Porté par Harrison Ford et Tommy Lee Jones, Le Fugitif est toujours un pur thriller tendu, qui mérite au pas de course un revisionnage.
On le sait, le passage des séries vers le grand écran est plus souvent opportuniste que porté par de grandes intentions artistiques. Ainsi, lorsque Warner Bros. a décidé, au début des années 90, d’adapter au cinéma la série Le Fugitif, grand succès des années 60, on pouvait ne pas s’attendre à grand-chose.
Pourtant, en plus d’avoir été un sacré carton au box-office lors de sa sortie en 1993, Le Fugitif s’est mine de rien imposé comme un film culte, qui a d’ailleurs permis dans son sillage de rasseoir le charisme d’Harrison Ford (alors en perte de vitesse depuis la sortie d’Indiana Jones et la dernière croisade en 1989). Mais plus généralement, le film d’Andrew Davis confère une satisfaction rare au revisionnage, celle d’assister à un projet donnant en permanence l’impression que les astres se sont alignés.
Jugé coupable
Simple et efficace, le scénario du Fugitif reprend la trame de la série. Le Dr Richard Kimble (Ford) est accusé à tort du meurtre de sa femme, qu’il sait commis par un homme manchot. Sur ce maigre indice, le condamné à mort parvient à s’échapper et à fuir les autorités, tout en espérant trouver le véritable coupable. À partir de ce pitch épuré, on pense immédiatement à certains classiques du thriller, à commencer par La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock.
Or, la référence est assumée par Andrew Davis dès la scène d’évasion de Kimble, dont le bus pénitencier se renverse sur une voie ferrée. Un travelling suit Harrison Ford essayer d’échapper à la locomotive qui fonce sur lui, dans une composition qui n’est pas sans rappeler la poursuite entre Cary Grant et le biplan dans le chef-d’œuvre d’Hitchcock.
Cependant, le réalisateur de Piège en haute mer n’hésite pas à agrémenter sa séquence d’un petit ajout malin : étant donné qu’il est menotté aux mains et aux pieds, Kimble ne peut fuir qu’à une certaine vitesse, augmentant de facto la tension de la scène.
Tommy Lee Jones, juste parfait
À vrai dire, ce plan reflète à lui seul la grande réussite du long-métrage, qui sait se reposer avec déférence sur l’Âge d’or d’Hollywood pour se réinventer derrière. Malgré la sobriété apparente de sa mise en scène, Le Fugitif est porté par une certaine idée de la démesure : celle de vouloir aller au-delà de ses modèles.
À ce titre, il est intéressant d’analyser certains des effets de style chéris par Davis, à commencer par sa gestion du montage alterné, qui mixe dès l’ouverture du film l’arrestation de Kimble et le souvenir qu’il se construit du meurtre de sa femme. La rythmique violente de cet entrelacement façonne un aspect anxiogène, mettant en avant à la fois le traumatisme du protagoniste et l’enquête précipitée contre lui.
Après cette mise en bouche, le montage alterné devient un outil idéal pour opposer Kimble à Samuel Gerard, le marshal aux trousses de notre héros, brillamment incarné par Tommy Lee Jones. Davis prend un malin plaisir à assembler ses plans pour délivrer une ambiance paranoïaque, épaulée par les téléobjectifs utilisés dans certains cadres, afin d’écraser les distances et isoler le corps du personnage traqué.
Mais s’il y a une chose à retenir du Fugitif, c’est que sa mise en scène s’adapte avec intelligence à son récit, puisqu’il s’amuse par le montage à jouer avec des apparences trompeuses. On peut notamment penser à cette brillante transition, où Kimble rêve qu’il embrasse sa femme, avant que le plan suivant ne le montre en train de lui faire du bouche-à-bouche la nuit de sa mort.
Médecin sans frontières
Quand nous disions plus tôt que les astres se sont alignés pour Le Fugitif, ce n’est pas seulement parce qu’Andrew Davis a réalisé le plus grand film de sa carrière, ou qu’Harrison Ford s’est révélé être un choix parfait pour le Dr Kimble. En réalité, toute l’équipe du long-métrage semble avoir été au bon endroit au bon moment, à commencer par le scénariste David Twohy, futur réalisateur de Pitch Black et des Chroniques de Riddick.
En y repensant, la présence de l’auteur est loin d’être innocente. Le Fugitif est avant tout porté par un sentiment d’oppression, y compris lorsque la seconde moitié du récit prend pour terrain de jeu la ville de Chicago. Même à ciel ouvert, le film se déploie comme un huis clos, annonçant à sa manière l’écriture de Twohy sur Pitch Black. On en veut pour cause la géniale scène où Kimble fuit Gerard et son équipe en pleine fête de St-Patrick, dans une foule déguisée qui devient immédiatement angoissante.
Par extension, ce contraste entre cette prise en tenaille permanente et la largeur des décors permet au Fugitif d’être une course-poursuite totale, et en constant renouvellement. Le film s’offre des set-pieces aussi géniaux que la chute du haut du barrage, moment charnière qui redéfinit ses personnages.
Dans son livre Story, l’une des références sur l’écriture du scénario, l’auteur Robert McKee émet une théorie fascinante : « le vrai caractère d’un personnage est révélé par les choix qu’un être humain fait sous pression. Plus la pression est grande, plus la révélation est profonde, et plus le choix s’accorde avec l’essence de ce personnage ».
En bref, plus un héros (ou son antagoniste) prend des décisions urgentes, plus celles-ci sont révélatrices de sa véritable personnalité. Et c’est peut-être justement là que Le Fugitif se démarque des multiples thrillers dans son genre. À la moindre occasion, le scénario oblige Richard Kimble à faire des choix difficiles, qui mettent en opposition sa bienveillance naturelle avec son désespoir.
Le meilleur exemple est à chercher lorsqu’il s’infiltre dans un hôpital en quête d’informations, et aperçoit un enfant aux urgences dont le diagnostic a été mal fait. Risquant de se faire repérer, le héros choisit malgré tout d’emmener le jeune garçon au bloc opératoire. On comprend par ce détour scénaristique que Kimble tient à son serment d’Hippocrate, mais aussi qu’il privilégie toujours la vie d’autrui sur la sienne.
« C’est pour ma conditionnelle »
‘Cause this is thriller
Ainsi, Le Fugitif s’impose comme un grand thriller parce que son personnage se définit toujours au cœur de l’action. Il en va d’ailleurs de même pour le marshal Gerard, flic intransigeant dont on comprend la dangerosité en quelques scènes, notamment lorsqu’il tue sans autre forme de procès un évadé du début du film. Sa brillante écriture s’est imposée comme un merveilleux terreau pour Tommy Lee Jones, dont l’approche nerveuse et cynique du personnage lui a valu un Oscar du meilleur second rôle.
Nominé pour un total de sept statuettes, Le Fugitif a été particulièrement bien reçu à l’époque de sa sortie, et l’on comprend aisément pourquoi. Derrière son indiscutable savoir-faire, on tient là un hommage flamboyant au thriller américain, telle une relecture savante d’Hitchcock teintée de Pakula. Le film d’Andrew Davis conserve même via cet héritage l’importance d’une dimension sociale. Car derrière son récit rondement mené, le long-métrage parle de complots pharmaceutiques, et de manipulations des puissants envers un peuple qui ne se doute de rien.
Tandis que l’individu est remis au centre de cette équation, Le Fugitif n’en oublie jamais de filmer des gens, de prendre en considération tous ces rouages d’un système capitaliste qui écrase les plus faibles. Il n’est sans doute pas étonnant que le climax du film et ses révélations finales, choisissent de mettre en scène ce mouvement de cause à effet, des têtes pensantes jusqu’aux victimes de leurs décisions. Débutant dans la salle des fêtes d’un hôtel de luxe où des riches s’autocongratulent, la séquence plonge ensuite dans les bas-fonds, jusqu’à atteindre la blanchisserie où les petites mains nettoient le linge.
Ce geste fort reflète toute l’intelligence d’une réalisation qui n’a pas besoin de prendre une posture pour avoir quelque chose à raconter de notre monde. Toujours focalisé sur ses personnages et leurs mésaventures, Le Fugitif est encore aujourd’hui un petit bijou de thriller intègre. Comme quoi, il faut vraiment écouter le film lorsque celui-ci nous dit de ne pas se fier aux apparences…
Gros hit à l époque, malheureusement a la revoyure c’est limite un navet à cause de la mise en scène toute peté , et l’intrigue de thriller aussi passionnante qu’une course de cul de jatte. Seul tommy et Harrison font le taff à 200%
Je considère Le Fugitif comme étant le dernier grand film avec Harrison Ford, hors franchises. C’est un film qui compte dans la carrière d’Harrison Ford, tout comme Blade Runner, Witness, Frantic, Mosquito Coast ou Working Girl, qui permettent à Harrison Ford d’exister en tant qu’acteur, en dehors des franchises Star Wars et Indiana Jones. Certes, il connaîtra d’autres succès commerciaux par la suite, comme Air Force One.
Cependant, aucun autre de ses films ne donnera cette satisfaction d’être à la fois, un très bon film de divertissement et un grand moment de cinéma. Le duel entre Harrison Ford et Tommy Lee Jones est juste formidable. Cela me rappelle un autre duel intéressant proposé par un autre film sorti la même année: Dans la Ligne de Mire avec Clint Eastwood et John Malkovich. Pour la petite histoire, Tommy Lee Jones et John Malkovich seront nominés à l’Oscar du meilleur second rôle masculin, pour leurs rôles respectifs: c’est Tommy Lee Jones qui repartira avec la statuette. Le Fugitif et Dans la Ligne de Mire ont été deux grands succès populaires, tout en possédant le charme des films à l’ancienne.
À partir de ce rôle d’U.S. Marshall, Tommy Lee Jones se verra proposer plus de rôles de héros.
Non, Harrison Ford n’était absolument pas en perte de vitesse.
Le film est un excellent polar qui file la métaphore vampirique de manière futée.
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Hommage rendu également dans les Simpson « Qui a tiré sur M Burns », partie 2 – saison 7
Très bon film issu d’une série tv. La suite assez bonne également, avec Wesley Snipes, « U.S. Marsall ».
Et puis lorsque les Simpson vous rendent hommage dans un de leurs épisodes, c’est que le film est assez marquant. 😉 (Dans l’épisode » La rivale de Lisa » – saison 6, Quand la série des Simpson était excellente, la qualité a bien diminué aujourd’hui…)
Attention les manchots sont discriminés
Ahahaha
Film plutôt haletant dans lequel j’avais découvert un Harrison Ford tout barbu.
Vous êtes sûr qu’il était en perte de vitesse depuis le troisième Indiana Jones ? Il avait quand même joué dans Présumé innocent (1990) et Jeux de guerre (1992) avant d’interpréter le rôle du docteur Kimble.