Devant et derrière la caméra, Clint Eastwood a non seulement signé avec Impitoyable l'un de ses meilleurs films, mais aussi le western post-moderne ultime.
Un coucher de soleil. C'est sur cette image on ne peut plus logique et sublime que s'ouvre Impitoyable, annonçant déjà la manière qu'aura le film de délivrer le crépuscule d'un genre investi par son auteur depuis de nombreuses années. Si le western a souvent été considéré pour son lyrisme et son romantisme, le long-métrage de Clint Eastwood ne s'y accroche que dans ce plan inaugural, comme pour mieux marquer sa finalité.
À vrai dire, Impitoyable débute même par la fin. Pas celle de son récit, mais celle d'un autre film, hors champ, qui aurait eu toute sa place dans un western classique. Le cow-boy William Munny, après une vie de violence et de débauche, a fini par trouver sa rédemption en tombant amoureux d'une femme qui a réussi à le sortir de son addiction au whisky. Menant une vie paisible avec ses deux enfants, le couple a vécu une vie heureuse, jusqu'à ce premier plan, où l'on voit la silhouette de Munny enterrer celle qu'il a aimée.
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Ainsi, Impitoyable a le génie de se présenter comme un épilogue de deux heures, dans lequel Munny (brillamment incarné par Eastwood) accepte de s'associer avec un jeune cow-boy, surnommé le "Schofield Kid", pour une ultime prime. Dans la ville de Big Whiskey, deux hommes ont violemment tailladé une prostituée, Delilah, avant d'être libérés par le shérif de la ville, "Little Bill" Daggett, contre une amende dérisoire. Les collègues et amies de Delilah, dans un élan de colère et de solidarité, ont réuni pas moins de mille dollars pour ceux qui accepteront de tuer les deux criminels.
À partir de ce postulat résolument sombre et féministe, Impitoyable est mû par une magnifique sagesse, une maturité qui lui permet de prendre du recul avec l'iconographie du western, qui a pourtant fait les heures de gloire de Clint Eastwood depuis la série Rawhide. En même temps, il est intéressant de savoir que le scénario de David Webb Peoples a traîné dans les cartons d'Hollywood depuis au moins les années 80.
En effet, c'est grâce à une lectrice de la Warner Bros. qu'Eastwood a eu l'occasion de découvrir ce petit bijou, alors réservé à Francis Ford Coppola. Désireux tout de même de collaborer avec l'auteur, le cinéaste s'est finalement rendu compte que l'option émise par le réalisateur d'Apocalypse Now venait d'expirer, ce à quoi il a immédiatement réagi en réservant à son tour les droits sur le scénario. Malgré cela, il aura fallu dix ans de plus pour qu'il puisse enfin lancer la production de ce projet rêvé, soit le temps d'atteindre l'âge parfait pour lui-même incarner le rôle principal.
Impitoyable s'est donc tourné durant l'automne 1991, soit quelques mois après le décès de Don Siegel, auquel le film est d'ailleurs dédié, au même titre que Sergio Leone. Au-delà de la perte de deux de ses mentors et amis les plus proches, Clint Eastwood a bien perçu la fin d'une époque de cinéma, habitée par l'ambiguïté d'une Amérique inscrite dans les fantasmes et les interrogations de son histoire et de sa violence.
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Or, si la quête vengeresse de Munny est déjà une source suffisante de réflexion autour d'une iconisation abusive de la conquête de l'Ouest, Impitoyable touche au sublime par sa manière de pervertir les attentes du spectateur avec d'étonnants apartés. Le film accorde notamment un long passage à English Bob (génial Richard Harris), un cow-boy sanguinaire qui essaie d'écrire sa propre légende en se mettant en scène, et en usant des talents d'un biographe très crédule. Pourtant, le personnage ne croisera jamais les héros du film, alors même qu'il est présenté comme un homme craint, une menace qu'on a tôt fait d'envisager en tant qu'obstacle de la narration.
En réalité, English Bob est arrêté dès son arrivée à Big Whiskey par Little Bill, occasion parfaite pour le long-métrage de jouer du charisme imposant de Gene Hackman tout en donnant corps aux abus de pouvoir de ce représentant de la loi. Moins corrompu que dépassé par les événements, Little Bill s'impose encore aujourd'hui comme un merveilleux méchant de cinéma, non pas construit sur sa seule soif de cruauté, mais sur ses convictions profondes concernant la justice et la paix de sa ville. Il est le miroir parfait de Munny : les deux hommes partagent finalement le même extrémisme, ce rapport au mal nécessaire dans cette jungle juridique.
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Dans tous les cas, English Bob se retrouve humilié et éjecté du récit, démystifié par une caméra qui n'a plus le temps d'iconiser ces figures de cow-boys comme auparavant. Si le Schofield Kid est venu chercher Munny pour son expérience, ce dernier a vite conscience de ses limites et de sa vieillesse. Eastwood capte cette réalité avec une honnêteté désarmante, tandis que le héros, prêt à partir à l'aventure, tombe de son cheval devant le regard déçu de ses enfants.
C'est pourquoi, un peu plus tard dans le film, Munny va chercher son ancien partenaire Logan (campé par Morgan Freeman) afin qu'il lui prête main-forte. Mais ce qu'enclenche réellement cette collaboration, c'est un hors-champ tétanisant, où les deux comparses évoquent leurs souvenirs traumatiques.
Dans un moment de fragilité, Munny confie qu'il a tué un homme innocent en tirant avec son revolver dans sa bouche, au point où ses dents sont ressorties par la nuque. Cette image mentale, qu'on jurerait issue d'une peinture d'Otto Dix, est justement abordée au cœur d'une nuit noire, qui enveloppe un simple feu de camp aux allures expressionnistes. Cette photographie rugueuse, parsemée d'ombres, sous-tend toute la démarche d'Impitoyable : on fait ici face à une œuvre hantée par la mort et les ténèbres, à mi-chemin entre le western désabusé et le film de fantômes.
Il est d'ailleurs intéressant que le long-métrage s'inscrive dans les années 1880, période durant laquelle le décès de certaines légendes de l'Ouest, de Billy the Kid à Jesse James, a souligné le changement profond de la société américaine, et la disparition de certaines de ses icônes. À ce titre, Impitoyable se présente même comme l'opposé de certaines œuvres fondatrices du western, à commencer par L'Homme qui tua Liberty Valance et sa fameuse réplique : "Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende". Le biographe d'English Bob a beau suivre ce mantra, il est constamment renvoyé, comme le spectateur, à l'horreur d'un réel décevant, où les fusils s'enrayent, où le courage des cow-boys se définit à leur taux d’alcoolémie et où on assassine lâchement quelqu'un pendant qu'il est aux toilettes.
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Ainsi, Impitoyable prend la forme d'une descente aux enfers inévitable pour Munny, qui retrouve ses vieux démons jusqu'à provoquer un bain de sang final terrifiant. Loin de provoquer la jouissance des climax galvanisants de L'Homme des Hautes Plaines ou Pale Rider, le cavalier solitaire, Clint Eastwood troque la clarté habituelle de sa mise en scène pour montrer ce qu'une fusillade est réellement : chaotique et dérangeante.
L'acteur et réalisateur met en avant les dimensions tragiques et pathétiques de cette fin déroutante, où le personnage, persuadé d'avoir remis les choses en ordre, repart, soûl et sous la pluie, en délivrant un message sentencieux assez risible. Au travers d'une contre-plongée magistrale, Munny est alors placé à côté d'un drapeau américain, symbole souillé par la réappropriation que le protagoniste en fait au nom du Bien. Une nouvelle preuve de la subtilité et de l'ambiguïté du positionnement politique d'Eastwood, bien trop souvent réduit à son pseudo-droitisme.
"Parce que c'est notre projeeeeeet !"
Désenchanté est sans nul doute l'adjectif qui convient le mieux pour décrire Impitoyable. Cela ne veut pas pour autant dire qu'Eastwood aborde soudainement le western avec cynisme. Au contraire, son chef-d’œuvre est mû par une sincérité déchirante, celle d'une ode funèbre qu'on regarde le cœur serré.
Le cinéaste nous laisse comprendre qu'il capte la fin d'une époque au sein de son récit (l'arrivée prochaine du XXe siècle), mais aussi en dehors, en signant le western terminal, qui accompagnera autant le désintérêt amorcé des studios pour le genre que la nécessité pour celui-ci de se regarder dans le miroir. Et c'est peut-être là que réside la beauté d'Impitoyable : le film n'éprouve pas de regrets ou d'amertume. Il montre, avec sagesse, le besoin qu'a son auteur d'aller de l'avant, au même titre que l'imagerie qui a contribué à le rendre mythique.
Et encore aujourd'hui, peu d’œuvres ont réussi à filmer avec autant de génie cette déliquescence. À vrai dire, l'impact du long-métrage de 1992 se ressent encore dans le cinéma contemporain, ne serait-ce qu'à la vue du Logan de James Mangold, western moderne qui a usé de la même noirceur et de la même mélancolie pour traiter de la mort annoncée du genre super-héroïque. C'est même de cette façon que le film de Clint Eastwood est parvenu à transcender son postulat : avec le temps, il est devenu une œuvre terminale sur la finitude elle-même.
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Impitoyable est un film essentiel dans la carrière de Clint Eastwood, sinon le meilleur, le plus abouti.
Il est arrivé à un moment où sa cote au box-office baissait sérieusement (voir les résultats décevants de La Dernière Cible, Pink Cadillac et La Relève) et où ses ambitions de réalisateur se précisaient (Bird, Chasseur Blanc Cœur Noir), même si elles étaient déjà évidentes plusieurs années auparavant (Un Frisson dans la Nuit, L’Homme des Hautes Plaines, Breezy, Josey Wales Hors-la-loi, Bronco Billy, Honkytonk Man, Pale Rider). En fait, avant Impitoyable, ses derniers succès commerciaux remontaient au milieu des années 80 (Sudden Impact, La Corde Raide, Pale Rider et Le Maître de Guerre).
À cette époque, de nouvelles vedettes du box-office émergèrent comme Tom Cruise ou Eddie Murphy. Au début des années 90, à Hollywood, on spéculait sur une possible évolution de carrière de Clint Eastwood, similaire à celles de Charles Bronson et de Burt Reynolds: d’authentiques stars dans les années 70, ils sont devenus des has-been à la fin des années 80. C’est dans ce contexte que Clint Eastwood décide de sortir le scénario d’Impitoyable de son tiroir. Écrit par David Webb Peoples, en étant influencé par le film Taxi Driver et son personnage principal, Travis Bickle, le scénario est d’abord acquis par Francis Ford Coppola. Lorsque son option expira, Clint Eastwood s’empresse d’acquérir les droits, au début des années 80.
D’après Clint, il préféra attendre d’avoir l’âge adéquat pour jouer le rôle de William Munny. C’est ainsi que le tournage d’Impitoyable démarre à l’automne 1991. Conscient qu’il y a plusieurs personnages importants, Clint décide d’engager des acteurs connus comme Gene Hackman, Morgan Freeman et Richard Harris. Ce qui est une rupture par rapport aux précédentes productions Malpaso, qui se contentaient, pour la plupart, d’acteurs peu connus pour tenir les seconds rôles. Autre rupture: le tournage d’Impitoyable dure un peu plus longtemps. Clint a pris plus de temps pour tourner les scènes et les perfectionner. Il sentait que ce serait peut-être son dernier western. En tout cas, le scénario était idéal pour un dernier western. Impitoyable semble être la synthèse et la conclusion de tous les westerns de Clint Eastwood. Lorsque le film sort aux Etats-Unis, à l’été 1992, il réalise le meilleur démarrage de la carrière de Clint Eastwood. En fin d’exploiration en salles, il franchit la barres des 100 millions de dollars. Les critiques n’avaient jamais été aussi bonnes pour un film de Clint.
Le film obtiendra 4 Oscars: Meilleur Film, Meilleur Réalisateur (Clint), Meilleur Second Rôle Masculin (Gene Hackman) et Meilleur Montage (Joel Cox). Clint a aussi été nominé pour l’Oscar du meilleur acteur mais c’est Al Pacino qui l’obtient pour Le Temps d’un Week-end.
Avec Impitoyable, Clint Eastwood est définitivement reconnu comme un cinéaste à part entière. Sa carrière est relancée: il enchaîne avec Dans la Ligne de Mire, Un Monde Parfait et Sur la Route de Madison. En 1993, il est de nouveau numéro 1 du box-office américain, après avoir été numéro 1 en 1972, 1973, 1983 et 1984.
Que dire du film Impitoyable ?
Un film qui est un véritable classique.
Il a été dédié à Sergio Leone et Don Siegel, deux réalisateurs qui ont été importants dans la carrière de Clint.
Un des rares films à avoir vraiment mérité l’Oscar du Meilleur Film. Les acteurs sont tous au diapason. Le thème musical principal est simple, beau et émouvant. Les personnages féminins sont au cœur du récit et vont littéralement démarrer l’action du film, contrairement à plusieurs autres westerns, même très bons.
Le titre original du film, Unforgiven, n’a vraiment d’équivalent en français.
On pourrait traduire Unforgiven par celui qui n’est pas pardonné ou ceux qui ne sont pas pardonnés.
Je le regarde toujours avec beaucoup de plaisir. Une version restaurée pour le vingt-cinquième anniversaire du film est sortie dans les salles françaises en 2017. Clint est venue la présenter au festival de Cannes, où il a également donné une masterclass, qui est disponible sur YouTube. Depuis Impitoyable, sorti il y a 29 ans maintenant, il n’y a pas eu de western aussi bon.
Impitoyable semble un peu oublié aujourd’hui, en dehors des cinéphiles et des fans de Clint Eastwood.
J’attends avec impatience son prochain film, Cry Macho, dont la bande-annonce ne devrait pas tarder à être dévoilée. Peut-être lors de la sortie de The Suicide Squad.
Difficile d’établir une liste définitive des meilleurs films réalisés par Clint mais je citerais Impitoyable, Josey Wales Hors-la-loi, Million Dollar Baby, Mystic River, Bird, Un Monde Parfait, Sur la Route de Madison, Honkytonk Man, Lettres d’Iwo Jima, L’Homme des Hautes Plaines, Gran Torino, Pale Rider, Bronco Billy, L’Echange, La Mule, American Sniper, Mémoires de nos Pères, Un Frisson dans la Nuit, Breezy, Chasseur Blanc Coeur Noir, Richard Jewell, Sully.
Magnifique mais je pense pas que ce soit le dernier du genre HOSTILE est assez balaise dans le genre western crépusculaire
@Faurefrc
Le bon, la brute et le truand est un film de S. Leone.
Impitoyable est un pur chef d’œuvre, magnifique, avec des antihéros crasseux et des bons sentiments qui reviennent du plus profond des tripes. Le personnage d English Bob permet aussi habilement de revisité et démystifier la légende du Far West.
Je trouve que ce film d’Eastwood ressemble pas mal dans la démarche aux derniers western de Ford : L’Homme qui tua Liberty Valance et Les Cheyennes en particulier.
https://www.youtube.com/watch?v=FHtNOKDZq7A
Tu as toute les infos dans le descriptif.
@的时候水电费水电费水电费水电费是的 alulu
Quel est le titre du remake japonais ? Stp
Un film cochon, tout est bon dedans. Sa musique mélancolique, l’histoire, les acteurs, le final expéditif, même son remake Japonais est très bon, c’est dire.
Maté y a pas longtemps, je l’ai trouvé sans plus perso… Déçu !
Chef d’œuvre instantanée qui supporte le poids des années sans prendre une ride.
Chef d’œuvre… mais le meilleur western de Clint reste pour moi « Le bon, la brute et le truand ».
Peut-être avec Josey Wales hors la loi, mon western favori.
Un chef d’œuvre de plus à mettre au crédit du monument qu’est Eastwood.