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Anaconda : quand Jennifer Lopez combattait les dents de l’amer avec un gros serpent

Par Simon Riaux
31 juillet 2021
MAJ : 21 mai 2024
7 commentaires
Anaconda, le prédateur : Affiche officielle

Souvent cité comme prototype de plaisir coupable, sorte de série B qui fleure bon le sous-genre de l’attaque animale en milieu hostile, Anaconda, le prédateur est plus que cela.

Pour de nombreux spectateurs, la saine activité consistant à regarder des éphèbes et des naïades se faire dévorer par des animaux sauvages, dans des conditions d’hygiène douteuses, au son de dialogues moins fins que du gros sel, passe le plus souvent par des productions fauchées, au programme terriblement opportuniste. Le XXIe siècle aura connu la mort progressive de la série B traditionnelle, qui, après avoir dérivé trop loin du mètre étalon des Dents de la mer, perdit progressivement les faveurs du public, tout en s’éloignant des canons de production des studios.

Tant et si bien que les bestioles voraces furent bientôt l’apanage de films ultra-fauchés, profitant de la démocratisation des trucages numériques hasardeux. Jusqu’à ce que la « saga » Sharknado profite cyniquement d’un certain amour du cinéma déviant et grindhouse relancé par Quentin Tarantino et la culture web, en consacrant les prédateurs comme des sources de gags épais à destination de comédiens à la carrière en déshérence.

Quelques années plus tôt, un film généreux, glouton, populaire, à mi-chemin entre artisanat et modernité, s’est retrouvé à la croisée exacte des mondes, entre la généreuse aventure à l’ancienne et le nanar frauduleux débordant de numérique. Un film avec un gros serpent. Le bien nommé Anaconda.

 

affiche françaiseLes yeux sans visage

 

APOCAVENTURE NOW

Quand sort Anaconda, réalisé par Luis Llosa (qui s’est depuis reconverti dans la production, loin d’Hollywood), le box-office a beau ne pas lui être défavorable (il amasse plus de 136 millions de dollars pour un budget de 45), la presse et le public ne font pas de quartier, tant le long-métrage leur paraît daté, raté, hors sujet. Et si l’heure viendra bientôt d’aborder ces (surréalistes) errances, le long-métrage risque fort de se gameller, tant il arrive après quelques tentatives hollywoodiennes foireuses. En effet, le choc Jurassic Park, qui dévora le box-office, révolutionnant au passage l’usage des effets numériques encore balbutiant à Hollywood, a inspiré les studios.

Grande aventure, décor exotique, voire luxuriant, méchantes bébêtes à la paroi stomacale souple, les majors espèrent utiliser ces ingrédients (à défaut des dinosaures de Steven Spielberg, trop coûteux et identifiés). Par conséquent, plusieurs films présentant quelques-uns de ces ingrédients, aux budgets confortables et au casting de premier ordre, vont voir le jour. Parmi eux, les plus notables sont sans doute Congo, adapté du romancier Michael Crichton, déjà créateur d’un certain parc Jurassique, ainsi que L’Ombre et la Proie. Soit un nanar cosmique et une tentative honorable, mais ratée de renouer avec l’aventure à l’ancienne, toutes deux violemment douchées au box-office.

 

photoJen from the Mangrove

 

C’est pourquoi quand débarque Anaconda, il est préalablement reçu comme la queue de comète d’une mouvance de studios qui fleure bon l’opportunisme, la foirade et la ringardise. Une grille de lecture regrettable, d’autant plus que la dimension de divertissement à l’ancienne est probablement un des ingrédients les plus immédiatement réjouissants du long-métrage. En effet, dès l’ouverture du récit, un sentiment familier s’empare du spectateur, et ce malgré l’emphase croquignolesque de l’ensemble, en grande partie du à la musique.

Nous retrouvons donc un malheureux braconnier, joué avec toute l’énergie du monde par Danny Trejo, alors que son frêle esquif, lancé sur les eaux sombres de l’Amazonie, est attaqué par un très gros serpent. La séquence ne brille pas par sa légèreté, mais l’image, les cadrages et leur sens du spectacle, de la composition, comme de la tension frappent immédiatement. Et pour cause, le directeur de la photographie n’est autre que Bill Butler, légendaire chef opérateur, puisqu’il opéra notamment sur Spider-ManGrease et évidemment Les Dents de la mer. La tentation ici de reproduire certains effets et techniques du chef-d’oeuvre de Steven Spielberg est grande.

 

photo, Ice Cube« Allez là, qui pour jouer à 1, 2, 3, soleil ? »

 

SERPENT TACTIQUE 

On pense évidemment au dispositif même du récit, qui se déroule essentiellement sur un bateau, régulièrement attaqué par le reptile aquatique, ce qui permet à Butler et Llosa de reproduire des cadres ou situations, tout en bénéficiant de nombreux personnages à dézinguer. La photo frappe par sa  finesse, qui ne cherche pas tant le réalisme que la création d’ambiances visuellement marquées, d’atmosphères cinégéniques en diable. C’est notamment lors des changements de lumière, entre chien et loup, durant l’heure dorée, que l’image du film est la plus réussie, conférant à l’ensemble un très grand confort de visionnage et un certain cachet.

Cachet décuplé dès que le film balance, avec parcimonie, mais malice, les plans ou scènes tournés en décors naturels, qui s’articulent étonnamment bien avec les créations de studio. Capable de nous renvoyer aux grandes heures du serial et du pulp quand ses héros s’ébrouent dans une cascade joliment factice, ou de nous laisser à penser qu’ils évoluent avec peine dans une impénétrable mangrove, Anaconda demeure ainsi constamment divertissant pour le spectateur en quête de dépaysement.

C’est probablement la raison pour laquelle il évoque plus souvent un pur trip aventureux, une sorte d’Au coeur des Ténèbres du pauvre (le roman qui a inspiré Apocalypse Now), avec sa remontée d’un fleuve qui emmène irrémédiablement ses voyageurs un cauchemar de plus en plus épais.

 

photo, Jon VoightIl reprendrait bien un peu d’épaule

 

L’autre motif de satisfaction qui nous renvoie aux grandes heures de la série B de jadis, c’est le serpent du titre. Ou plus exactement, sa version animatronique, qui bénéficie d’une belle présence, et occasionne quelques frissons, sitôt ses anneaux refermés sur une victime, et des os craquants. À ce titre, la plupart des mises à mort du film, des plus simples aux plus gerbotroniques (le mâchouillé-recraché de Jon Voight, resté dans les annales) s’avèrent croustillantes à souhait.

Le serpent fait systématiquement preuve d’un certain sens du développé-broyé, qui rend ses attaques redoutables. Souvent chorégraphiées avec cruauté, elles mettent en scène des torsions corporelles peut-être pas très réalistes, mais toujours impressionnantes. Sans compter que les plus gratinées entraîneront quelques jeux ludiques et ravageurs avec le décor, comme lorsque Jonathan Hyde, pensant échapper au serpent en se jetant dans le vide, se fait récupérer comme une balle de volley par une athlète russe, avant de provoquer la chute d’un arbre qui va précipiter la mise en place du climax.

 

photoN’y mettez pas les doigts

 

DES SERPENTS DANS L’AVIRON

Mais alors, pourquoi diable Anaconda n’est-il pas devenu, à l’instar d’autres productions de cette période, La Momie ou Un cri dans l’océan en tête, un petit classique de pelloche décomplexée ? Un amour de video-club avec son lot de fans, toujours prêts à faire découvrir leur madeleine de Proust et renouveler les gangs de fidèles ? 

Tout simplement parce que pour un certain charme, un sens parfois inné du divertissement, le film accueille en son sein une protubérance schizophrène. En effet, à bien des endroits, il accueille l’embryon du cinéma de monstre giga-Z qui envahira quelques années plus tard les grilles de programmes des chaînes non hertziennes, les bacs de DVD en solde et les innombrables catalogues de streaming plus ou moins légaux. Ce sont d’abord les effets numériques qui font tache.

 

photo« Call me Snake »

 

Encore balbutiant en 1997, ils ne parviennent malheureusement jamais à reproduire la colorimétrie ou les jeux de lumière complexes des décors, naturels ou en studios. Pas évident d’incruster un reptile de 15m dans une Amazonie fantasmée, où les rayons du soleil frappent à travers les feuillages d’une forêt tropicale dense, tandis que chaque surface environnante peut faire office de surface de réflexion. Un rendu d’une rare mocheté donc, d’autant plus frappant et regrettable que l’animation du prédateur est plutôt fonctionnelle. Quoi qu’il en soit, le fait que le studio sorte le film ainsi encouragera bien d’autres après lui à ne pas s’inquiéter de photoréalisme.

Un défaut qui ne verserait pas tout à fait dans le ridicule si la grosse bête n’était pas affublée… d’un rugissement ridicule. Il faut dire que Luis Llosa s’est mis dans de beaux draps avec son serpent géant. En effet, qu’y a-t-il de moins expressif qu’un serpent ? L’animal ne possède pas de son distinctif, ne rugit ni ne grogne, et on sait depuis Les Dents de la Mer combien le design sonore d’un film d’attaque animale est fondamental. Malheureusement, le compositeur Randy Edelman n’a rien d’un John Williams, et le cinéaste en charge de l’entreprise n’a pas la créativité suffisante pour que son découpage pallie au silence du serpent.

 

photo« Aie confiaaaaaaance, crois en moi »

 

VELOCICONDA

D’où cet Anaconda qui rugit comme une chambre à air percée, annulant souvent l’effet de terreur qu’il devrait engendrer. Car il ne suffit pas d’avoir une bouche particulièrement troublante, semblable à une bonne grosse muqueuse trop accueillante pour être honnête, afin de nous filer les chocottes. Il faudrait aussi que le casting prenne l’entreprise au sérieux.

Parce que pour le coup, à part Jennifer Lopez, tout le monde joue déjà comme dans un Direct to Video, assumant des espèces de stéréotypes, possiblement drôles, mais certainement pas crédibles pour un sou. Ice Cube est un cliché sur patte de second rôle afro-américain fraîchement enduit de hip-hop, Owen Wilson une sorte de précipité solide de mollesse post-hippie.

 

photoOù est Nathan Drake quand on a besoin de lui ?

 

Mais la grande et belle palme nanarde, on la doit à Jon Voight, dont tout indique qu’il tenta de mettre fin à sa carrière en interprétant le plus méchant des méchants que n’ait jamais porté l’hémisphère sud. Catogan graisseux en bandoulière, oeil mi-clos et lèvres entrouvertes, il interprète un horrible guide-braconnier-meurtrier-traître libidineux et cruel, capable, grâce à sa formidable masse musculaire, de briser des nuques avec ses cuisses.

Enfin, il est littéralement le dessert de la scène culte d’Anaconda, au cours de laquelle un serpent le vomit sur Jennifer Lopez, avant qu’il n’effectue un obscène clin d’oeil. En cet instant, tous les ingrédients bizarroïdes de ce film sont réunis, de maquillages précis, en idées franchement cheloues, en passant par un mélange contradictoire de machinerie, animatroniques et CGI, le tout dans un curieux décor, évoquant plus un film de pirate qu’un survival humide. Pas de quoi en faire un classique, mais incontestablement la marque d’un plaisir déviant, annonciateur du grand n’importe quoi qui s’apprêtait alors à fondre sur le cinéma de divertissement américain.

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Loony Toony

Perso j’avais bien aimé anaconda quand je l’ai vu, un film a mi chemin entre l’aventure rétro et le film de monstres moderne, un peu comme le fera la momie deux ans plus tard.
Et j’adore la BO de ce film

Kolby

Je ne sais vraiment pas pourquoi l’ombre et la proie est si sous-estimer, concernant les films d’attaques animales, il se place parmi les meilleurs même le meilleur, mais bon dès sa sortie, ils l’ont massacré de toute part et pourtant…?
Anaconda sincèrement fait le taf… Le décor, le serpent très réaliste, pas comme ces effet de semblant…

Mx

Pour revenir au film, j’en garde un assez bon, souvenir, très bon cast, mise en scène carré, anaconda très impressionnant (mélange d’animatroniques et de sfx, si je dis pas de bêtises), jon voigt en fait des caisses en bad guy, le cadre de l’amazonie très bien exploité, une bo aux petits oignons, avec un cri dans l’océan, mes deux madeleines de proust dans le genre!!

et puis ia danny trejo, haha!!!!

Ana Conda

@M.X. Effectivement L’ombre et la proie est un très bon film avec le trop rare Val Kilmer.

Mx

L’ombre et la proie, raté?

On a pas du voir le même film, parmi tous les films d’attaques animales des années 90, ce dernier enfonce sans problèmes tous les anacondas, lake placid, peur bleue et consorts.

Encore une fois, il mérite clairement de figurer dans la rubrique pas si nul que sa, car trop souvent méprisé.

Et à la différence de ses voisins, le film est tiré d’un fait réel, les lions mangeurs d’hommes de tsavo ont bel et bien existé.

Kolby

On ne peut pas plaire à tout le monde. Que le film fût divertissant, que demander de plus pour ce genre de film a partir du moment que le tueur soit plus réaliste que possible et ce fût le cas du serpent.

Ray Peterson

Autant j’adore les films de bébêtes autant cet Anaconda m’avait laissé de marbre. A la rigueur pour Jon Voigt mais mon dieu que ce film est loupé. Les FX était déjà nazes à sa sortie en salle.

Bon et Luis Llosa… Sniper avec Tom Berenger qui plie les genoux pour tirer ou l’Expert avec Stallone et Stone qui font des démos « physical » quand ils échangent au téléphone. Hum.

Allez, merci quand même pour cet article! Par contre, cher rédaction d’Ecran Large, vu que vous êtes dans la foulée des films de bébêtes, si vous faites un article sur Arachnophobie un jour, je suis preneur!