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Matrix 4 : Resurrections mérite t-il toute cette haine ?

Par La Rédaction
2 septembre 2022
MAJ : 15 juillet 2024
74 commentaires
Matrix 4

La saga Matrix est finalement de retour, près de vingt ans après la conclusion de sa trilogie, avec Matrix Resurrections de Lana Wachowski.

C’est peu de dire qu’à la fin de l’année 2021, les blockbusters auront été au coeur des esprits avec tous une idée en tête exploitée de manière différente, et plus ou moins pertinente : la nostalgie du passé. Ainsi S.O.S. Fantômes : l’Héritage a fait la part belle aux deux volets originaux des Ghostbusters, West Side Story a modernisé avec ardeur la pièce culte de Broadway (et en même temps, le film de Robert Wise) quand Spider-Man : No Way Home a évidemment joué du multivers pour faire revenir des méchants (et pas seulement) des versions précédentes de l’homme-araignée.

Et puis au milieu de tout ça, il y a également Matrix Resurrections, réalisé uniquement par Lana Wachowski (sa soeur Lilly ayant décidé de passer son tour), Keanu Reeves et Carrie-Anne Moss reprenant leurs rôles de Neo et Trinity. Assurément, c’est celui qui porte le regard le plus fascinant sur toute cette mode des franchises, simili-reboots et spin-offs de l’ère hollywoodienne et qui vient surtout complètement repenser l’idée même de suite pour les blockbusters et sagas cultes.

Et s’il a plutôt convaincu la rédaction (il suffit de lire notre critique de Matrix 4), il divise énormément, public et critique ; en plus d’être un malheure flop au box-office. Et ce n’est pas surprenant puisque c’est un véritable doigt d’honneur fait à l’ère des sagas Disney et notamment la postlogie Star Wars, dont Matrix Resurrections s’engage à être le véritable nemesis.

On fait donc le point en détail et sans prendre de pincettes sur les qualités et défauts de Matrix Resurrections. ATTENTION SPOILERS !!!!

LE MEILLEUR DE MATRIX 4

UNE SUITE DANS LES IDÉES

On l’a dit, répété et redouté. Personne n’avait besoin d’un nouveau Matrix, tant il paraissait évident que le récit de la trilogie originelle était clôt, tandis que ses autrices avaient décidé de voguer, thématiquement et stylistiquement, aux antipodes de leurs trois tours de force. Comment dès lors, travailler à légitimer ce nouveau chapitre ?

En assumant sa condition de suite. Dans ce nouveau Matrix, tous les personnages se savent réduits à de vulgaires échos du passé, enfermés dans des boucles actionnelles et symboliques les vidant de toute substance. Anciens comme nouveaux venus, tous réalisent, à différents niveaux de conscience, qu’ils doivent rejouer une mascarade. Loin de rester un concept vaguement agité par une paire de dialogues en forme de clin d’oeil, ce présupposé a un effet extrêmement stimulant sur le récit.

Matrix Resurrections : photoC’est beau comme du Maxime le Forestier

Ce dernier posant clairement les enjeux et les problématiques auxquels fait face un long-métrage en forme de continuation tardive, produit dans un contexte de destruction systématique des enjeux créatifs, il ne peut dès lors plus reculer. Cette conscience entraîne une modification en profondeur de la direction artistique, mais aussi de l’écriture des protagonistes, à commencer par Neo, enfin vulnérable et en proie à un doute profond.

Parce que Matrix Resurrections sait bien qu’il arrive après, qu’il arrive trop tard, il peut se permettre de questionner sa nature propre et par là même, considérer son spectateur comme un compagnon de route, plutôt qu’un usager, un consommateur, ou une oie à gaver. Une attitude qui pousse chaque aspect du métrage à se penser non pas comme une reproduction de ce qui l’a précédé, mais comme un retournement complet. Une direction éclatante quand on observe attentivement le découpage et la photographie du film, opposées en tout point aux mouvements ouatés de la précédente trilogie, ou à son image anthracite.

Un constat évident notamment dans les extérieurs, pour l’essentiel réalisé à San Francisco, qui transforment le tout en une explosion de couleurs parfois quasiment hallucinogène, et ne cessent de nous interroger sur ce que nous voyons, son statut, sa réalité. Un cahier des charges en forme de reflet inversé de celui qui présida voici quelques années à la production de la postlogie Star Wars. Là où dans une galaxie lointaine il fallait dupliquer, on sabote. Quand il était question de cloner les personnages d’hier, on met désormais en avant des copies frelatées, présentées comme manifestement défectueuse. Tout l’enjeu d’être une suite, et de questionner ce statut.

Matrix 4 : Resurrections : photoNeo a troqué le gris béton contre le jaune canard

MAXI-META-BEST-OF

Parce que cette suite assume d’en être une, elle choisit donc de s’inscrire dans une logique éminemment méta. Tarte à la crème souvent brandie par des récits qui tentent ainsi de se peindre en plus malins qu’ils ne sont, le procédé n’est pas neuf, il a même été largement repopularisé par le succès de Deadpool. Mais là où il s’agit trop souvent d’une béquille scénaristique, le nouveau Matrix décide d’en faire la fondation du métrage, et ce au moins à deux niveaux.

Le premier est scénaristique, établissant l’intrigue dans une nouvelle Matrice, qui a décidé de faire du récit de Neo, l’intrigue de la première trilogie, un objet de consommation l’aidant à mater idéalement les velléités ou aspirations émancipatrices des humains. Dans son premier tiers, l’histoire se sert donc de ce point de départ pour établir le film comme un commentaire acerbe et violent de l’industrie hollywoodienne. De l’industrie, mais aussi de ses usagers. En témoignent les quelques séquences de brainstorming, qui s’amusent à tourner en dérision les clichés analytiques ou les lieux communs fréquemment brandis pour commenter la licence.

Matrix 4 : Resurrections : photoLe fameux effet Deadpool

Puis, en matière de narration, l’ensemble paraît évacuer cette piste, sur laquelle les évènements ne s’appuient plus, sitôt la première “révélation” de Smith aboutissant à une spectaculaire fusillade au beau milieu d’un open space. Après quoi, c’est la mise en scène elle-même qui prendra le relais “méta”. En effet, plus qu’aucun autre film avant lui, Resurrections est caviardé d’inserts venus de la trilogie originelle. Il ne s’agit ni de flashbacks à proprement parler (ils ne sont jamais le centre de l’action ou de l’attention) ni d’aide-mémoire pour le spectateur (ils demeurent trop brefs pour raconter quoi que ce soit).

Le montage choisit de les positionner de manière à modifier le rythme ou le sens des séquences elles-mêmes, ou encore à créer des effets d’échos parfois bouleversants. Jouant avec la colorimétrie de l’image comme avec le mixage son – qui décuple, annihile ou nuance leur sens premier – ils ont pour effet d’inclure organiquement ce 4e opus dans le corpus des précédents. Le tout via une forme rare, assez originale, et qui permet au film de varier les niveaux de sens.

Matrix Resurrections : photo, Max RiemeltQuand même le coiffeur est méta

Cette piste passionnante, dont le film utilise non pas comme une pirouette mais bien comme un réseau de symbole pourvoyeur de sens, est ici travaillée à la manière d’une matière première extrêmement riche. Langage à part entière et tremplin potentiel pour l’analyse, l’expérience méta guettait presque un certain Star Wars : Les Derniers Jedi, qui demeurera pourtant un exemple d’échec en la matière. N’osant jamais remuer sa propre saga en profondeur, redéfinir ouvertement ses codes, esthétiques comme narratifs, le film se condamnait à demeurer une expérience récréative, ludique, mais trop superficielle pour vraiment marquer.

Resurrections en revanche, prend tous les risques. Celui de mener de front une pure réflexion sur son statut, l’objet cinéma et sa nature de suite, et donc, encore une fois, de prendre à rebrousse-poil tous les codes en vigueur au sein de l’industrie du divertissement, pour mieux analyser ses paralysies contemporaines.

Matrix 4 : Resurrections : photo, Jonathan GroffEt si on produisait un Call of Duty méta ?

Neo et Trinity

Restez jusqu’à la fin du générique, non pas pour voir une ultime séquence destinée à parodier les attentes des amateurs d’univers étendus, mais pour lire la dédicace de la réalisatrice, destinée à ses parents. « L’amour est la genèse de tout », et sa fin donc. Débutant comme une relecture un brin virulente de l’héritage de la trilogie originale, ce nouveau Matrix fait émerger de sa critique un renouveau amoureux inattendu, très touchant et révélateur de l’humanisme de Lana Wachowski. Le système s’est redéployé autour des symboles de son démantèlement, mais c’est bien leur lien, échappant à tout contrôle, métaphorique ou technique, qui peut le vaincre définitivement.

En s’articulant autour du retour de Neo, le récit de Wachowski, Mitchell et Hemon, laisse croire à son spectateur qu’il est le personnage principal, alors que c’est bien Trinity la clé non seulement de cette suite, mais aussi de la saga dans son intégralité. Neo le dit lui-même, enfermé dans sa cellule : sans son amour pour lui, il n’aurait jamais trouvé la force d’accomplir ce qu’il a accompli et c’est donc elle qui porte sur ses épaules le destin de l’humanité… et des machines. Car antagonistes et protagonistes en font un levier émotionnel pour exploiter le pouvoir de l’Élu, sans se rendre compte que c’est elle qui motive les forces de cet univers.

Matrix Resurrections : photo, Carrie-Anne MossLumineuse

Et finalement, ce n’est pas du choix de Neo dont il est question, mais bien du sien. C’est à son émancipation que tient la libération de l’humanité, écrasée par le même joug, symbolisé par le cynique (et sexiste) nouvel architecte, joué par Neil Patrick Harris. Un maître du jeu sadique, qui manipule directement notre couple, psychologiquement, via la thérapie ou l’oppressif carcan familial. Rarement au cœur de l’action lorsque les high-kicks volent, elle fait pourtant preuve du même type de courage qui a traversé toute l’œuvre des deux cinéastes. Et à la fin, forcément, le duo vainc grâce à son humanité, au gré d’un saut dans le vide, littéral et salvateur.

Un postulat qui ne pourrait pas fonctionner sans l’alchimie de l’actrice et de l’acteur, tous deux parfaits en héros usés par la réappropriation de leurs exploits. L’immortel Keanu Reeves se s’empare à nouveau de son personnage résigné avec une déconcertante facilité, donnant au passage une touche de lassitude supplémentaire au pauvre Neo, usé par sa propre légende, et joue de sa complicité évidente avec une Carrie-Anne Moss défiant avec fierté les modèles hollywoodiens. À la fin de la séance, on ne pense qu’à eux, et à ce qu’ils vont faire d’un monde transformé en bac à sable rempli à ras bord d’espoir.

Matrix Resurrections : photo, Keanu Reeves, Carrie-Anne MossNous futurs

Le Climax

Certes, ce dernier Matrix ne passera pas à la postérité grâce à ses scènes d’action, dont le scénario avoue lui-même l’aspect anecdotique. Toutefois, l’une d’entre elles a quand même le mérite de clôturer le film en beauté, à savoir le climax, où Neo et Trinity zigzaguent en moto dans la « meute », avant de s’envoler. Une séquence non seulement plutôt spectaculaire, mais qui résume également le propos de ce bien étrange opus, ne faisant décidément jamais ce qu’on attend de lui.

Après la bagarre un peu trop bordélique dans le bâtiment désaffecté, la caméra de Lana Wachowski prend enfin du recul pour se perdre dans un cadre urbain austère, citant malicieusement le mémorable final de Matrix Revolutions. La course-poursuite trahit avant tout la volonté de la cinéaste de s’emparer des possibilités offertes par les effets spéciaux numériques contemporains, celles-là mêmes qui motivaient largement la production de Jupiter Ascending.

Elle s’en donne à coeur joie, multiplie les ralentis avec des doublures numériques (technologie qu’elle et sa sœur avaient déjà poussée au point de rupture dans Matrix Reloaded vingt ans plus tôt), s’amuse des gimmicks d’action qu’elle a elle-même contribué à populariser.

Matrix Resurrections : photo, Keanu ReevesLa première image dévoilée inaugure le climax

La scène devient vraiment impressionnante lorsque L’analyste précipite des centaines de « bots » contre ses adversaires, nous gratifiant d’un plan absolument terrifiant, transformant en quelques secondes à peine, à la faveur d’une respiration dans le rythme effréné de la poursuite, un homme en bombe. Une idée qui renoue avec la domination glauque des antagonistes de la trilogie originale, mais surtout trahit les spécificités de cette nouvelle Matrice, dont l’agressivité est justement causée par… l’histoire de Matrix.

Difficile de ne pas voir dans cette « meute » une horde de fans mécontents, contrôlés par un pouvoir politique vicieux, enrageant à l’idée qu’on puisse conférer un sens social à leur passion, qu’ils ne voyaient que comme un divertissement efficace. Neo et Trinity s’échappent de l’humanité qu’ils ont sauvée, comme Lana Wachowski s’échappe de l’image de Matrix… littéralement.

La photographie de John Toll et Daniele Massaccesi (qui a travaillé sur Equilibrium, l’un des plus flagrants ersatz non-sensiques de la saga) imite vaguement l’image sombre de Bill Pope le temps que les deux héros se battent au pied des immeubles, avant de revenir à sa chaleur lumineuse héritée de Cloud Atlas et de son optimisme radical. Elle raconte à elle seule l’émancipation que met en scène Matrix Resurrections et son échappatoire : l’amour, surtout celui de la toute puissante Trinity. Une véritable bouffée d’air frais qui prouve qu’Hollywood peut encore engendrer des œuvres attachées à un cinéma esthétique. Mais jusqu’à quand ?

Matrix 4 : Resurrections : photoLe dernier saut

LE BOF DANS MATRIX 4

L’action

C’est probablement l’une des principales raisons pour lesquelles ce Matrix va largement décevoir. Une génération entière marquée au fer rouge par les innovations techniques folles, la découverte de la baston à la hongkongaise importée par les cinéphiles Wachowski et plus largement des morceaux de bravoure inégalés, encore aujourd’hui, va se ruer en salles avec l’espoir de retrouver cette folie, et pourquoi pas même assister à un renouveau du cinéma d’action mainstream actuel.

Sauf que le film revendique directement son envie d’en finir avec ce genre d’attentes, arbres qui cachent la forêt philosophique et politique de la saga, quitte à contredire une bande-annonce bien consciente de la puissance d’évocation de la franchise et donc parfaitement mensongère.

Matrix Resurrections : photo, Yahya Abdul-Mateen II, Jessica HenwickUn couloir, pas de gravité, un beau bordel

Si le climax est quand même vraiment impressionnant, comme nous l’avons démontré plus haut, jamais le film ne semble vouloir toucher du doigt la générosité du premier film, encore moins celle de ses suites, pleines à craquer de séquences d’anthologie imbriquées les unes dans les autres. Rien n’arrive encore à la cheville du segment central de Reloaded, dans Resurrections ou ailleurs. Bien consciente qu’elle ne parviendra jamais à recréer l’effet de sidération de ses chefs-d’œuvre, Lana Wachowski préfère saboter quasiment elle-même leur attrait en privant Neo de ses aptitudes les plus spectaculaires et en le dotant d’un pouvoir surpuissant, mais qui abrège bien vite les bastons.

L’ambition générale en termes de grand spectacle martial est donc revue à la baisse, ne serait-ce que dans la durée des scènes d’action. Là où Reloaded et Revolution étalaient leurs délires sur des dizaines de minutes, perdant le spectateur dans la furie des coups et des explosions, Resurrections se contente de la moyenne hollywoodienne et expédie certaines d’entre elles. C’est notamment le cas des deux premières.

Matrix 4 : Resurrections : photo, Yahya Abdul-Mateen IICandyman 2.0

L’ouverture, handicapée par un montage bien plus intéressé par le fond que par la forme et qui néglige donc l’action, laisse déjà un goût amer en bouche, tandis que la scène du train, largement promue par le marketing, déçoit logiquement. Le principe des sortes de portails de téléportation dans la Matrice n’est jamais exploité à la hauteur de ses possibilités, entrevues lors du tir de missile. Plus globalement, l’espace exigu ne laisse pas la place à la mise en scène de se déployer, ne lui laissant que ses ralentis faciles. Un problème qui s’étend au reste du long-métrage.

La cinéaste se passe d’ailleurs de certains talents qui avaient fait la renommée de son œuvre, comme Chad Stahelski, désormais très occupé par ses activités de réalisateur, mais quand même présent dans le rôle de… Chad, et Dion Lam, artiste martial hongkongais encore en pleine possession de ses moyens. Le point de vue se resserre, et les affrontements perdent de fait en ampleur.

Moins inspirée, parfois un peu difficile à suivre, la faute à un montage qui – dans la continuité du style de cet opus – privilégie les inserts à la prise de recul, la scène dans le bâtiment désaffecté contre le nouveau Smith concentre un peu tous les défauts d’un film qui n’a absolument pas envie d’être abandonné – comme ses prédécesseurs – dans la case, si réductrice à Hollywood, du film d’action.

Matrix 4 : Resurrections : photoParle à ma main

Les mains de NEO

C’était le dernier grand tournant du premier Matrix : Neo est capable de stopper les balles de l’agent Smith à la simple force de ses mains (ou plutôt du champ de force qu’il crée avec). Par la suite, la trilogie n’a eu de cesse d’augmenter ses pouvoirs (quelques minutes après, il arrive même à voler), lui permettant de combattre les machines et autres ennemis.

Dans Matrix Resurrections, Neo a plus ou moins perdu ses souvenirs (ou en tout cas, ne sait plus que ses jeux sont en fait sa réalité) et il ré-apprend à prendre le contrôle de ses pouvoirs. Si le film décide de ne pas le refaire voler avant le dernier plan (notamment par rapport à l’arc Trinity), il lui permet de retrouver plusieurs de ses qualités : le kung-fu et son pouvoir des mains donc.

Matrix 4 : Resurrections : photoRepousser pour mieux fuir

Le problème, c’est que le film s’en sert beaucoup trop pour qu’on craigne réellement les obstacles qui se mettent devant Neo. Presque à chaque occasion, Neo met ainsi ses mains en avant pour contrer l’attaque d’un Smith remonté, se défendre d’un entraînement costaud avec Morpheus, stopper les balles de mitraillettes, repousser la meute qui lui courre après dans le climax final et carrément dévier une roquette à la fin du film.

Il y a évidemment une raison scénaristique à ce choix : Neo n’est plus là pour attaquer, mais pour se défendre, fuir la meute, et à la simple puissance de ce pouvoir, le film se donne ainsi la possibilité d’écraser ses scènes d’action, d’en faire des éléments secondaires de son intrigue, déterminée à ne s’intéresser qu’à ses personnages. Sauf que c’est un chouia facile pour tout avouer, même si ça donne plusieurs scènes stylées visuellement et une force plus savoureuse au propos meta-textuel du film.

Matrix 4 : Resurrections : photo, Keanu ReevesLes mains protectrices

LE RETOUR DU BLAIREAUVINGIEN

Interprété par Lambert Wilson, le Mérovingien était un des personnages les plus intéressants de l’univers Matrix. Programme puissant et retors, il opère depuis la Matrice, au sein de laquelle il se plaît à trafiquer le code, pour pouvoir fournir divers services à des programmes désespérés. Ces derniers espèrent pouvoir rejoindre, grâce à lui, un lieu où ils seront en mesure d’échapper aux politiques de mise à jour meurtrière de la Matrice. Mais après les évènements de la première trilogie, ce puissant caïd a été voué aux gémonies et exilé. Ce châtiment prodigué à tous ceux qui ont approché Neo est la source de la disgrâce dans laquelle nous le retrouvons, au détour d’un combat de Resurrections.

Autant le dire, cette apparition inattendue ravira les uns par sa dimension extrêmement cartoonesque, sa provocation assumée en direction des gardiens du temple, mais prend le risque de passer un certain Rubicon. En effet, si le quatrième volet fait table rase de ce qui l’a précédé et attaque frontalement les canons esthétiques de son époque, il ne la tourne pas pour autant en ridicule, et ne se risque jamais au grotesque. Sauf dans le cas du Mérovingien.

Et entendre un Lambert Wilson clochardisé se perdre dans un flot d’obscénités aussi surréalistes que contrevenant à l’esprit puritain des blockbusters américains s’avère donc un paradoxe. Outrancière, férocement drôle et un peu surréaliste, la scène n’en prend pas moins le risque de désacraliser sa propre mythologie, tout comme elle menace l’intégrité rythmique d’une séquence de combat déjà fragile.

Matrix Reloaded : photo, Monica Bellucci, Lambert WilsonQuand la réalisatrice te propose un scénario qui encule sa putain de mère la race de sa chatte

L’équipe de Bugs

Matrix Resurrections a beaucoup de choses à raconter sur la genèse de la trilogie précédente, sur son existence même en tant que suite-reboot… et sur l’amour du duo Trinity-Neo. Une histoire dans laquelle on est largement guidé, tout comme Neo dans un premier temps, par le personnage de Bugs, nouvelle arrivée dans l’univers et incarnée par l’excellente Jessica Henwick.

Et qui dit retour à la réalité et nouveau vaisseau volant, dit nouvel équipage. Bugs présente donc à Neo tous les membres de cette génération 2021 (disons pour faciliter la chose) avec Seek, Lexy, Sheperd, Ellster et Berg. Des nouveaux personnages qui vont être rapidement présentés en deux-trois lignes de dialogues, dont Ellster expliquant d’ailleurs qu’elle est la fille de Roland. Puis, le long-métrage trace sa route avec cet équipage aux côtés de Bugs, Neo et Morpheus pour retrouver Trinity.

Matrix Resurrections : photo, Brian J. Smith, Eréndira IbarraLexy et Berg, hyper intrigant, mais si peu identifiés

Sauf qu’ils sont là, en nombre, mais ne servent pas à grand-chose. Exception faite de leur développement rapide lors de leur première apparition, ils ne seront plus jamais développés. Alors oui, le personnage de Lexy est plutôt badass et Berg se détache un peu du reste, mais on n’a jamais vraiment l’occasion de les identifier, de les suivre en tant que personnage réel, et le film se contente d’en faire des suiveurs, permettant uniquement d’aider les protagonistes (c’est probablement voulu, mais c’est sacrément facile). Comme si Lana Wachowski avait décidé de créer ses personnages simplement pour intégrer la petite équipe de Sense8.

Et en dehors du simple équipage, le personnage de Priyanka Chopra Jonas est plutôt décevant. Non pas que l’idée de faire revenir le personnage de Sati dans une version adulte soit inutile, au contraire, elle permet de donner plus d’ampleur au récit. Le problème, c’est que son rôle est très vite expédié, présent sans être vraiment incarné, presque de passage alors que son impact est majeur sur l’avancée du récit.

Matrix Resurrections : photo, Priyanka Chopra JonasLes bibliothécaires ont des oreilles

LE PIRE DE MATRIX 4

C’est trop bavard

Oui, Matrix Resurrections est passionnant, fascinant, riche et dense, déconstruisant avec audace la machine hollywoodienne contemporaine, adressant un gros doigt d’honneur aux blockbusters type Marvel et repensant l’idée même de suites et reboots en tout genre, mais bordel qu’est ce qu’il traîne parfois en longueur.

Pas spécialement en termes de rythme, le film subissant certes un petit ventre mou, mais se relançant en permanence grâce à des idées, son ambition narrative… Non, là où le film se plante régulièrement, c’est dans ses dialogues ou monologues. La trilogie Matrix a toujours connu de longs passages expliquant les tenants et aboutissants de la matrice, du monde des machines et autres complexités de l’univers, mais jamais elle n’était véritablement tombée dans des discours longs et lénifiants.

Matrix Resurrections : photo, Neil Patrick Harris« Je vous écoute même si en vrai, je parle quinze fois plus que vous »

L’avantage de cette trilogie en plus, c’est qu’elle savait mieux gérer le déferlement d’action spectaculaire avec les moments plus complexes composés de simples dialogues. Ici, Lana Wachowski délaisse l’action d’un côté (on en parlait au-dessus) et en plus elle et ses deux co-scénaristes (Aleksandar Hemon et David Mitchell) se perdent un peu de l’autre, en éternisant les indications de certains personnages. Car si on avait une seule joute très longue (un peu comme l’architecte de Reloaded), ça pourrait aller, mais il y en a énormément.

Ainsi, l’explication de l’agent Smith sur sa présence avant le combat entre l’équipe de Bugs et les exilés (dont le Mérovingien donc) est interminable et pas franchement transcendante. Tout le monologue de l’Analyste incarné par l’excellent Neil Patrick Harris lors de la scène du garage est d’une futilité déconcertante tant ce qu’il raconte aurait vu sa puissance décuplée en s’appuyant simplement par l’image. Même chose d’ailleurs pour le petit manuel « Récupérage de Trinity » devant un puits par Sati, qui semble tout droit sorti d’un Ocean’s Eleven du pauvre et non d’un Matrix.

Bref, on en oublie sûrement, mais c’est bien la preuve qu’il y en a beaucoup qui n’ont pas une très grande utilité.

Matrix Resurrections : photo, Priyanka Chopra Jonas« C’est bon, tu as tout compris parce que franchement je pouvais pas faire plus long ? »

Morpheus

Il était attendu par les fans ce retour de Morpheus, lui qui a tant marqué la trilogie originale sous les traits de Laurence Fishburne. Et en sachant que l’acteur ne revenait pas dans le rôle, mais qu’il était remplacé par Yahya Abdul-Mateen II, soit une version a priori plus jeune, il y avait beaucoup de mystères quant à la raison de ce changement à quasi-contresens de ce que vendait la promotion (tout le monde est plus vieux sauf Morpheus, en gros).

Et dès le début, on nous donne quelques réponses puisqu’en fait, Morpheus est un agent Smith, comme le laisse comprendre les premières minutes du film avant que Bugs lui ouvre les yeux avec la fameuse pilule rouge. De quoi venir renforcer le mythe autour du personnage, dont la version de Fishburne est devenue une icône de la rébellion dans le nouveau Zion (Io) ? Pas tant que ça.

Matrix Resurrections : photo, Yahya Abdul-Mateen IIUne arrivée plus que prometteuse

C’est un peu la grosse déception de ce nouveau Morpheus. Certes, il a du style, et sa première apparition face à Neo ouvre encore un peu plus les portes du bazar meta qui nous attend et de la nouvelle esthétique de Lana Wachowski (costume coloré…). Certes, cette histoire de modal en faisant une fusion des souvenirs de Neo, Smith et Morpheus lui-même est plus qu’intrigante et sa libération par Bugs lui offrant la possibilité de reprendre pleinement le flambeau unique de Morpheus était alléchante.

Sauf que très rapidement après, Morpheus devient un personnage fonction. Et si cela a du sens techniquement dans l’idée même du film, les personnages comprenant qu’ils ne sont que des pions vis-à-vis de leurs alliés ou ennemis et non des figures, cela empêche aussi au film de s’appuyer sur eux et donc ici Morpheus.

Matrix Resurrections : photo, Yahya Abdul-Mateen IILa seule séquence où on sait 

Ainsi, Morpheus, monstre de charisme dans la trilogie, se transforme en personnage adepte des blagues maladroites et à côté de la plaque. Et si l’idée d’en faire un hybride mécha-humain surnommé Synthiens – une partie des machines ayant pris le parti des humains -, et non plus un simple humain, n’est pas idiote, le film ne lui permet malheureusement pas d’avoir une vraie identité, passant de meneur des troupes à l’origine en suiveur en costume multicolore.

Ce n’est pas forcément grave puisque Matrix Resurrections a aussi pour objectif de se concentrer sur le duo Trinity-Neo et quasi-uniquement sur eux, mais ça laisse un petit goût amer d’avoir fait revenir le personnage dans une nouvelle version pour s’en servir si peu. Sacrée dégringolade.

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orteils

je pense que ce film ne prouve qu’une seule chose.
c’est Andy le réalisateur de talent et non Larry.

Tracteur tondeuse

Alors le scénario est vraiment bon avec ce parti pris sur les suites franchise hollywoodienne un gros fuckk à l’industrie, clairement fallait oser … Mais le problème du film c’est sa réalisation qui n’est pas bonne du tout , on voit bien que le deuxième soeur washowski manque c’était clairement elle qui était créative niveau action et puis sans woo ping génie absolument de la chorégraphie martial c’est fade et c’est dommage . Et puis cette photographie et juste à vomir tout fait faux c’est laid mais j’imagine que c’était voulu. Les dialogues sont malheureusement mal écrit et ultra pompeux . Reste une histoire d’amour et de renaissance qui fait l’affaire, ici ce n’est plus Trinity qui aide néo a ce réveiller c’est Néo qui aide Trinity pour au final ce compléter , comme si un homme mort et qui attend patiemment la mort de sa femme pour affronter ensemble ce qu’il y a de l’autre côté pour affronter l’inconnu un peu comme la fin de Lost . Bref 12/20 pour l’effort de briser les codes et la diatribe contre le système Hollywood

7 zone

En tout cas Keanu Reeves provoque toujours la résurrection de ma… Bref, vous avez compris ^^

Dreamchaser

Tout le problème de ce film ce n’est pas le fait qu’il porte un regard extrêmement critique sur la saga et sur les fans de celles-ci (Lana Wachowski a certainement le droit de faire ce constat mais si je ne le partage pas), c’est surtout qu’il prend une demi-heure pour nous expliquer que c’était une très mauvaise idée de l’avoir réalisé pour ensuite passer le reste du temps (2 heures…) pour nous faire une démonstration par l’exemple qu’une suite de Matrix 3 ne peut décidemment être qu’être très mauvaise, avec ses scènes d’action ennuyeuses, ses jeux d’acteurs pas franchement exceptionnels, une histoire d’amour très naïve, un scénario sans relief et très peu de nouvelles idées.
On est un peu dans une logique déterministe: le film est médiocre parce qu’on nous avait annoncé dès le début que ce n’était pas possible de faire une bonne suite et on nous l’annonce parce de toutes façons le film ne pouvait qu’être médiocre.
Mais n’y avait-il vraiment plus rien à dire sur la Matrice 20 ans après ?
La saison 4 de Westworld qui est clairement une suite spirituelle de la saga a me semble-t-il brillamment démontré le contraire.
Alors, on peut se poser la question, est-ce qu’en fait est-ce qu’en fait on ne serait pas simplement confronté à l’hubris de Lana qui a tourné la page, qui est exsangue en tant que réalisatrice, qui n’a plus rien à offrir (au moins sur ce type d’univers), mais qui n’a pour autant accepté de passé la main à quelqu’un d’autre qui aurait pu quelque chose de mieux que ce qu’elle a proposé…?

Brosdabid

J aim la richesse du propos dans ce film
Non je déconne

rientintinchti2

ha ha ha
ça me fait marrer quand je lis les moutons progressistes téléguides écrire le mot soeur pour tout et n’importe quoi. Z’êtes magnifiques d’hypocrisie et de fausse tolérance. De la façade tout ça

Faurefrc

Un long sketch en mode politique de la terre brûlée et pas hyper bien réalisé comparé aux 3 opus précédents, que ne viennent pas sauver les quelques saillies meta.

L’absence de l’autre sœur s’est clairement fait ressentir.
À se demander si elle n’a pas quitté le bateau en anticipant le futur naufrage.

Jayjay

Et dans 30 ans quand on aura oublié le contexte, suite méta en réaction au cinéma populaire dominant, on le considérera toujours comme un bon film ? J’en doute fortement en toute bonne foi.

Ghob_

Assez d’accord avec vous dans les grandes lignes.
Beaucoup n’ont pas compris le sens de ce dernier (et tardif) épisode, alors qu’il s’amuse constamment à déjouer les attentes du spectateur vis-à-vis de la trilogie initiale. Une position couillue mais sacrément bien tenue par L. Wachowski et qui m’a fait constamment fait demander pendant la scène « est-ce que j’ai raison d’en attendre quoi que ce soit ? » Oui, clairement, parce que ce film a des choses à dire, certes de façon très différente des 1ers opus, mais tout à fait assumée.
Et il y a quand même tout un tas d’excellentes idées dans la mise en scène de l’action, même si elle n’est plus au 1e plan, à l’image du climax, qui nous laisse à plusieurs reprises devant des images assez sidérantes, lorsqu’on y repense.
Donc pour ma part, même si je ne le mets pas au même niveau que les autres épisodes, j’ai beaucoup apprécié ce Resurrection, qui montre à quoi devrait ressembler tout bon blockbuster en 2022, qu’il soit conscient ou non de ce qu’il est (mais ici il l’est, non seulement, mais en plus de manière que plus que pertinente, grâce au scénar’).

Et au passage, Simon, non tu n’es pas seul : moi aussi je suis un amoureux de Jupiter’s Legacy, l’un des meilleurs films de SF grand public sorti ces dernières années, n’en déplaise aux rageux ! 🙂

Loozap

Les producteurs ont fait du très bon travail