’évidence à la découverte du long-métrage.
À gauche, le jeune Kevin Alexander Clark, décédé en mai 2021
Linklater a toujours travaillé ses acteurs comme une matière première noble, un bois ou un marbre nécessitant un lent et patient travail pour être poli, transformé, sublimé, et dont la qualité première demeure sa nature. Un fin directeur d’acteurs, capable de leur laisser une immense place au sein de son dispositif cinématographique, quitte à quasiment s’effacer derrière eux, comme il le prouvera avec Boyhood, dont la mécanique repose avant toute chose sur le temps lui-même et sur la chair de ses comédiens.
On ne retrouve rien d’aussi radical dans Rock Academy, mais il est très clair, de la caractérisation des protagonistes aux séquences musicales, jusqu’aux scènes faussement anodines regorgeant de gags (quand Dewey conduit son van, par exemple), que Linklater est là pour prendre le pouls de Jack Black, donner à sa performance le plus d’ampleur imaginable, tout en le confrontant à des adolescents dont il veille personnellement à ce que, comédiens ou non, ils dégagent une fragilité et une juvénilité authentique.
Un petit cours d’Iggy-Popisme
GRATTEZ DIEM
On ne saura jamais si le résultat final est tel que l’escomptait Scott Rudin, mais au-delà de sa drôlerie ou de sa tendresse véritables, Rock Academy frappe par la relecture en creux qu’il propose d’un classique au succès jamais démenti. À bien des égards, on pourrait y voir une relecture, un remake caché, ou peut-être une analyse critique de l’excellent Cercle des poètes disparus, énorme succès de Peter Weir et Robin Williams, sorti en 1989.
Un professeur, à la veille des années 60, y transmettait des valeurs aussi subversives que « restez pépouze les riches et pétez un coup » au sein d’une université prestigieuse, réservée à la bourgeoisie. Rien qui révolutionne l’ordre des choses ou le concept même de l’enseignement. Et si tout le monde verse une larme après le drame final, le film demeure relativement ambigu dans ce qu’il transmet au spectateur.
La situation pourrait paraître similaire dans le long-métrage de Richard Linklater, à la différence que ce dernier ne s’inquiète pas tant des errements de la bourgeoisie que de l’émancipation de gamins divers, tous plus ou moins oppressés et réduits au silence par leur milieu. Bien sûr, conférer à l’attachante comédie où se livre Jack Black des vertus proto-insurrectionnelles serait très exagéré, mais la joie avec laquelle le scénario détaille par le menu l’irresponsabilité de Dewey se montre presque jusqu’au-boutiste.
Tout comme il se montre réellement impertinent vis-à-vis de l’institution et de la notion d’autorité en général. Voir notre rockeur du dimanche répondre aux interrogations de ses collègues enseignants en citant des standards du rock l’air de rien est un des exemples de jouissive insolence qui parsèment l’ensemble. L’alliance de Linklater et de son acteur a cela de formidable que ni l’un ni l’autre ne craignent le ridicule, embrassant résolument les failles béantes de ce prof de fortune, et acceptant tous deux de mouiller la chemise.
Entre deux dialogues efficaces ou gags tendres, on est ainsi saisi par le don de soi de ce comédien, qui donne à voir sans fard combien il nage aux frontières du pathétique, puis finalement de la grâce, alors qu’il accepte sa propre caricature, jouant le temps d’un improbable concert pour ses élèves, déguisé en parodie d’AC/DC. La fragilité ainsi exposée confère à l’ensemble une justesse inattendue, qui contamine toute la narration et donne une couleur beaucoup moins lisse à cette intrigue, quand bien même elle demeure toujours divertissante.
Au final, Rock Academy n’est pas le film le plus abouti de Richard Linklater et on sent à maints endroits les grosses coutures de la production de studio, divertissante et rapidement consommée. Pourtant, l’humanité injectée dans le projet par ses participants, leur énergie démentielle et leur amour du rock permettent à cet objet étonnant de percer le coeur du spectateur et de lui offrir un sincère moment de rébellion musicale.
RetroBob
Merci pour le lien.
J’y ai appris le décès du batteur du film, Kevin Clark, le mois dernier.
Si jeune.
10 ans plus tard, Jack Black à réuni les gamins (pardon.. les adultes! ^^) pour une petite teuf.
En résulte ce superbe moment où tout le monde y met du sien dans un boeuf mené d’une main de maitre par JB!!
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https://www.youtube.com/watch?v=refCJcJJZso
Revu y a 15 jours en BR italien.
Tip top !
On est dans un schéma classique mais ça marche très bien. Les génériques de début et de fin sont au poil.
Damned, mon correcteur a écrit Metal avec un accent. Je dois aller le faire exorciser, je reviens.
Ah tiens, j’ai acheté le DVD il n’y a pas longtemps, mais pas encore regardé. Je l’avais vu au cinéma, et en gros fan de Métal, de Tennacious D, ou même de Jack Black en solo, j’avais adoré.
Allez, je me le fais ce week-end.
Mon souvenir de jeunesse c’est Empire Records, où Anthony LaPaglia se mest a la batterie sur If you want blood d’AC DC.
Faut que je me le remate.