Moment nostalgique et régressif avec Matilda, une comédie culte des années 90 réalisée par un Danny DeVito plus espiègle que jamais.
Si Stephen King peut se targuer d’être un des écrivains contemporains les plus adaptés au cinéma, d’autres comme Roald Dahl peuvent aussi revendiquer leur influence certaine sur le 7e art. Principalement connu pour sa collection jeunesse, l’auteur britannique aujourd’hui décédé a lui aussi marqué l’imaginaire collectif et inspiré le cinéma avec ses oeuvres les plus acidulées : James et la pêche géante, Charlie et la chocolaterie, Le BGG : Le Bon Gros Géant, Fantastic Mr. Fox, Sacrées sorcières, sans oublier Matilda, l’adaptation d’une de ses plus truculentes odes à l’enfance.
CONTE DÉFAIT
Sorti en 1996, le film réalisé par Danny DeVito raconte l’histoire de Matilda (Mara Wilson), une petite fille de six ans qui a développé une intelligence hors norme dès sa naissance, dans la totale indifférence de ses odieux et ignares parents, Harry (Danny DeVito) et Zinnia Verdebois (Rhea Perlman). Tout change une fois arrivée sur les bancs de l’école primaire, où elle rencontre son institutrice, la formidable Mlle Jenny Candy (Embeth Davidtz), ainsi que sa monstrueuse directrice, Mlle Legourdin (Pam Ferris), et découvre un pouvoir tapi au fond d’elle qui va changer sa vie.
Comme le livre de 1988 dont il est tiré, Matilda s’apparente donc en premier lieu à un conte de fées contemporain, qui respecte le schéma narratif type, recycle et transforme l’imagerie du genre en perpétuant la tradition de sa transmission orale (avec DeVito en narrateur et conteur omnipotent).
Dans une démarche volontairement manichéenne, l’innocence de Matilda est confrontée d’entrée de jeu à la perfidie de son entourage, comme une jeune Cendrillon prisonnière de son pavillon résidentiel. À moins qu’elle joue en fait le rôle de la Fée Marraine de l’histoire, celle qui use de ses pouvoirs magiques pour réparer les injustices et redorer la vie de son pendant adulte, la douce et ravissante Mlle Candy, tyrannisée par Legourdin.
Les capacités télékinétiques de Matilda naissent ainsi de sa frustration et de sa colère, et lui permettent de littéralement et métaphoriquement faire bouger et avancer les choses, tandis que l’acharnement de sa tante contre la fillette pousse la professeure à défier pour la première fois son autorité draconienne. Les attributs de la demoiselle en détresse et de son ange gardien se confondent donc progressivement, les deux personnages se retrouvant dans une quête commune : aider l’autre à retrouver sa joie et son insouciance. La petite fille permet à la jeune femme de se refaire une enfance, tandis que celle-ci permet à Matilda de profiter enfin de la sienne.
Car l’enfance n’est pas une tranche d’âge, mais bien un état d’esprit. Si elle est d’abord présentée comme l’institutrice et l’adulte idéalisée (belle, chaleureuse et qui ne gronde jamais), son rapport hiérarchique à Matilda se brouille lorsqu’elle l’invite à prendre le thé dans sa maisonnette tout droit sortie d’une contrée enchantée, pour lui confier ses secrets.
Cet événement installe leur complicité, qui se concrétise avec leur intrusion chez son horrible tante pour récupérer Luciole, la poupée de Jenny symbolisant ses jeunes années égarées. Figure autoritaire de la directrice d’école, Mlle Legourdin est quant à elle une réinvention à mi-chemin entre la marâtre spoliant l’héritage du père et l’ogre dévoreur d’enfants qui occupe une place sociale élevée. Une parfaite dichotomie entretenue dans les moindres détails, en particulier visuels, avec une esthétique militaire et des couleurs sombres pour dépeindre l’antagoniste et son antre, et une allure plus enfantine, colorée et bucolique pour la maîtresse et son environnement.
Jenny se met elle aussi à la hauteur de Matilda
FONTAINE DE JOUVeNCE
Plus que de s’adresser aux enfants, Matilda se met à leur hauteur. D’abord par la mise en scène, qui utilise sans retenue les plongées et contre-plongées pour marquer le rapport de force entre les personnages : adultes dominants et enfants littéralement pris de haut. Le film abuse également des gros et très gros plans, des cadrages outranciers et des courtes focales oppressantes pour souligner la difformité inquiétante et presque surnaturelle de Legourdin, tout en accentuant la vision cauchemardesque des grandes personnes soumises au point de vue de ses jeunes personnages. Il n’est d’ailleurs pas rare que les décors, en particulier ceux de sa maison, écrasent Matilda, dont l’infériorité physique est décuplée.
Plus encore, Matilda se range du côté des enfants et transgresse ainsi la finalité moralisatrice des contes traditionnels avec une permissivité savoureuse. Il n’est pas question de raisonner ou assagir les têtes blondes en condamnant leur curiosité, leur oisiveté ou leur désobéissance.
Elle est toujours plus inquiétante quand elle sourit
Au contraire, le film s’apparente au fantasme ultime de l’enfance, celui d’avoir le droit de faire des farces, de boucler le bec des adultes, de se venger des méchants et de punir ses parents quand ils le méritent. En ce sens, Matilda est probablement à l’enfance ce que La folle journée de Ferris Bueller de John Hughes est à l’adolescence (on en parle d’ailleurs de ce côté).
Un véritable exercice cathartique, presque libertaire, dont le point culminant est l’humiliation de Legourdin et l’expédition punitive de ces élèves révolutionnaires et victorieux. Avec ses personnages hauts en couleur, son flot d’insultes puériles, ses jeux de mots préscolaires, ses séquences surréalistes et l’insolence de son personnage principal, Danny DeVito cherche à réveiller le sale gosse qui sommeille en nous, celui qui sait encore s’amuser d’un rien et rire de tout.
En transfigurant une jeunesse vive et triomphante, le film n’hésite pas à utiliser la violence généralement présente dans les contes comme un procédé comique et cartoonesque, plusieurs fois comparé à l’exacerbation de Tex Avery (on pense évidemment à la scène culte du lancer de petite fille par les nattes dans la cour de récré).
C’est l’art de la pitrerie sans conséquence, avec un rythme qui se déchaîne progressivement, une caméra de plus en plus intenable, des gags potaches qui s’enchaînent et permettent à un Danny DeVito burlesque de briller une fois de plus dans un registre qu’il maîtrise parfaitement (avec en bonus la voix de Philippe Peythieu pour la VF).
DUR DUR D’ÊTRE BÉBÊTE
Si le film témoigne d’une véritable tendresse à l’égard de son public cible, il se montre au contraire sans pitié pour le monde adulte et livre une véritable satire de la classe moyenne américaine consumériste dont la famille de Matilda est la parfaite caricature. L’ingénieuse petite fille doit ainsi supporter sa mère, ménagère ultra superficielle qui occupe ses journées en jouant au bingo ; son père, escroc abruti et vulgaire convaincu de sa réussite sociale ; ainsi que son frère, l’adolescent largué, trop heureux de cultiver son nivellement par le bas et l’inculture héritée de ses parents.
Sans oublier l’élément central du foyer et membre officiel, le poste de télévision, qui incarne le délitement des rapports familiaux (M. Verdebois considère qu’un repas en famille consiste à manger devant la télé). Matilda raille également le schéma patriarcal de la famille avec le besoin de M. Verdebois de réaffirmer son autorité pour défroisser son ego après les coups montés de sa fille, aussi risible qu’il puisse être.
Un Homer Simpson avec des cheveux
Le personnage étale d’ailleurs son sophisme avec le fameux adage du ‘je suis malin, tu es bête, je suis grand, tu es petite, j’ai raison, tu as tord, c’est comme ça et tu n’y peux rien ». Le film désacralise en même temps le rêve américain en pervertissant et dénigrant la réussite et l’ascension sociale (escroquerie, crime, jeux d’argent), ainsi que l’american way of life, en s’attaquant à un de ses plus grands emblèmes, la voiture, dont M. Verdebois retire toute la valeur et la signification.
Dans une moindre mesure, le film s’attaque également à la maltraitance infantile et le manque de considération des adultes envers les enfants, dont la parole est trop souvent remise en question. Legourdin peut ainsi faire régner la terreur sur son établissement uniquement parce que les parents ne croiraient jamais leurs enfants s’ils le leur racontaient, comme quand Matilda s’entête à faire comprendre à ses parents que la police les surveille. Ne dit-on pas que la vérité sort toujours de la bouche des enfants ?
Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités à ce qu’on dit
Matilda est donc une comédie noire déguisée en conte de fées moderne, aussi transgressive qu’irrésistible, dont le cynisme trouve un écho certain avec les précédents longs-métrages réalisés par Danny DeVito, Balance maman hors du train et La Guerre des Rose, tous aussi acides, mais beaucoup moins colorés et enchantés.
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Effectivement, une excellente adaptation qui tire vers le haut un déjà excellent livre. Ce film est un vrai bonbon, c’est bien dommage qu’il ne soit pas plus connu. J’attends d’avoir une occasion de voir la plus récente adaptation en comédie musicale sur Netflix, je me demande si elle fait aussi bien.
Jamais vu. A voir en famille alors !
Film découvert sur le tard, et vrai petit plaisir à chaque visionnage.
Un film culte de mon enfance que j’ai beaucoup regardé !
Il y a un petit côté Cosette