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Thirst : le meilleur film de vampire que vous n’avez pas vu

Par Clément Costa
17 mai 2022
MAJ : 21 mai 2024
Thirst, ceci est mon sang... : photo

Souvent considéré comme un des films les plus mal-aimés de son auteur, Thirst, ceci est mon sang… de Park Chan-wook est pourtant une expérience folle qui mérite d’être réhabilitée.

En 2009, six ans après le triomphe de son Old Boy, Park Chan-wook est de retour au Festival de Cannes avec Thirst : ceci est mon sang. Une fois de plus, le cinéaste reviendra récompensé de la Croisette puisqu’il raflera le Prix du Jury. Mais cette fois-ci, le bilan global, tant côté critiques que public, sera bien plus mitigé.

Souvent jugé trop excessif, voire grotesque, Thirst est loin d’avoir l’énergie grisante qu’avait la Trilogie de la Vengeance. Park Chan-wook semble abandonner une certaine vision du cinéma de divertissement pour une forme bien plus déconcertante. Et pourtant, Thirst est une œuvre unique. À la fois un pivot crucial pour comprendre la filmographie de son auteur, une adaptation redoutable et probablement le meilleur film de vampire de ces 20 dernières années. C’est donc parti pour une nouvelle exploration d’une œuvre tortueuse et inattendue qui mérite d’être (re)découverte.

 

Thirst, ceci est mon sang... : photoUn long dimanche de funérailles

 

Sympathy for mister vampire

Replacé à l’échelle de la carrière de Park Chan-wook, Thirst est un film crucial. Un véritable miracle qui parvient à concilier continuité, rupture et renouveau au sein de la même œuvre. Pour ce qui est de la continuité, on retrouve avec un plaisir intact la virtuosité de la mise en scène du cinéaste. Chaque image est pensée pour le cinéma. Au-delà de la singularité des plans et du travail incroyable sur la lumière, on reconnaît également les thématiques chères au réalisateur. Il nous offre ici une nouvelle plongée au cœur de la violence, de la déchéance humaine.

Mais la rupture reste évidente. Après un contre-pied déjà renversant avec Je suis un cyborg en 2006, Park Chan-wook décide de renouveler radicalement son cinéma. Une transformation d’abord formelle. Il quitte un cinéma de mouvement constant pour embrasser une vision plus épurée, plus statique. Loin de l’énergie furieuse et survoltée de Lady Vengeance ou Old Boy, le cinéaste laisse reposer sa caméra avec Thirst. Le tout premier plan, fixe et aveuglant de lumière, sert de note d’intention fascinante.

 

Thirst, ceci est mon sang... : photoSaignante ou à point ?

 

Bien au-delà d’un renouveau purement technique, le film apporte également de nouvelles thématiques. Old Boy était imprégné de philosophie et de psychanalyse. Thirst sera radicalement spirituel. Bien plus que dans Lady Vengeance qui détournait avec férocité l’imaginaire religieux, on assiste ici à un vrai film de foi. Un récit explorant le doute, le blasphème, la passion comme quête de souffrance pour obtenir une forme de rédemption. Mais aussi la monstruosité dans ce qu’elle a de plus tragique, évoquant par instants le Elephant Man de David Lynch.

Le film offre un réel terrain de jeu à son réalisateur. Il y dévoile un humour grotesque bien plus présent et assumé que dans ses précédentes œuvres. Il invoque également l’imagerie de genres auxquels il n’avait jamais réellement touché auparavant, notamment le western que l’on devine lors des séquences au centre de vaccination. Des paysages arides à la musique mélancolique sifflée à la flute, tout y est.

Enfin, le film permet de deviner ce qu’allait devenir le cinéma de Park Chan-wook. La réflexion autour de la figure du vampire fut à nouveau explorée dès son film suivant, Stoker. Mais surtout l’érotisme confronté à la mutilation des corps a trouvé son apogée avec le sublime Mademoiselle, œuvre dans la continuité parfaite de cette mise en scène plus posée, mais tout aussi virtuose.

 

Thirst, ceci est mon sang... : photoSur le chemin de la damnation

 

Copie (non) conforme

On entend souvent l’expression « copier c’est trahir ». S’il s’agissait d’une vérité absolue, alors Thirst serait probablement la meilleure adaptation possible. Très fortement inspiré du roman Thérèse Raquin d’Émile Zola, le film est l’incarnation même de l’adaptation libre qui n’a jamais peur de trahir l’œuvre d’origine, aussi estimée soit-elle. Le simple concept de base résume l’intention. Réadapter l’auteur phare du naturalisme à travers le prisme du film de vampire, difficile de faire plus oxymorique.

Cependant, Park Chan-wook ne confond pas trahison et incompréhension. À sa sortie, Thérèse Raquin a déchaîné les passions. Œuvre sulfureuse, provocatrice, elle s’est vue reprocher son non-respect des bonnes mœurs. Le roman fut décrit par des critiques de l’époque comme étant de la « littérature putride » et « pornographique ». En embrassant par moments la vulgarité, le mauvais goût et la provocation – il s’agit du premier film coréen mainstream à montrer de la nudité masculine frontale – Thirst est bien plus fidèle à l’esprit de son modèle qu’on pourrait le penser.

 

Thirst, ceci est mon sang... : photoNous ? Fidèles ?

 

Une adaptation plus littérale, comme celle de Marcel Carné en 1954, aurait privé le film de sa puissance moderne et de sa capacité à choquer. Carné faisait l’impasse sur les aspects plus psychologiques et les hallucinations de Thérèse et Laurent. Park Chan-wook les exacerbe grâce au genre adopté et en tire une force terrifiante décuplée. Plus que de la provocation gratuite, Thirst retranscrit donc parfaitement le malaise grandissant, l’étouffement et l’angoisse de deux personnes médiocres qui prennent leurs désirs égoïstes pour de l’amour.

Le choix des changements n’est jamais anodin. Faire du personnage de Laurent un prêtre juste à l’excès apporte une dimension passionnante aux dilemmes du couple. Sans oublier la réflexion profonde portée sur la société coréenne et son héritage postcolonial de par la présence même de cette foi catholique. Le naturalisme était un reflet qui se voulait le plus fidèle possible de son époque et sa société. Malgré la présence du fantastique, Thirst respecte avec force et intelligente cette volonté.

 

Thirst, ceci est mon sang... : photoLe goût de la vie

 

Un vampire à Séoul

En apparence, tous les codes classiques du film de vampire se retrouvent dans Thirst. Avec tout de même une particularité notoire. Park Chan-wook s’amuse à détourner ses références, souvent avec un humour mordant. La traditionnelle longue cape noire devient une soutane, le cercueil pour dormir est remplacé par une vieille armoire nettement moins gothique et même les aptitudes surhumaines ont quelque chose de ridicule. Les sauts sont grotesques, l’odorat ultra développé rappelle plus un sympathique caniche que le compte Dracula.

Mais là encore, le film trouve cet équilibre singulier entre trahison, moquerie et continuité logique du genre qui l’inspire. Park Chan-wook le relie avec l’identité des grands films de vampire en livrant une œuvre à la fois érotique et horrifique. Ses vampires sont séduisants, sexualisés à outrance, mais également répugnants. La sensualité est toujours désamorcée par le travail organique du son. Sexe et body horror auront rarement fait si bon ménage.

 

Thirst, ceci est mon sang... : photoLove Bites

 

Loin d’être une figure menaçante sortie d’un autre temps, le vampire dans Thirst est une créature ambiguë. Le père Sang-Hyeon emprunte peut-être le chemin de la damnation une fois condamné, mais son état l’émancipe également. Il devient même une figure de guérisseur christique aux yeux de sa paroisse. Un Christ bien étrange, dont les bandages ne sont pas sans rappeler L’Homme invisible de James Whale.

À l’inverse, si Tae-Ju utilise ses pouvoirs pour satisfaire ses pulsions sadiques, elle était déjà à la recherche d’une excuse de faire du mal bien avant sa contamination. Après tout, dès les premières séquences, on la voit feindre de poignarder son mari dans son sommeil. Son rejet de la morale traditionnelle vient apporter un contre-pied passionnant à l’angoisse de damnation de son amant. Comme elle le dit si bien : « je n’ai pas la foi donc je n’irai pas en enfer ».

 

Thirst, ceci est mon sang... : photoNous trois ou rien

 

Pour toutes ces raisons et bien plus encore, Thirst apparaît comme un des plus grands films de vampire de ce siècle, si ce n’est le plus grand. Mis à part Morse, combien d’œuvres ont su à ce point réinterpréter le mythe et lui donner un sens contemporain ? Park Chan-wook transcende ses modèles. Il ressuscite un genre que l’on croyait mort pour mieux lui planter un dernier pieu dans le cœur.

S’il n’est évidemment pas le chef-d’œuvre de son illustre carrière, Thirst n’en est pas moins un miracle d’équilibre. Un film essentiel pour comprendre ce qu’a été le cinéma de Park Chan-wook et ce qu’il devient. Un modèle d’adaptation qui trahit la forme, mais sublime le fond. Et un simulacre de film de vampire qui mêle hommage et pastiche avec une maîtrise confondante. Une prouesse résumant à merveille les éternelles contradictions d’une filmographie inégalable.

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petitCalimero

Confirmation du commentaire de Asturias.

La séquence finale de ce film est vraiment d’une puissance folle (et à peu près parfaite, osons le terme).
Et bien qu’il soit compréhensible que certains aient pu être décontenancés par les outrances et le « jusqu’au boutisme » du film (que j’ai beaucoup appréciés cependant, surtout lors du visionnage de sa version longue), il me parait difficile de ne pas être ébloui par cette conclusion simple, bouleversante et purement cinematographique

alshamanaac

Vu en salle à l’époque également… Mais j’en ai pas gardé un grand souvenir, un peu déçu. Je crois que les gens se marraient un peu tellement c’était un peu too much… mais faudrait que je le revois à l’occasion pour me rafraichir la mémoire…

Dans le genre « vampirique », j’avais beaucoup plus adhéré à son Stoker par contre.

Pat Rick

Des passages intéressants mais je me suis aussi pas mal ennuyé.

Berserkovore

Vu en salle lors de sa sortie et j’en étais revenu assez décontenancé. Je devrais réessayer…

Kyle Reese

Et mince, un film de vampire réalisé par Park Chan-wook … et j’ai loupé ça !
rattrape en vue.

alulu

Visionnable sur Prime.

Asturias

SPOILER : Une des plus belle fin du cinéma…