Retour sur Thirteen de Catherine Hardwicke (Twilight), un drame adolescent qui a révélé Evan Rachel Wood.
En 2003, juste avant Les Seigneurs de Dogtown et bien avant de lancer le phénomène Twilight, la réalisatrice Catherine Hardwicke s’intéressait déjà l’adolescence, avec violence mais sans vampire. C’était Thirteen, un film-choc co-écrit par Nikki Reed, à peine âgée de 13 ans à l’époque, et qui a révélé Evan Rachel Wood.
Sujet incontournable, l’adolescence a inspiré des tonnes de films fabuleux et cultes, d’American Graffiti de George Lucas à Breakfast Club de John Hugues, en passant par La Fureur de vivre avec James Dean. Au fil des époques, le teen movie a ainsi imposé, repensé et déconstruit ses identités, dans les personnages comme dans les décors, dans le rire et dans les larmes.
Héritier direct de l’œuvre de Larry Clark (Kids, Another Day in Paradise, Bully, Wassup Rockers), notamment dans son intention de réalisme, le premier film de Catherine Hardwicke expose son idée de l’adolescence, quand les modèles et les repères foutent le camp. Il le fait sans concession sur ce que tout ça engendre, sans concession sur le tourbillon de violence qui peut l’accompagner. Et c’est pour ça qu’il reste étonnamment moderne et marquant, des années après, surtout à l’époque d’une série comme Euphoria.
DES MAUX D’ADO
D’aucuns voudraient voir éclore les grandes réussites artistiques dans une adéquation subtile entre le fond et la forme, dans cet interstice compliqué où l’un ne l’emporte jamais sur l’autre, mais ne fait que le servir, voire le sublimer. C’est ce qui fait, par exemple, qu’aujourd’hui, des Euphoria, des We Are Who We Are ou des Sex Education et 13 Reasons Why réussissent, tous dans un style radicalement différent. Parce que ces séries créent un univers à part entière, un univers qui grandit et s’épanouit avec le temps.
Ce n’est peut-être pas un gage de génie, mais c’est au moins la possibilité pour une série, un film, ou toute autre création, de marquer son temps, au moins assez pour traverser quelques époques. Comme dans les séries citées plus haut, et comme dans bien d’autres oeuvres, l’adolescence de Thirteen donne raison à cette idée.
Parce que Thirteen, ce n’est pas simplement la digestion de l’œuvre de Larry Clarke et d’autres teen movies, jusqu’à Sexe Intentions, par Catherine Hardwicke. Ce n’est pas simplement le fruit de la volonté d’une réalisatrice de prendre les troubles d’un âge à bras le corps, et d’en tirer un énième pamphlet.
La clarté d’une tête adolescente
Derrière Thirteen, il y a aussi un profond respect de ce que les adolescents ont à dire d’eux-mêmes, sur la violence traversée par certains, ou peut-être tous — et qui pour beaucoup, est oubliée, amoindrie ou simplement balayée d’un revers de la main une fois adulte. Thirteen, c’est la collaboration entre Catherine Hardwike donc, et Nikki Reed, non seulement à l’écran (la jeune actrice campant le rôle d’une des deux adolescentes principales), mais sur le papier aussi. Les deux ont coécrit le film.
Avant d’être propulsée sur la grande scène internationale et tout public grâce à Twilight en 2008, cette collaboration somme toute assez originale dans le paysage cinématographique de 2003, aura été certainement été l’une des choses les plus heureuses de la carrière de Catherine Hardwike. Il faut dire aussi que, bien souvent, les teen movies parlent de l’adolescence avec le recul de l’âge adulte, et que, bien qu’embarqués dans la violence de la vie, ils loupent parfois le sentiment de tourbillon qui l’accompagne.
Certes, Nikki Reed (qu’elle a retrouvée dans Twilight) n’a pas écrit seule l’histoire, et la cinéaste a collaboré avec elle dans cette entreprise, mais en donnant voix au chapitre à une jeune fille de 13 ans, en donnant directement une voix à l’âge le plus incompris entre tous, Catherine Hardwike s’est, a priori, placée en retrait par rapport au propos général de son film.
Mère-fille : anti-mode d’emploi
ANOTHER BRICK IN THE WALL
Sans voler leur expérience aux principaux intéressés, la réalisatrice a donc créé un objet un peu à part, visuellement intéressant, marquant, mais jamais vraiment beau, attrayant ou romantique. Car cette volonté d’approcher au plus près l’essence des troubles de l’adolescence va bien au-delà de la simple écriture du long-métrage.
Jamais Thirteen ne ment sur ce qu’il est : c’est un teen movie, a fortiori un girl movie. Il parle et montre l’adolescence. Pas l’adolescence du cinéma, pas l’adolescence des codes et des stéréotypes de genres ou de classes. L’adolescence. Celle qui balaye tout sur son passage, qui est si violemment inscrite dans la chair de ceux qui la vivent qu’elle emporte avec elle la patience et les certitudes des parents, qui iront jusqu’à fouiller une chambre de font en comble, jusqu’à péter un câble en détruisant le premier truc qui leur tombe sous la main, pourvu que ce soit une boîte de céréales ou le lino de la cuisine (dans une scène d’une véracité dramatique).
Thirteen ne cache rien, ne se contente pas de sous-entendre les choses, même les plus violentes ou les plus destructrices. L’automutilation de Tracy (campée superbement par Evan Rachel Wood) n’est pas balancée dans un hors champ. Ses cicatrices non plus. Son besoin de saigner, son envie de violence, de se faire maltraiter, non plus. D’ailleurs, cette envie, c’est ce qui constitue la scène d’ouverture du film.
Un petit bisou et tout va mieux ?
Thirteen dit tout, caméra à l’épaule. Il ne fixe jamais aucune de ses images. Tous ses plans bougent, dans tous les sens, quitte à donner le tournis. Il est contrastes et agressions visuelles, passant de scènes parfois très sombres, à des éclairs éblouissants, sans oublier des séquences aux couleurs épileptiques.
Thirteen, c’est de l’émotion brute. Avec ce film, on est très loin du pathos de certaines productions. Le spectateur assiste à une histoire criante de réalisme, parce qu’elle a été pensée, produite et réalisée avec une volonté de reporter. Cette caméra embarquée est dans tous les mauvais coups de Tracy et Evie. Elle est dans leurs jalousies et leurs envies, elle est dans leurs larcins, dans leurs mutilations, dans leur transgression, leur abandon. Elle est partout, instaurant une proximité déroutante avec les personnages.
La cinéaste dresse un portrait de l’adolescence différent des autres. Certes, il n’est pas complètement nouveau, mais il est quand même assez éloigné de ce qui se fait généralement dans le genre. Le rythme haletant, les cris, la photographie, la mise en scène… les choses se répondent habilement les unes aux autres. Et malgré la faiblesse de certaines variables (en tête desquelles la photographie un brin anarchique d’Elliot Davis), Thirteen a plu, puisqu’il a remporté le Prix de la mise en scène au Festival de Sundance 2003, celui du jury du 29e Festival du cinéma américain de Deauville, mais encore le Léopard d’Argent et le Prix d’interprétation pour Holly Hunter (qui campe la mère de Tracy) au Festival International du Film de Locarno 2003.
L’enthousiasme, face aux récompenses
FUME ET CONSUME
L’éveil à la sexualité, la découverte du corps et la quête de romance, la recherche des limites et des conflits, la rébellion, la violence, l’exploration des interdits et des tabous aussi : tout ça fait partie des thématiques classiques de l’être humain, facilement imputables à l’adolescence. Elles ont été traitées très largement par les teen movies et se retrouvent sans trop de surprise dans Thirteen — ça, comme les notes rock de sa BO ou les posters envahissant les murs des chambres adolescentes.
Simplement, ce film est bien loin des poncifs du genre, puisqu’il s’inscrit dans une mouvance beaucoup plus sombre, préférant s’attaquer aux vicissitudes de l’être humain, dans la veine de Virgin Suicides, Elephant ou Mysterious Skin. Mais pas que.
L’une des choses les plus frappantes, c’est que le masculin est quasiment complètement évincé de l’histoire. Il est au mieux un objet de désir, au pire une marionnette du système, idiote, presque dénuée de parole. Le père est une entité absente, stupide, à peine capable de demander des nouvelles de sa famille maintenant qu’il l’a désertée. En filigrane, avec cette figure démissionnaire, moquée, c’est l’échec du système tout entier qui est pointé du doigt. Le sportif mué par des passions nouvelles se mène par le bout de la queue, sans qu’il ait trop son mort à dire — on est loin de l’idée du beau gosse à séduire pour se faire aimer. Et on est loin de la manière générale qu’ont les films d’être conçus, a fortiori au début des années 2000.
Mais ce drame, auréolé de l’insurrection juvénile de Tracy et Evie, ne raconte pas seulement les affres de l’adolescence. Les errances des deux héroïnes affectent tout et tout le monde. Toute action a forcément des répercussions, souvent incontrôlables. L’être humain est un animal social. Et c’est toute l’épreuve de l’adolescence que de comprendre qu’il n’est pas que ça, qu’il est aussi souvent profondément seul dans son expérience du quotidien, dans ses émotions et ses sentiments, ou qu’il est accompagné.
Thirteen c’est ça : l’exploration nébuleuse et difficile de soi. C’est l’anti Lolita malgré moi, sorti la même année, avec ces deux jeunes héroïnes de classe moyenne, provocatrices, qui pour exister, hurlent, volent, fument, se percent, se droguent et se tatouent. Des héroïnes en mal d’affection qui n’ont de cesse d’essayer d’attirer l’attention.
Virgin Suicide je prefere de loin, çà me semble trash ce genre « teenexploitation » movie
J’ai découvert ce film il y a quelques années, alors que j’avais 22 ans, je ne m’attendais pas à ce qu’une histoire de jeunes filles autodestructrices (pour résumer) me passionne et me déchire autant.
C’est une œuvre quasi documentaire, filmée à l’arrache, interprétée de façon viscérale, tout particulièrement par Evan Rachel Wood, 14 ans au moment du tournage, impressionnante.
La bande-son est superbe. Depuis que je l’ai découvert en avril 2014, je voue un culte à cette œuvre marquante, inoubliable.