De Orochi à 13 Assassins, retour sur 15 chanbara, les films de sabre japonais, à découvrir absolument.
Nous avions profité de la sortie de The Swordsman pour dresser un inventaire des meilleurs films de sabre coréens. La tentation d’embrayer sur leurs équivalents nippons était trop grande pour ne pas y céder. Pourtant, l’exercice est autrement plus délicat. Les films de sabre japonais sont généralement affiliés au chanbara, considéré comme un sous-genre martial du jidaigeki (le film historique japonais, couvrant jusqu’à la deuxième partie des années 1850) et se sont imposés comme une véritable institution, qui a non seulement fourni quelques-uns des plus grands chefs-d’oeuvre du 7e art, mais aussi influencé la cinéphile mondiale, de George Lucas à Sergio Leone, et bien plus encore.
Difficile de n’en retenir que 15 films, de toute évidence. Notre sélection n’a donc pas pour objectif de sacrer les meilleurs représentants du genre, mais plutôt de constituer un panorama, afin de laisser entrevoir la richesse de son histoire et la diversité des oeuvres qui le compose, tout en détaillant ses codes. On aimerait en faire un guide pour les néophytes curieux qui voudraient s’y aventurer à travers différentes périodes et différents metteurs en scène. Ainsi, que les fanatiques de Kurosawa se rassurent : si une seule de ses réalisations est présente, c’est pour mieux parcourir le mouvement qu’il a sublimé et présenter quinze cinéastes différents.
Forcément, il y aura d’illustres absents
Orochi
Sortie : 1925 – Durée : 1h14
Tsumasaburō Bandō dans ses oeuvres
Héritier, comme le jidaigeki, du théâtre traditionnel local, en particulier du kabuki (une forme de théâtre épique née pendant la période Edo), le chanbara ne s’est pas vraiment exporté en occident avant les années 1950. Pourtant, il a connu sa première heure de gloire dès les années 1920. On retrouve déjà dans ces films la plupart des codes du genre : des personnages de Samouraï ou de ronins vertueux, des sabres, des conflits diplomatiques et des défenses d’honneur.
Malheureusement, beaucoup d’entre eux sont désormais soit introuvables, soit incomplets, comme Le Journal de Voyage de Chuji (1927), long-métrage en trois parties qu’on pensait perdu, mais qui a refait surface en 1991. Ne subsiste cependant grosso modo qu’un peu plus d’une partie. Voilà qui fait d’Orochi, réalisé par le très prolifique Buntaro Futagawa (crédité sur plus de 60 films en un peu plus d’une dizaine d’années), une oeuvre particulièrement accessible, non seulement parce qu’elle est complète et donc projetable ici et là (elle a d’ailleurs déjà été éditée en DVD), mais aussi parce qu’elle est extrêmement divertissante.
L’effet d’accéléré qui distingue les métrages de cet âge, dû à une cadence d’image inférieure (souvent 19 images par secondes) restituée sur un projecteur aux normes (24 images par secondes), sied involontairement bien au style de combat du chanbara, style qui restera populaire des dizaines d’années supplémentaires. Les adversaires se toisent avant de s’affronter à peine quelques secondes, le temps que la plus fine lame trouve le chemin des organes vitaux du perdant, souvent sans même rencontrer son sabre. Transformé en guerrier supersonique grâce aux évolutions technologiques, notre samouraï n’en apparait que plus véloce.
En plus, Orochi anticipe les affrontements à grande échelle qui consacreront les bretteurs féodaux en occident (voir plus bas) dans une séquence finale très ambitieuse, employant des dizaines de figurants et mise en scène grâce à quelques mouvements d’appareil impressionnants, quand on connait les limites de l’époque, ainsi que des choix d’échelle audacieux. Une scène parfaite pour apprécier la performance de la vedette Tsumasaburō Bandō, au sommet de sa gloire au milieu des années 1920 et ici particulièrement agile.
Évidemment, son influence n’a jamais atteint celle des films de Kurosawa et consorts en occident. Et pourtant, toute la beauté du chanbara est déjà là. Outre les combats, il est question de failles dans des sociétés humaines qui se pâment pourtant d’une honnêteté à toute épreuve, d’un honneur indéfectible et d’une fidélité absolue, capables de ruiner la vie d’un homme. Déjà, l’organisation japonaise se craquèle, faute d’une humanité, d’une empathie que le film se chargera de retrouver. Des idées que ses successeurs se réapproprieront et déclineront au point de transformer l’industrie du cinéma populaire à tout jamais.
Les Sept samouraïs
Sortie : 1954 – Durée : 3h26
Comment sélectionner une seule oeuvre dans la monumentale filmographie d’Akira Kurosawa ? Bien qu’il ait touché à beaucoup de genres différents, il a doté le jidaigeki d’une belle partie de ses chefs-d’oeuvre, comme les indispensables Le Château de l’araignée, La Forteresse cachée, Yojimbo, Sanjuro, Kagemusha et Ran, qui auraient tous mérité une place dans ce dossier. D’autant que la plupart de ses premiers films de sabre, Yojimbo en particulier, ont influencé une armée d’artistes, japonais ou occidentaux, jusqu’à aujourd’hui.
Mais son long-métrage le plus important en termes de retentissement dans l’industrie japonaise et internationale reste sans aucun doute Les Sept samouraïs, qui l’a propulsé dans la légende quelques années à peine après son coup d’éclat Rashomon, lequel avait déjà remporté le Lion d’or à Venise. D’une durée qui court de 2h10 (pour la version remontée projetée à l’époque dans certaines salles étrangères) à 3h10 (en version intégrale disponible en vidéo), fruit d’un tournage très long et d’un travail de recherche colossal, il rencontra un grand succès et participa grandement à la résurgence du genre après la période d’occupation américaine, durant laquelle il était purement et simplement interdit.
En effet, au terme d’une période politique qui tâchait d’étouffer les contre-pouvoirs culturels locaux, la décennie qui suivait le traumatisme de la bombe, la fresque gigantesque de Kurosawa fut un véritable accomplissement artistique et social. D’ailleurs, elle fut conçue simultanément à Godzilla, l’autre grand pilier de la culture populaire japonaise contemporaine, qui évoque de toute évidence la catastrophe d’Hiroshima et Nagasaki par un moyen détourné. Comble de l’ironie : les deux films se sont inspirés, subtilement, du cinéma grand public américain.
Le cinéaste aurait très bien pu se lancer dans un grand récit naïf d’exaltation nationale. Mais il préfère s’intéresser à l’histoire de son pays et prolonger à sa manière sa tradition artistique, afin de révéler la vraie valeur de l’héroïsme. Cette histoire d’une bande de Ronin venue défendre des paysans contre des bandits est à l’image d’un duel au sabre réussi : d’une simplicité absolue au premier regard, mais d’une complexité stylistique et thématique impressionnante. Chaque plan est une nuance de plus dans son inspection d’une société japonaise de classe.
Difficile de résumer en quelques lignes ce que des cohortes de critiques, intellectuels et cinéphiles de tout poil ont décortiqué dans des livres, articles et conférences autrement plus complets que ce modeste tour opérateur du film de sabre nippon. Il faut le voir pour constater non seulement sa richesse et sa valeur de divertissement (quels combats !), mais aussi mesurer à quel point il constitue une matrice (il marque même les débuts très modestes de Tatsuya Nakadai). Promis, il vaut bien le sacrifice d’une soirée.
La légende de Musashi
Sortie : 1954 – Durée : 1h34
Toshirô Mifune est sans conteste l’un des comédiens les plus célèbres de l’histoire du cinéma japonais et de l’histoire du cinéma tout court. Il doit sa popularité, en grande partie, au genre du chanbara, dont il a façonné, de son regard sombre, certains des archétypes. Véritable muse de Kurosawa, qui l’a d’ailleurs parfois engagé en dépit du bon sens (Vivre dans la peur et son vieillissement critiquable), il est le plus marquant des 7 Samourais. Depuis ce coup d’éclat, ainsi que Yojimbo et Sanjuro, il incarne et symbolise le bretteur en marge du Bushido, un poil rebelle, mais d’une noblesse d’âme à toute épreuve, bien supérieure à celle de ses collègues qui appliquent le code à la lettre.
Dans la trilogie de Musashi, dont le premier opus, La légende de Musashi, est sorti quelques mois à peine après Les Sept Samourais, il va jusqu’à chroniquer le parcours initiatique et moral d’un héros du genre. Inspirés du roman d’Eiji Yoshikawa, retraçant lui-même l’itinéraire du roi des duels du Japon féodal, Miyamoto Musashi, les films racontent un apprentissage.
Déserteur tête brulée dans le premier, il apprend à transformer sa fougue en force, le consentement et la valeur de la vie. Il apprend à inventer le héros à la Mifune dans le deuxième, puis le Samouraï ultime dans le troisième. Et le comédien de figurer à la seule force de son jeu tout en retenue les tourments intérieurs de son passionnant personnage, en quête de principes. En cours de route, il s’aperçoit que la force à laquelle il aspire exige des sacrifices – celui de l’amour, de la gloire – jusqu’à la splendide scène finale de La voie de la lumière, duel au découpage quasi expérimental sur une plage au soleil couchant.
La trilogie met largement à l’honneur son talent, en plus de décortiquer subtilement, grâce à quelques plans majestueux en couleur (certains matte paintings sont magnifiques) et dans un format 1:1,37 archimaîtrisé l’essence de ses personnages fétiches. Si Mifune est aussi à l’aise dans le chanbara et plus particulièrement dans le Jidaigeki, c’est aussi parce qu’il incarne leur sujet préféré : le véritable sens de la droiture, ou comment trouver une place morale dans la société.
Les trois volumes de la saga se sont aussi glissés dans cette sélection parce qu’ils sont encore très accessibles. Carlotta vient de les éditer en Blu-ray dans un superbe coffret que tout Mifune-zouz se doit d’avoir dans sa vidéothèque.
Harakiri
Sortie : 1962 – Durée : 2h13
Se faire Harakiri d’un coup de sabre dans le dos
Le Hara-kiri, ou seppuku, est une forme de suicide rituel à jamais affiliée au code d’honneur des Samouraïs. Traditionnellement, tel qu’il apparait dans la culture populaire japonaise, c’est un recours en cas de faute grave, afin d’expier des péchés, ou un moyen d’alerter sur une mauvaise décision du maître sans perdre sa dignité. C’est l’une des manifestations extrêmes du bushido, associant quête perpétuelle de droiture morale (donc de fidélité aveugle) et inéluctabilité de la mort. Autant dire que le jidaigeki ne s’est pas fait prier pour en faire un moteur narratif et symbolique important.
Pour Masaki Kobayashi, immense cinéaste alors encore auréolé de la réputation de sa trilogie La Condition de l’homme, c’est même l’essence du genre et de l’absurdité qu’il met en scène. Le voilà qui s’en empare dans l’un des chefs-d’oeuvre les plus définitifs du chanbara… et de l’histoire du cinéma tout court. Car cette histoire de Samouraïs sans le sou, usant du protocole par lequel même on les contraint pour survivre, se teint, alors que la narration à tiroir se déplie, d’une universalité assez sidérante.
Il faut dire que le film revendique son ascèse et pourtant, il contient tout. Ces cadres méthodiques, ces décors géométriques respirant la fausse modestie et la noblesse d’apparat abritent en réalité un système martial loin d’être aussi vertueux qu’il le prétend. Et il n’appartient qu’à un Tatsuya Nakadai impérial (sans mauvais jeu de mots) en Ronin mystérieux et résigné, de s’immiscer dans ses failles pour exposer ses vicissitudes. Le point culminant de sa démonstration étant un duel absolument légendaire dans une plaine balayée par le vent, peut-être l’un des plus somptueux de tous ceux compris dans cette sélection.
L’une de ses armes de prédilection ? Le CinémaScope, qui transforme l’architecture typique des grandes maisons de la période en geôles avant de lui opposer une liberté panoramique où la véritable grandeur d’âme peut triompher. L’exercice de mise en scène est moins vaillamment virtuose que celui du compère Kurosawa, mais il subjugue tout autant, dès lors qu’il fait mine d’embrasser le minimalisme des rituels du Bushido pour mieux appuyer ses contradictions.
Plus tard, Kobayashi explicitera encore ces thèmes dans son autre chef-d’oeuvre, Rébellion. Mais la précision remarquable d’Harakiri n’est pas uniquement à mettre sur le compte de sa réalisation. Ses dialogues ciselés sont issus de la plume d’une autre grande figure de la période, plus discrète, mais pas moins importante : Shinobu Hashimoto, scénariste de Rashomon, Vivre, Les 7 Samouraïs, Le trône sanglant, La Forteresse cachée, Les salauds dorment en paix, Le Sabre du mal ou Rébellion. La radiographie du Bushido, c’est lui, aussi.
Le Grand attentat
Sortie : 1964 – Durée : 1h58
Peut-on vraiment qualifier de chanbara un film qui fait prévaloir les intrigues politiques sur la voie du sabre ? La question se pose pour beaucoup des oeuvres citées ici et ailleurs, mais le cas du Grand attentat de Eiichi Kudô est plus particulier encore. En effet, non seulement il s’intéresse aux circonstances de l’attentat en question, ainsi qu’aux trajectoires personnelles de ceux qui projettent de le commettre, mais il adopte un style de mise en scène très différent de celui resté imprimé dans l’imaginaire collectif.
Puisqu’il sonde à la fois une large échelle sociale et les affects de ses protagonistes lésés, le cinéaste alterne les plans larges et les plans plus rapprochés, étonnamment cadrés à l’épaule, ou tout du moins dans le vif de l’action. Celle-ci n’est dès lors plus un moteur, mais une conséquence : les deux grandes scènes impliquant des sabres qui encadrent le récit se transforment en pugilats sauvages, détruisant dans leur sillage des lieux de vie. Les bastons (impressionnantes !) ne sont plus des duels pour l’honneur, mais des explosions de la tension sociale.
S’intéressant de très près à ses différents personnages, au risque de perdre le spectateur peu attentif, il traite de sujets tels que l’apolitisme ou même la torture lors d’une séquence glaçante. Encore une fois, nul sabreur habile ici. Seuls subsistent des hommes dispersés sur un échiquier qui broie à tour de bras, à commencer par le héros, si toutefois on peut l’appeler ainsi, victime collatérale embourbée malgré elle dans une entreprise mortifère.
Jidaigeki ou chanbara ? Peu importe finalement, puisque le cinéma japonais des années 1950 et 1960 s’intéresse beaucoup aux mécaniques du pouvoir, que celles-ci impliquent des combats ou non. Les amateurs de castagne aiguisée et les passionnés de complots politiques y trouveront leur compte. Le Grand Attentat, relativement peu connu par chez nous, plaira davantage aux seconds.
Le sabre du mal
Sortie : 1966 – Durée : 2h00
Un vieillard atteint la fin de son pèlerinage. Une fois seul, il prie pour « s’éteindre vite » et soulager sa fille de sa présence sur cette terre. Un bretteur tout de noir vétu s’approche derrière lui… puis exauce ses voeux. L’introduction du Sabre du mal donne le ton. Déjà au coeur des années 1960, la figure du Ronin s’assombrit. Le personnage de Ryunosuke, campé par Tatsuya Nakadai, est un antihéros au sens premier du terme, guidé par un cynisme pur et incapable d’empathie. Et le spectateur médusé, rompu aux histoires de rédemption, se rend compte qu’il ne va pas se racheter pour autant, mais plutôt sombrer dans la folie.
L’année précédente, dans Samouraï, le réalisateur Kihachi Okamoto se rangeait du côté des conspirateurs, réduisant les Samouraïs à une milice avide de coups d’État, elle-même rongée par les luttes intestines. Et la tentative de meurtre au coeur du scénario se soldait par un pathétique massacre enneigé, bien loin de la glorieuse bataille héroïque. Mais dans Le Sabre du Mal, grâce au texte de Hashimoto et au roman dont il est adapté, il passe à l’étape supérieure.
Ryunosuke est l’incarnation d’un égoïsme pur, qui ne s’engage jamais vraiment auprès de ses semblables, pour la plupart des individualistes à peine plus respectables. Impression partagée par la mise en scène, pourtant splendide, qui insiste pour dépouiller sa lame et ses techniques de combat de toute noblesse. Lorsqu’apparait, au détour d’une séquence mémorable une fois de plus dans la neige, Toshirô Mifune, c’est afin de complètement pervertir la rivalité chevaleresque traditionnellement affiliée à cet ordre et dont la muse de Kurosawa est devenue un symbole. Fantôme meurtrier, il motive une quête de puissance aveugle, complètement détachée d’une quelconque valeur de la vie humaine.
A cette période, le chanbara sait faire preuve d’une profonde noirceur, quelques années après le Macbeth brumeux Le Château de l’araignée. Mais ce Sabre du mal atteint un niveau de radicalité assez inédit, évoquant frontalement le viol et culminant dans un final à la lisière du fantastique, où l’antihéros finit par tailler en pièce sa propre caste, voire carrément la mort elle-même. Une rage qui ne trouvera aucun soulagement, puisque le dernier plan, dérogeant à la règle du happy end, la suspend pour toujours.
Le titre se charge d’expliciter la chose : le mal qui habite Ryunosuke s’étend aux samouraïs en général, puisqu’il trouve son origine dans la voie du sabre, méthodologie de la violence dont l’issue est forcément nihiliste. Encore aujourd’hui, le film d’Okatomo reste un sommet de noirceur.
Goyôkin
Sortie : 1969 – Durée : 2h04
Deux extrémités de l’échelle sociale, reliées par le froid qui engourdit leurs doigts
Impossible de ne pas citer Hideo Gosha, cinéaste resté un peu dans l’ombre de ses illustres collègues en occident. Bien qu’il ne bénéficie pas de l’aura prestigieuse de Kurosawa ou de la réputation d’artisan virtuose de Misumi chez nous, il a marqué le genre, ne serait-ce que grâce à son premier long-métrage, adapté de sa propre série, devenue alors extrêmement populaire.
D’une perfection formelle assez ahurissante pour un premier film de cinéma, l’excellent Trois Samouraïs hors-la-loi révèle d’emblée, en 1964, ses préoccupations : avec comme fil rouge le paradoxe de son titre (le samouraï est par définition un soldat obéissant à toute une ribambelle de lois) et sans sacrifier le travail de composition de ses pairs, il préfère aux déclarations d’honneur un versant plus social. Il s’intéresse particulièrement à la figure du Ronin, personnage en dehors du cadre politique du Shogunat, représentant une sorte de prolétariat féodal. Ses protagonistes sont souvent multiples, incarnant plusieurs facettes du petit peuple méprisé par les nobles.
Les trois samouraïs, hors la loi
Un angle qu’il déclinera dans Le sabre de la bête, avec son bourreau trahi par son propre clan, dans Samouraï sans honneur (le titre en dit long) et qu’il sublime complètement dans l’immense Goyôkin. La trame est toujours issue du même modèle : on y suit un ex-Samouraï repentant, qui va devoir se retourner contre ses maîtres pour défendre la population à laquelle il appartient désormais. Et une fois de plus, le fameux code d’honneur des samouraïs restés fidèles au chambellan est surtout un savant stratagème pour étouffer sa cupidité, ici suscitée par un trésor échoué sur une plage gelée.
Progressivement, le cinéaste bat en brèche la mystique qui entoure les samouraïs. L’idée très poétique d’un village « enlevé par les Dieux », ébauchée par une ouverture quasi surréaliste, laisse place à la terrible vérité : les autochtones ont été assassinés de sang-froid, et les samouraïs ne sont pas des êtres divins, mais bien des chiens de garde d’un système pourri. Pour briser cette malédiction très pragmatique, il faut un Ronin ayant passé plusieurs années en dehors du système corrompu et capable de s’émanciper de la traditionnelle romance bourgeoise pour combattre aux côtés de personnages a priori peu recommandables (un opportuniste et une escroc), mais toujours plus honorables que leurs ennemis.
Vendre le sabre ou le brandir contre les puissants ?
Un affrontement qui culmine dans une dernière demi-heure géniale, renvoyant désormais forcément aux westerns enneigés italiens, puis dans une ultime scène radicale, confrontation de regards bouleversante à l’arrière-plan de « l’enterrement des samouraïs ». Le temps d’un plan anormalement long, le point est fait sur les villageois restés en retrait. C’est leur histoire désormais. Ironique, n’est-ce pas ? Certains des meilleurs chanbara désacralisent complètement leurs héros.
Blind woman’s curse
Sortie : 1970 – Durée : 1h25
The girl with the dragon tatoo
Qui dit film de sabre japonais ne dit pas forcément Jidaigeki. La mythologie qui s’est développée autour des yakuza contemporains leur prêtant une appétence pour le code d’honneur et certains usages des Samouraïs (souvent à raison), beaucoup de Yakuza-eiga s’enrichissent des codes du chanbara. Une porosité entre le traitement des sujets qui fut largement caricaturée en son temps, y compris par l’imaginaire collectif occidental, mais qui fait aussi la beauté ultra-violente et parfois la subtilité du film de mafieux nippon.
Certains ont poussé le mélange des genres dans des extrémités assez étonnantes, comme Chûsei Sone et Teruo Ishii au début des années 1970. L’un est un habitué du pink film (le cinéma érotique), célèbre, entre autres, pour la franchise des Angel Guts. L’autre a commencé dans la science-fiction et le film noir, puis s’est façonné une filmographie aussi impressionnante que bigarrée, composée de quelques films de Yakuza devenus cultes.
Ensemble, le second s’occupant de la réalisation, ils écrivent pour le compte de la Nikkatsu un étrange précipité de leurs carrières respectives, un chanbara de vengeance mettant en scène d’antiques clans Yakuza… le tout mâtiné de fantastique mystique et d’érotisme !
Blind woman’s curse est relativement peu connu en comparaison des classiques intemporels de cette liste, mais il représente bien la versatilité d’un genre qu’il serait dommage de restreindre aux grandes fables sur l’honneur. Dès ses splendides premiers plans, où Meiko Kaji énonce ses intentions face caméra, mettant quelques secondes le spectateur à la place de son ennemi, la sombre étrangeté de cet univers à la croisée des esthétiques imprime la rétine.
Plus tard, les enjeux à priori simples vont devenir nébuleux, tandis que la mise en scène va en permanence occulter ou encadrer les séquences d’action hypnotisantes entre deux apparitions presque surnaturelles (le chat noir, le bossu). Et ce jusqu’à un final mémorable dans la neige, où les matte-painting de l’arrière-plan confirment la dimension quasi fantasmagorique de l’ensemble, aux antipodes de la rigueur de certains auteurs. Une curiosité par ailleurs trouvable en Blu-ray en France chez Bach films.
Baby cart : le sabre de la vengeance
Sortie : 1972 – Durée : 1h21
Comme Lady Snowblood l’année d’après, Baby Cart et ses suites sont parmi les glorieuses figures de proue du cinéma d’exploitation des années 1970. Un cinéma parfois considéré moins noble que les grandes fresques des années 1960, plus mercantile aussi, mais en réalité d’une inventivité, d’une violence et d’une beauté sauvage inestimables.
Kenji Misumi en est le plus célèbre représentant. Véritable stakhanoviste de la lame affutée, artisan chevronné d’un cinéma populaire, généreux et exigeant, il a constellé les années 1960 et 1970 de chanbara passés à la postérité, tels que la trilogie Satan’s Sword, Tuer, La lame diabolique et Les derniers Samouraïs, en plus bien entendu de lancer en tant que metteur en scène les deux franchises les plus célèbres du genre : Zatoichi et Baby Cart.
Une influence évidente pour Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin
Bien que pas mal de connaisseurs voient en le deuxième opus, L’enfant-massacre, le sommet de la saga (à juste titre), il faut préciser premièrement que Le sabre de la vengeance est tout sauf un apéritif et deuxièmement que les six volets qui la constituent sont tous a minima d’excellents films d’action, y compris ceux qui ne sont pas réalisés par Misumi, à savoir L’âme d’un père, le coeur d’un fils et Le paradis blanc de l’enfer. Tomisaburo Wakayama y joue l’ancien bourreau du Shogun accompagné de son très jeune fils, sillonnant le pays et affrontant les clans, traitres et conspirateurs qui le peuplent.
Un postulat directement hérité du génial manga de Kazuo Koito et Goseki Kojima, connu sous le titre Lone Wolf & Cub (littéralement : le loup solitaire et son petit), lui-même une référence et désormais édité en France chez Panini, à partir duquel le cinéaste se lance dans une ribambelle d’expérimentations formelles. Pour le dire simplement, les affrontements sont absolument sublimes, grâce à une mise en scène qui prend soin de souligner la précision de chaque coup, quitte parfois à le montrer plusieurs fois, sans pour autant déroger à la règle : les contacts sont brefs, intenses et sanglants. Misumi étudie la suspension du geste de violence, apportant logiquement une plus-value cinématographique au récit.
De l’utilisation de la couleur
Les instants de bravoure sont si spectaculaires qu’ils furent compilés dans un long-métrage américain signé Robert Houston et intitulé Shogun Assassin. Par la suite, d’autres fameux manga se revendiquant du chanbara ont été adaptés, et ce jusqu’à très récemment puisque Kenshin le Vagabond a eu droit à une trilogie fort sympathique, elle aussi peuplée de personnages haut en couleur et composée de moult affrontements dantesques. Mais ils sont peu à avoir effleuré la puissance des Baby Cart.
LADY SNOWBLOOD
Sortie : 1973 – Durée : 1h37
Quelques années à peine après Blind Woman’s Curse, Meiko Kaji devient officiellement la plus fameuse des sabreuses dans le légendaire Lady Snowblood. L’adaptation du manga est l’un des plus célèbres chanbara ultra-violents à avoir éclaboussé les années 1970 et il doit beaucoup à son interprète. A l’époque surtout connue pour le Woman in prison La Femme scorpion, un autre pur film d’exploitation, où elle se vengeait déjà avec une rage inouïe, la comédienne est le moteur du film, tel qu’il fut pensé par le producteur Kikumaru Okuda. Et elle ne retient pas ses coups.
Jets de sang en cascades, longs plans maculés de meurtres au katana, bouillonnements pourpres dans les mares… Le long-métrage est à la hauteur de son titre. Ils seront nombreux à comparer la véhémence de ce cinéma populaire japonais au western spaghetti qui fait au même moment les grandes heures de l’industrie italienne. Un juste retour des choses, étant donné que Sergio Leone s’est largement inspiré du Garde du corps de Kurosawa lors de la production de Pour une poignée de dollars. Il est vrai que Lady Snowblood et consorts vont à peu près aussi loin dans la stylisation de la violence, souvent perpétrée par un protagoniste au lourd passé.
Cela n’empêche pas pour autant Toshiya Fujita et son scénariste Norio Osada de donner une vraie gravité au récit. Comme souvent dans le genre, la démonstration de style n’occulte pas les sombres conséquences de la voie du sabre, subie ou choisie. L’itinéraire vengeur de Yuki Maemura est avant tout mortifère, voire carrément tragique. La beauté du meurtre n’est jamais gratuite. Une ambiguïté qui donne aussi son aura menaçante à l’anti-héroïne.
La figure de cette guerrière vengeresse taillant dans le lard de ses ennemis à coups de sabre est devenue un totem de la culture populaire, qui s’est d’ailleurs épanouie dans une suite du même réalisateur l’année d’après, toujours avec Meiko Kaji, ainsi que dans une autre adaptation du manga sortie en 2001. Peu étonnant que le gourou des fétichistes américains Quentin Tarantino lui ait déclamé sa flamme dans un hommage assumé, reprenant aussi bien ses décors que sa structure : un certain Kill Bill.
Le Samourai et le Shogun
Sortie : 1978 – Durée : 2h10
À la fin des années 1970, le genre perd de son importance, tant et si bien que très peu de chanbara marqueront durablement les années 1980, à l’exception des monumentales fresques en couleurs Kagemusha, l’ombre du guerrier et Ran de Kurosawa, pour peu qu’on puisse le considérer comme tel. Deux ans avant le premier, Le Samourai et le Shogun assume lui aussi une perspective historique. Il relate la rivalité entre les fils de Tokugawa Hidetada, le shogun en question.
Comme Kurosawa, le célèbre cinéaste Kinji Fukasaku prend du recul et s’intéresse non pas à des trajectoires individuelles ou à des conflits de clan, mais à l’histoire nationale et au shogunat. Lui qui pour le coup sera une figure très importante et influente de cette période, n’est pas un spécialiste du genre, comme pouvaient l’être Misumi ou Gosha. À l’époque, il a déjà une filmographie bien fournie, composée notamment de la saga des Combat sans code d’honneur, des Yakuza-eiga. La même année, il sort le délire kitsch de science-fiction Les Évadés de l’espace. C’est ce qui s’appelle être versatile.
La classe en toutes circonstances
Pourtant, il met en scène Le Samouraï et le Shogun avec une grande rigueur et avec un casting à la fois hérité de l’âge d’or du film de sabre et caractéristique de l’industrie en train de se transformer. Toshirô Mifune et Tetsurô Tanba y trouvent de petits rôles très respectueux, où ils côtoient Kinnosuke Nakamura, vedette d’un autre judai-geki très critique envers le code d’honneur, Contes cruels du Bushido (une compilation des horreurs qu’il a entrainées) et autre interprète de Musashi. Mais on y retrouve aussi le fringant Hiroki Matsukata, futur Kuranaga de 13 Assassins, ainsi bien sûr que l’acteur fétiche de Fukusatsu, le grand Sonny Chiba.
Toutefois, il ne s’agit pas seulement d’un ultime coup d’éclat, voire d’un film de transition. C’est aussi une sorte de réflexion passionnante sur le rapport entretenu par le cinéma populaire japonais avec son histoire. En effet, à la fin, après une effusion de violence, une voix off prend le relai, admettant que le scénario ne s’appuie sur rien de concret, mais soulignant que les dirigeants de l’époque effaçaient souvent les évènements compromettants des annales de l’Histoire (« C’est un rêve »), laissant à la culture dont le long-métrage se revendique la tâche de façonner son propre imaginaire.
Ninja Scroll
Sortie : 1993 – Durée : 1h34
Place à l’animation avec une production des années 1990 pur jus. La période n’a pas seulement légué de grandes histoires de science-fiction, mais aussi quelques films de sabre baignant le plus souvent dans la fantasy. Ninja Scroll n’a donc pas grand-chose à voir avec les chroniques du Bushido et les fables morales ou sociales auxquelles on associe souvent ce type de fiction. Il ne partage pas non plus énormément avec les aventures martiales orchestrées par Misumi, si ce n’est un goût pour les jets torrents de sang.
C’est plutôt un gigantesque réservoir à fantasmes mythologiques, épiques et sexuels, par ailleurs très, très masculins (le personnage féminin tire son pouvoir principal de sa sexualité). Y naviguent des êtres surnaturels maudits ou maléfiques, s’affrontant dans une ambiance hyper-sombre. Les personnages de Jubei Kibagami et Kagero se débattent avec des démons impliqués dans un vaste complot politique, contraints par un agent du gouvernement très habile pour son âge.
Il est tentant de se désintéresser de cette intrigue nébuleuse pour se concentrer sur les scènes d’action, bluffantes. Rien d’étonnant : figé par le manga, mis en mouvement par le cinéma, l’art du sabre est fait pour l’animation japonaise d’alors, faite d’images fixes et de fulgurances qui vont jusqu’à déformer les lignes de la réalité. Ou comment figurer une pratique martiale en deux temps.
Bien entendu, Yoshiaki Kawajiri (derrière la mise en scène, le scénario, certains storyboard et le character design) s’amuse tout autant avec les ninjas et leurs shurikens supersoniques, bien aidé par le studio Madhouse, le directeur artistique Hiromasa Ogura, au même poste deux ans plus tard sur Ghost in the Shell, et plein d’animateurs talentueux, dont un certain Rintaro (il le lui rendra bien sur Metropolis). Le film inspirera une série animée, des comics et deux projets restés à ce jour inaboutis : une suite officielle et un remake américain (oui), développé par Warner en 2008 (oui oui), en collaboration avec Appian Way, la boite de production de Leonardo DiCaprio (oui oui oui).
Après la pluie
Sortie : 1999 – Durée : 1h32
Les amateurs du genre ont tendance à regretter que Kurosawa soit souvent vu comme son seul ambassadeur en occident, d’où la décision de ne retenir qu’un seul film par réalisateur dans cet article. Pourtant, son style continue à infuser la culture japonaise et son ombre majestueuse plane encore sur le cinéma d’auteur local. En témoigne le superbe Après la pluie, sorti en 2000 chez nous, comme pour faire débuter le millénaire sous le signe du maître.
Akira Kurosawa est décédé en septembre 1998 et très vite la cinéphilie, puis la culture populaire au sens large se sont emparées de son oeuvre pour la faire vivre. En l’occurrence, ici, ce sont la Kurosawa Production company et son assistant-réalisateur Takashi Koizumi qui ont décidé de lui rendre un hommage immédiat, en adaptant l’un de ses scénarios. Koizumi l’avait accompagné sur ses derniers films, dont les fresques épiques et politiques Kagemusha et Ran, et il n’a fait qu’organiser une réunion de ses anciens collaborateurs.
Akira Terao (vu dans Ran et Dreams) hérite du rôle principal, secondé d’autres habitués de la dernière partie de sa carrière, comme Hisashi Igawa, Hidetaka Yoshioka, Tatsuya Nakadai (le Hanbei du Garde du Corps quand même) et bien d’autres, sans compter Shiro Mifune, fils de Toshirô. Shôji Ueda (Ran, Dreams, Rhapsody en août et cie) revient à la photographie, Masaru Satō (la BO des Sept Samourai, excusez du peu) à la musique, pour sa dernière composition puisqu’il est mort avant la sortie du film. Quant à la direction artistique, elle est (co)assurée par l’un de ses techniciens les plus fidèles, Teruyo Nogami.
Du beau monde, donc, au service d’un long-métrage tout entier dévoué à reconvoquer la subtile douceur des grands classiques de Kurosawa. Les mauvaises langues lui ont reproché une mise en scène trop respectueuse pour vraiment marcher dans les pas du cinéaste. Mais Koizumi parvient cependant à attraper grâce à sa caméra quelques scènes sublimes de simplicité, coincées entre les jeux de pouvoir intimes et politiques. À l’instar de cette séquence de fête, cadrée de manière à capter ces éclairs de cohésion sociale, sur laquelle il s’attarde juste assez pour toucher.
Un repas au chaud en attendant que la pluie passe
Derrière son film, où les duels au sabre représentent surtout des failles dans cette tranquillité, il y a une volonté d’inviter d’autres artistes à faire perdurer les écrits, le style et l’humanité de Kurosawa. Et il a été entendu : dès 2000, plusieurs oeuvres posthumes sont sorties, comme Dora-heita et Umi wa miteita. En plus de l’adaptation de ses écrits, son oeuvre et ses influences ont voyagé à travers les médias et les arts, au Japon et en occident (Ghost of Tsushima en est l’un des exemples récents les plus célèbres).
Moins un chant du signe qu’un rappel émouvant de son poids dans le monde du cinéma, d’hier et d’aujourd’hui, Après la pluie fait le pont entre le chanbara des années 1950 et 1960 et un cinéma japonais contemporain qui sait être tout aussi virtuose.
Zatōichi
Sortie : 2003 – Durée : 1h55
Zatōichi, c’est avec Godzilla l’une des sagas les plus longues de l’histoire du cinéma japonais, voire de l’histoire du cinéma tout court. Avec grosso modo 28 longs-métrages au compteur, en fonction de la comptabilisation des remakes et autres déclinaisons, plus une série télévisée et même une pièce codirigée par Takashi Miike, c’est une oeuvre-somme articulée autour du personnage éponyme, devenu archétype : un masseur aveugle qui cache une incomparable dextérité au sabre.
Le premier film, petite merveille d’icônisation, fut réalisé en 1962 par Kenji Misumi et reste probablement la meilleure introduction à la franchise. Son héros tragique est aux antipodes de certaines machines à tuer citées plus haut, assumant sa cécité et résilié à endurer la cruauté du monde féodal jusqu’à ce que son intégrité ou celle des autres soit menacée. Dans cette aventure inaugurale se dresse un parallèle avec un samouraï atteint de tuberculose, lui aussi rejeté par une société qui instrumentalise les différents codes d’honneur pour faire régner la loi du plus fort… et surtout du plus puissant.
Les meilleurs films Zatōichi sont donc moins de redoutables déferlements d’action que des fables dramatiques où le protagoniste fait office de révélateur martial. Toutefois, avec le temps, sa popularité l’a amené à devenir un symbole du divertissement japonais, puis donc à croiser la route d’autres célèbres bretteurs, comme Yojimbo, sous la supervision d’Okamoto, ou même à faire le pont avec le wu xia pian, le pendant chinois du film de sabre. En effet, en 1971, il rencontrait Wang Kang d’Un seul bras les tua tous.
Mais beaucoup d’Occidentaux l’ont connu avec la version de Takeshi Kitano, immense présentateur, humoriste et cinéaste qui, pour son premier vrai chanbara, lui a rendu un hommage sincère. Elle retrouve aussi bien la noblesse et la mise en scène des classiques flamboyants du genre que la violence débridée de Misumi et consorts. Très appréciée par la presse dans le monde entier, elle assume une approche contemporaine des combats au sabre, avec des jets de sang numériques tout aussi artificiels que les geysers des années 1970.
Quelques chorégraphies très réussies
Ils sont plusieurs cinéastes à s’être essayés exceptionnellement au film de samouraï, ouvrant une très bonne porte d’entrée vers le jidaigeki pour leur public. Shin’ya Tsukamoto a notamment laissé tomber ses obsessions urbaines en 2018 pour le très particulier Killing. Quant à Kitano, il pourrait potentiellement clore sa carrière sur un chanbara, l’ultra attendu Kubi, présenté au festival de Cannes 2023.
13 Assassins
Sortie : 2010 – Durée : 2h06
Le chanbara n’est pas imperméable aux remakes, loin de là. Orochi, classique absolu et premier film de cette liste, est par exemple plus ou moins passé à la moulinette en 1966 avec La Trahison de Tokuzô Tanaka. Même Hara-Kiri, désormais un véritable totem de la cinéphilie internationale, a été refait en 2011, avec la vedette du kabuki Ebizo Ichikawa et Eita. Qui a eu l’honneur et la lourde tâche de succéder au grand Kobayashi ? Étrangement, le prince du V-Cinema crapoteux, le roi du chaos cinématographique, Takashi Miike. Le réalisateur d’Audition s’est pourtant considérablement assagi pour l’occasion, épousant la droiture de la mise en scène originale… et limitant l’intérêt du remake.
Un classicisme respectueux absent de sa réadaptation des 13 tueurs, film Tōei de 1963 relatant l’assassinat d’un dignitaire gênant, un poil moins réputé qu’Hara-Kiri. Pour Miike, c’est l’occasion de prendre la tête d’une production d’envergure (à son échelle) sous la houlette du producteur Jeremy Thomas et de rendre hommage à toute une tradition… sans déroger à la générosité qui le caractérise. Véritable orgie de codes, divertissement formidable et porte d’entrée idéale pour découvrir le genre, 13 Assassins est sans conteste l’un de ses meilleurs films.
Vous vouliez des duels ? Vous allez être servis.
Le cinéaste et son scénariste Daisuke Tengan imaginent un ordre diminué, réduit à se battre au sein même du Shogunat. Ses 13 assassins ne sont pas 13 samouraïs : guerriers, Ronins ou chasseurs rencontrés en cours de route, ils sont les représentants imparfaits d’un monde en déclin, en proie à ses propres maux. Un monde à la jonction entre les contradictions morales que ne cessent d’explorer les classiques du genre… et de son gout pour les excès en tous genres.
La première heure compte bien quelques dérapages d’autant plus flagrants qu’ils font tache dans le carcan traditionnel que le metteur en scène s’efforce de respecter tant bien que mal. Mais ce sont bien évidemment les trois quarts d’heure finaux qui font le génie du long-métrage. C’est une gigantesque bataille, excroissance azimutée et assumée des Sept Samourais, réponse argumentée à la question suivante : et si Kurosawa s’était enfoncé cinq lignes de cocaïne dans les narines avant de tourner ses scènes d’action ? La séquence fut tournée en deux semaines sans pause, au lieu des trois semaines prévues, la faute à la météo. Et le résultat, d’une inventivité impressionnante, force le respect.
Plus globalement, la carrière contemporaine de Takashi Miike récapitule très bien les différentes approches des héritiers du genre, entre respect prostré, adaptation à des thématiques plus modernes ou exploitation ravie d’un bac à sable rempli d’archétypes, de jets de sang et de protocoles. D’ailleurs, plusieurs années plus tard, le cinéaste a présenté à Cannes son très bon Blade of the Immortal, s’emparant d’un autre pan de ce mouvement culturel parmi les plus beaux à s’être imprimé sur pellicule.
Un grand merci à Benjamin Gaessler et à Anne-Lise Magnien de chez Wild Side.
Je vous conseille samurai fiction un traitement très moderne et très funky.
Excellente proposition, mais Yojimbo de Akira Kurosawa aurait du faire parti de cette belle sélection, au moins pour la particularité qu’il partage avec Pour une poignée de dollars
Le Samouraï du Crépuscule non?
Excellente sélection, cependant le ’13 Assassins’ de Miike risque de froisser les puristes, qui ne vous en tiendront pas rigueur en voyant qu’Eiichi Kudo a déjà une entrée dans ce top 15. Dans le remaking, j’aurais bien vu ‘Unforgiven’ de Lee Sang-il, qui offre une plus grande profondeur en situant son intrigue au début de l’ère Meiji lorsque les samouraïs ne pouvaient plus porter le chignon ni le sabre (et les Aïnous qui sont les grands invisibles du cinéma japonais).
‘Blind Woman’s Curse’ peut être dérangeant tellement il est à la croisée des genres, mi-épouvante/fantastique, mi-yakuza eiga. Tout le monde n’accrochera pas.
Article très intéressant, je suis justement dans un cycle films de samouraï et certains étaient passés sous mon radar.
Excellente sélection !
J’ai acheté hara-kiri en bleu ray a cause du vidéo club de Ari aster , j’espère que c’est bien sinon je vous dénonce et Ari aster aussi je le dénonce ooookkk ???
Tres bon article , je retrouve pas mal de films que je possède
Globalement vôtre liste est satisfaisante cependant « 13 ASSASSINS » est bien inférieur à l’original et « BLIND WOMAN CURSE » est anecdotique.
Hara-kiri ! Cet incroyable chef d’œuvre qui met en scène ce sempiternel code d’honneur japonais pour mieux le sabrer.
Une des plus belle naration que j’ai vu.