Jennifer Lopez plonge dans l’esprit d’un tueur en série dans The Cell, un trip halluciné, sous forte inspiration Le Silence des agneaux et Seven.
Les années 90 avaient le goût du sang. D’abord côté slasher, avec un retour en force suite au succès de Scream, qui a ouvert la voix à tout un tas de choses plus ou moins honteuses comme Urban Legend et Souviens-toi… l’été dernier. Et ensuite au rayon tueur en série, grâce au succès phénoménal du Silence des agneaux en 1991. Et le choc Seven, cinq ans après, a repassé une couche de killer sur les murs hollywoodiens.
La valse des copies presque conformes a ainsi commencé : Le Collectionneur (Morgan Freeman qui poursuit un tueur en série, avec l’aide d’Ashley Judd), Copycat (Holly Hunter qui poursuit un tueur en série, avec l’aide de Sigourney Weaver), Bone Collector (Angelina Jolie qui poursuit un tueur en série, avec l’aide de Denzel Washington), Le Masque de l’araignée (encore Morgan Freeman, mais avec l’aide de Monica Potter)… De quoi hanter les rayons des vidéoclubs et occuper les deuxièmes parties de soirée sur TF1, mais également permettre quelques tentatives étonnantes.
Parmi elles : The Cell, réalisé par Tarsem Singh, avec Jennifer Lopez et Vince Vaughn qui plongent dans l’esprit d’un tueur incarné par Vincent D’Onofrio.
la science des agneaux
Le Silence des agneaux n’a pas inventé le jeu du chat-flic et de la souris-serial killer, mais l’iconique Hannibal Lecter l’a certainement réinventé. D’un côté, il y a un tueur désaxé, un esprit malsain dans un corps malsain. De l’autre, il y a un personnage enquêteur, irrémédiablement attaché à l’humanité, et tellement sensible qu’il peut toucher du bout des doigts la folie de l’ennemi. Entre les deux, c’est une course contre la montre et la mort pour sauver une victime, de préférence une demoiselle blonde en détresse.
Dans le film réalisé par Jonathan Demme, Ted Levine était la bête Buffalo Bill et Jodie Foster, la tête. Anthony Hopkins, lui, était le demi-dieu du royaume des maux, qui servait de phare dans la nuit des morts. Il aidait Clarice Starling à remonter le Styx, du moins juste assez loin pour lui permettre de trouver la victime sans y perdre son âme.
C’est là la première bonne idée de The Cell. Il n’y pas de tueur-conseiller, d’expert en criminologie ou de vieux loup désabusé pour aiguiller. L’aide viendra du tueur lui-même, grâce à une machine magique entre la VR et Inception qui permet de visiter l’esprit d’une personne dans le coma. Dans ce beau numéro de suspension d’incrédulité, Jennifez Lopez devient une psychologue pour enfant réquisitionnée par le FBI afin de plonger dans la tête d’un tueur en état de mort clinique.
Mission quasi impossible : elle doit lui soutirer des informations sur le lieu où il a caché sa dernière victime, qui n’a que quelques heures à vivre. Mais l’esprit d’un tueur est un labyrinthe, où l’héroïne va se perdre, au point de confondre rêve et réalité.
Smells like 90s spirit
La ressemblance avec Le Silence des agneaux est évidente pour tout le monde, particulièrement pour le jeune scénariste Mark Protosevich, qui travaillait chez Orion Pictures au début des années 90. Il était ainsi aux premières loges pour assister au phénomène Hannibal Lecter, et nul doute qu’il l’avait en tête en misant tout sur The Cell.
Fasciné par les tueurs en série et la science-fiction, Mark Protosevich voulait mixer les deux, avec un désir conscient de changer la formule, comme il l’expliquait à What to Watch en 2020 : « Mon intention était d’avoir une approche unique du genre, avec un tueur capturé très tôt dans l’histoire, pour que ce soit moins centré sur la question de sa méthodologie, que sur son esprit. Et l’une des choses qui ressortaient le plus dans mes recherches sur les tueurs en série, c’était l’effet des traumatismes d’enfance. Donc j’étais curieux de voir s’il y avait un moyen de montrer l’humanité d’une personne qui est capable de crimes terribles. Y a-t-il un être humain quelque part là-dedans, et est-ce que c’est juste le mal ? »
Après six années à écrire dans son coin et travailler dans l’ombre au sein des studios, Mark Protosevich vendait ainsi son premier scénario. Tout Hollywood courait après la nouvelle variation du film de serial killer, avec une petite touche d’originalité pour pimenter la recette, et The Cell cochait toutes les cases.
Mais le vrai ingrédient secret est arrivé après : Tarsem Singh, réalisateur indien venu de la pub et du clip, soit les domaines où les studios allaient dénicher les prochains talents, à l’image d’un David Fincher pour Alien 3. Singh racontait à What to Watch : « Je n’aurais jamais pensé que j’allais faire un film de serial killer. Mais quand on m’a proposé The Cell, j’ai dit, ‘Si vous pensez que ça va être comme Seven ou Le Silence des agneaux, vous rêvez. C’est un film hindi, et je vais y aller à fond comme si c’était un opéra’. Il faut avoir une approche différente pour y aller. Et c’est comme ça que j’ai été engagé. »
Protosevich confirme que le réalisateur a changé la donne : « Quand j’écrivais le scénario, je me disais que les scènes de rêve allaient ressembler à Freddy 3. Mais quand Tarsem est arrivé, c’est devenu quelque chose d’entièrement nouveau. The Cell est vraiment mon scénario, mais le monde visuel est vraiment la création de Tarsem. » Certaines des idées les plus tordues, comme Stargher qui s’élève avec un treuil et des accroches dans le dos, ou le fait qu’il se masturbe au-dessus de ses victimes, viennent ainsi du réalisateur.
« Goodbye horses, I’m flying over you… »
phantoms of the opera
The Cell n’est pas uniquement le fruit de son époque parce qu’il est arrivé en queue de comète de la vague de films de serial killer. Il a aussi reflété son temps malgré lui, pour le meilleur ou pour le pire. Premier symptôme : avant Jennifer Lopez, emblème pop et people de la décennie, c’est Julianne Moore qui devait être la psy, dans une version jamais validée par le studio.
The Cell ressemblait alors au film Au-delà du réel de Ken Russell, où William Hurt étude les effets de puissants hallucinogènes. Avec cette approche baroque, aucun studio ne voulait miser sur un budget dépassant 10 millions, soit trois fois moins que nécessaire. Tarsem Singh raconte comment l’idée de la chanteuse-actrice est arrivée : « Le studio parlait de l’idée de faire le film avec ce qu’on appellerait une diva, à Bollywood. J’ai répondu, ‘Ah, comme Jennifer Lopez’. Ils m’ont répondu oui. J’ai dit, ‘Non, je veux dire, comme Jennifez Lopez’. Ils m’ont répondu, ‘Oui oui, avec elle !' ». Le scénario fut alors réajusté pour que l’héroïne soit plus jeune et inexpérimentée.
Deuxième facteur, encore plus inattendu : Matrix, qui retournait les esprits en 1999. A priori, aucun rapport, sauf que Tarsem Singh a changé son approche de The Cell après le trip des Wachowski : « Au début, je voulais que ce soit un film d’action dans la tête des personnages, et quand Matrix est sorti, les producteurs m’ont dit que je pouvais utiliser la même technologie. Je leur ai dit que non, parce que maintenant tout le monde allait faire ces cascades ».
Le réalisateur a alors convaincu les producteurs de le laisser opérer un total virage vers l’opéra. La promesse d’un film de tueur en série permettait de faire avaler la pilule, et Tarsem Singh avait conscience qu’il devait jouer le jeu. Il a néanmoins décidé de pervertir la formule, notamment en engageant la géniale costumière Eiko Ishioka, oscarisée pour le Dracula baroque de Coppola.
Il décrit les costumes de l’artiste comme un cheval de Troie, et raconte la liberté qu’il a eue : « Dans la dernière partie, quand D’Onofrio est là et Catherine doit combattre Stargher, Eiko est arrivée avec ce manteau énorme, il fallait trois personnes pour le tenir. Et elle me dit, ‘Il doit vraiment se battre ?’. Et il y avait trois pages de scénario de baston ! Donc je lui ai dit qu’il allait sortir de ce petit lac, avancer, boum, il montre la cape, et maintenant il peut se battre. Et Catherine lui tire dans le pied, lui arrache les piercings sur la poitrine. Puis elle va noyer le gamin. Et ils nous laissaient faire tout ça. »
Même pas cape de réécrire le climax
dreams are my reality
Une fois passées les premières portes, The Cell n’a rien à voir avec les autres films de serial killer, et se pose presque comme l’antithèse du Silence des agneaux. Alors que tous les films du genre couraient après cette intelligence solennelle, et empilaient comme des parpaings maquillés les personnages torturés, Tarsem Singh a poussé à fond les curseurs dans l’autre sens. Aussi profonds que des seconds couteaux des Experts, Catherine Deane et Peter Novak sont des véhicules vides, brillamment incarnés par les adorables porte-manteaux Jennifer Lopez et Vince Vaughn.
Impossible de ne pas sentir que tout le monde se contrefiche de ces héros lambdas. Le flic déterminé est ainsi un ex-procureur qui a vu les limites de la justice, porte la culpabilité d’une petite fille tuée à cause d’un vice de procédure, et veut désormais arrêter les tueurs à la source. La psy investie, elle, a vu son petit frère mourir après un coma, ce qui a motivé toute sa carrière. La finesse de la caractérisation est à la hauteur de leur embryon de romance ridicule, heureusement pudique et pudibonde.
Vince Vaughn qui venait de jouer Norman Bates dans le remake de Psychose
Même l’intrigue policière est en pilotage automatique. Il n’y a aucun vrai suspense sur le sort de la victime, évidemment retrouvée à temps dans une pirouette digne d’une bombe stoppée 2 secondes avant l’explosion dans Mission : Impossible. Dans cette réalité ensoleillée, tout semble délavé, comme une copie quasi conforme de tout un genre – voir l’assaut de la maison du tueur, filmée comme un mauvais épisode de The Shield avec une tonne de figurants.
En détruisant les deux piliers du film de serial killer (les héros-justiciers, et l’enquête), The Cell se libère, et s’évade de la triste réalité hollywoodienne. Une fois que la lumière s’éteint, et que le public est installé et branché comme Catherine, le film (celui des rêves, mais aussi The Cell lui-même) peut commencer. Ça ne représente qu’un tiers du film environ, mais c’est largement de quoi en faire une expérience unique en son genre.
rage inside the machine
À coups de mouvements de caméra renversants, d’idées visuelles spectaculaires, et de couleurs sensationnelles, Tarsem Singh ouvre en grand les portes d’un univers qui semble infini. Comme le tueur, le réalisateur devient le « king in a very twisted kingdom« , et joue avec les perspectives, les dimensions et les repères pour donner vie à ce monde mortel. Clairement, c’est là que The Cell commence véritablement – au bout d’une quarantaine de minutes donc.
Flirtant avec le porno (la galerie des victimes-poupées) et le gore (une séance d’intestins musicaux), tout en restant dans la limite d’un spectacle de cette trempe, The Cell déroule ainsi des visions folles et fantasmagoriques. Un fondu qui transforme un drap en dunes, Stargher qui quitte son trône et emporte avec lui le drapé des murs, un cheval découpé en un éclair, trois femmes assises dans un champ la bouche ouverte vers le ciel, un acrobate-accordéon terrifiant… le film se transforme en kaléidoscope cruel et halluciné, avec quelques belles références (Giger, Odd Nerdrum, Damien Hirst, Twin Peaks) pour les yeux avertis.
La musique adoucit les meurtres
Le réalisateur Tarsem Singh et la costumière Eiko Ishioka ne sont pas les seuls à tirer les ficelles dans ces enfers magnifiques. Il y aussi Tom Foden, chef déco passé sur des clips marquants de Nine Inch Nails (The Perfect Drug et Closer), et Howard Shore, qui compose des symphonies enivrantes. D’un tunnel psychédélique à la 2001 : L’Odyssée de l’espace à une séance de torture en sourdine, où les hurlements de Novak sont étouffés par la petite mélodie des boyaux, The Cell est un régal diabolique pour les sens.
Un régal d’autant plus savoureux que le film s’aventure parfois loin des chemins balisés du genre, au point de ressembler à une anomalie. Entre des tétons arrachés et des dorures qui envahissent l’écran dans une imagerie biblico-kitsch, avec au milieu une Jennifer Lopez qui passe de vierge à amazone, le climax de The Cell tient à lui seul de l’hallucination.
Sous ses airs de production assemblée pour les mauvaises raisons (Jennifer Lopez, un réalisateur venu du clip, un high concept de série B), The Cell est finalement le contraire d’une copie délavée du Silence des agneaux et autres Seven : un film de serial killer pur, où le tueur n’est plus un second rôle ou un prétexte. C’est la vraie star, le chef d’orchestre qui avale tout (les héros, l’intrigue), et même l’alter ego du réalisateur. Comme l’héroïne qui plonge dans l’esprit de Stargher, le public visite celui de Tarsem Singh.
La folie tapisse ce film schizophrène, déchiré comme ses personnages entre le rêve et la réalité. Et tant pis si le plus triste des réels l’emporte à la fin, dans un happy end ennuyeux au possible : le (court) voyage aura été fabuleux. Et non, il n’a pas continué avec The Cell 2, un DTV qui reprend uniquement le concept.
Pas un bijou, mais un de ces films dont on se rappelle instantanément ! Une plongée rare ds l’inconscient, avec des décors et une musique… Le scénario est convenu mais c’était un plaisir très prolongé de l’avoir vu à l’époque au ciné.
Visuellement incroyable la photo les décors, costumes .
La vision du réalisateur pour son projet est superbe .
Bon film vraiment
film très très ambitieux, pas apprécié à sa juste valeur
Film étonnant…et si glauque par moments !!
Ce film est top, une durée adaptée (oui je n’en peu plus des films de 2h et plus, pour rien dire), un bon scénario, un casting efficace et une esthétique excellente.
Un de mes films préférés !
Une fois dans l’esprit et les fantasmes du tueur qu’elle superbe délire artistique.
Une image qui m’a marqué, la découpe exhibition instantané du cheval. De vie à œuvre d’art en une simple fraction de seconde. Ça m’avait un peu retourné je dois bien l’avouer.
a mes yeux, probablement le meilleur « seven-like » des années 2 000, qui est d’ailleurs sorti récemment un coffret blu ray dvd chez metropolitan.
J’aurais tellement aimé voir ce film au ciné!!!
DA dingue, comme the Fall d’ailleurs.
Excellent film , et visuellement impressionnant