Blade Runner, Alexandre, 1492… 5 BO monstrueuses de Vangelis

Par La Rédaction
20 mai 2022
MAJ : 21 mai 2024
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La mort du musicien Vangelis donne envie de réécouter quelques-unes de ses BO incontournables, comme Blade Runner, Les Chariots de Feu, Alexandre

Derrière le mystérieux nom de Vangelis se cachait Evángelos Odysséas Papathanassíou, musicien grec né en 1943, et figure centrale de la scène électronique depuis les années 70. Mais pour les cinéphiles, c’est aussi et surtout un des génies du septième art, dont les mélodies résonnent à travers le temps.

Mort le 17 mai 2022 à Paris, Vangelis laisse derrière lui une myriade de sons et musiques. Ecran Large revient modestement sur 5 BO magiques, qui méritent d’être écoutées encore et encore.

 

Vangelis : photo L’une de ses dernières interviews (2020, Gonzo Multimedia)

 

LES CHARIOTS DE FEU (1981)

C’est ici que tout commence pour Vangelis, du moins pour la deuxième fois. Après le succès aussi fulgurant qu’éphémère au début des années 70 d’Aphrodite’s Child, son groupe de rock progressif avec Demis Roussos que la maison recommande chaudement, Vangelis explose à nouveau dans les oreilles du grand public grâce aux Chariots de Feu. Le drame sportif de Hugh Hudson qui signera l’avènement du ralenti sur de la musique épique à Hollywood (oui on sait que Brian de Palma le faisait déjà, mais il n’a malheureusement pas gagné quatre Oscars pour Obsession).

La bande-originale est tellement marquante que c’est d’ailleurs tout ce qui est retenu du film de nos jours. Pourtant, le choix de Vangelis comme compositeur est plus audacieux qu’on ne pourrait le croire. C’est même une sacrée prise de risque pour l’époque, puisqu’il s’agit de coller une orchestration moderne avec synthétiseurs sur une histoire se déroulant au début du XXe siècle. Mais Hugh Hudson ainsi que le scénariste David Putnam imposent leur collaborateur, impressionnés qu’ils sont par la musique du compositeur grec.

 

Les Chariots de Feu : photoEt là, tout le monde a la musique en tête

 

Et c’est avec une évidence incroyable que la musique de Vangelis se marie avec les images des athlètes de Hugh Hudson. Le choix osé de l’orchestration et l’arrangement mélodique exaltant de Vangelis donnent immédiatement un caractère intemporel aux images, les échos acoustiques du piano se mêlant aux échos temporels des ralentis. Comme une manière de dire : peu importe les drames, peu importe l’horreur – en l’occurrence, celle de l’antisémitisme -, la beauté traverse toutes les épreuves et demeure éternellement autour de nous, il suffit d’observer et écouter.

Bref, le thème principal des Chariots de Feu est iconique à en crever, presque trop même puisqu’il ne tardera pas à devenir lui-même sa propre source de parodie et autres détournements à cause de sa naïveté vitaliste, quand il n’est pas juste plagié de tous les côtés jusque dans des pubs Royal Canin. C’est donc pile le moment d’aller redécouvrir cette pièce que Vangelis envisageait comme un hymne à son père (ce qui explique encore le caractère à la fois exaltant et intemporel), au premier degré cette fois-ci.

 

 

 

BLADE RUNNER (1982)

Alors qu’il remporte en 1982 l’Oscar de la meilleure musique pour Les Chariots de feu, Vangelis est approché pour la deuxième fois par Ridley Scott, avec lequel il a déjà eu l’occasion de collaborer en 1979. « J’ai été contacté directement par Ridley, et j’ai tout de suite su qu’il s’agirait d’un film extrêmement intéressant, et en un sens, prophétique. J’ai accepté de participer à Blade Runner sans la moindre hésitation », a confié le musicien dans une interview accordée à Soundtrack. « À l’époque où j’ai composé pour le film, j’ai fait comme à mon habitude, c’est à dire du mieux que j’ai pu. Je ne suis pas nécessairement allé chercher plus loin que ça ». 

Afin de sous-tendre l’ampleur et la complexité de Blade Runner et son identité à mi-chemin entre le film noir et la dystopie philosophique, le compositeur grec se cloisonne dans son studio londonien à Marble Arch, et allie avec l’élégance et l’âpreté propre au récit, les tonalités blues du jazz aux thèmes futuristes et cybernétiques du synthétiseur, qu’il n’hésite par ailleurs jamais à bercer d’envolées lyriques et orchestrales.

 

Blade Runner : Photo Sean YoungRévolutionner la musique et la science-fiction en 1h57

 

Irrévocablement indissociable du métrage, la bande originale se répond d’une richesse et d’une sensibilité inattendue, bien loin des bruitages électroniques caractéristiques des épopées spatiales telles que Star Wars, auxquels les aficionados du genre pouvaient êtres habitués. Miroirs d’une atmosphère multidimensionnelle, simultanément optimiste et désabusée, romantique et solitaire, fragile et sans pitié, les compositions de Vangelis officient, par ailleurs, de structure au montage, et impulsent avec organicité, changements de plans, signaux visuels, et autres battements dans le cadre.

Et si l’ensemble de la bande-originale a su tenir le test du temps, et témoigner du génie de son créateur, l’ultime morceau du métrage, Tears in rain,  se conçoit notablement comme l’apothéose du récit. Émotionnels et déchirants, les accords de Vangelis sous-tendent avec simplicité le monologue final de Roy Batty, brillamment interprété par le regretté Rutger Hauer. Un instant subtil, bouleversant, et pourtant éminemment paisible, lequel encapsule délicatement tout le conflit moral dont se répond le métrage : l’humanité est-elle réellement le propre de l’humain ? 

 

 

ANTARTICA (1983)

C’est l’un des pans les moins connus de la musique de Vangelis, mais le compositeur a toujours été particulièrement inspiré par la nature. C’est d’ailleurs par la voie du documentaire animalier qu’il entre pour la première fois dans la composition de bandes originales en 1978, une voie qui l’emmènera jusqu’à travailler sur les documentaires du commandant Cousteau dans les années 90.

Évidemment, cet intérêt prononcé pour la nature s’entendra également dans ses choix de films pour le cinéma, et en particulier dans Antarctica, une œuvre très particulière du japonais Koreyoshi Kurahara, sortie cinq ans avant L’Ours de Jean-Jacques Annaud mais avec laquelle elle partage de nombreux points communs – outre leurs statuts, Antarctica étant en effet une institution au Japon et le plus gros box-office pour un film japonais à domicile avant un certain Princesse Mononoké. Antarctica est également un film assez peu loquace et dont les personnages principaux sont des animaux, racontant l’histoire d’une quinzaine de chiens de traîneaux abandonnés en Antarctique et de leur combat pour survivre.

 

Antarctica : photoUn film qui a du chien

 

Construit sur un montage alterné entre les scientifiques rentrés au Japon et les chiens abandonnés dans le grand désert de glace, Antarctica offre donc la moitié de sa durée à Vangelis, qui livre plusieurs compositions sublimes pour habiter cette immense toile blanche qui s’offre à lui (sauf dans les rares moments avec une voix-off nulle), évoquer tout à la fois le courage des chiens tout autant que leur solitude, la beauté du grand désert blanc tout autant que ses dangers cachés. Pour investir ce grand espace physique, c’est donc un grand espace sonore que Vangelis inonde de tout son savoir-faire, et de ce film méconnu en Occident, on peut presque tirer une bande-originale somme pour le compositeur grec.

De nombreuses pistes valent le détour, mais on ne saurait que trop vous recommander de jeter une oreille sur Life of Antarctica, une alliance quasi-parfaite des contraires entre contemplation d’une majesté grandiose et sentiment d’urgence fatale. Au gré des arpèges mineurs et de la douceur des synthés se dessine une sorte de berceuse mortelle du blizzard, qui tisse autour de vous les rets d’un sommeil hypothermique dont vous ne vous réveillerez pas. Magnifique, et aussi remarquablement moderne dans son choix de textures sonores, qui s’intégreraient parfaitement à certaines oeuvres vidéoludiques contemporaines comme Risk of Rain ou Hyper Light Drifter.

 

 

 

 

1492 : Christophe Colomb (1992)

Peut-être une BO plus connue et reconnue que le film lui-même, lequel a été un peu oublié par le temps. Porté par Gérard Depardieu en Christophe Colomb, 1492 marquait la deuxième collaboration entre le cinéaste et le musicien, après Blade Runner.

Ridley Scott voulait apparemment Hans Zimmer, mais il était indisponible. Il s’est donc tourné vers Vangelis, et expliquait en 2002, dans un livre de Brian J. Robb qui lui est consacré : « Le film aurait pu avoir une musique traditionnelle pour la période du XVe siècle… mais c’était la dernière chose que je voulais. Je savais que Vangelis pouvait me donner quelque chose qui serait à la fois approprié pour l’époque, et contemporain. Je déteste quand les gens disent qu’on ne devrait pas remarquer la musique. La musique, si elle fait son travail, devrait élever le film ».

 

1492 : Christophe Colomb : photo, Gérard DepardieuJumanji : Origins

 

Sur ses synthés, Vangelis a ajouté de multiples cordes à l’arc de Christophe Colomb. Des voix, des guitares, des flûtes ou encore des mandolines viennent ainsi enrichir une BO étonnante, qui a véritablement rencontré son public des années après la sortie du film en 1992. Dès 1995, le monde a ainsi commencé à se passionner pour le morceau Conquest of Paradise, réutilisé à droite à gauche (le thème du boxeur allemand Hanry Maske pour son arrivée sur le ring, du parti socialiste au Portugal, d’une équipe de rugby de Nouvelle-Zélande, et même du film bollywoodien Koyla).

 

 

Conquest of Paradise est donc l’inévitable grand morceau du film, mais 1492 : Christophe Colomb par Vangelis ne se résume pas à cette musique triomphante (qui a largement inspiré la BO d’Alexandre par la suite). Il y a aussi la douceur paisible de Monastery of La Rabida et West Across the Ocean Sea, la légèreté d’Eternity, et la nervosité guerrière et légèrement baroque de de Hispanola.

Assurément une grande BO, d’une richesse étourdissante, où Vangelis jongle avec brio entre les conventions du genre, et sa patte plus moderne.

 

 

ALEXANDRE (2004)

C’était un fantasme que tout le monde avait, sans le savoir : la rencontre entre Vangelis, Oliver Stone et Alexandre le Grand, grâce à la magie du cinéma. Quand le réalisateur a mis sur pied un film sur le roi de l’Antiquité, il a vite appelé le musicien, qui a accepté sans hésiter. Vangelis était donc impliqué dès le début du développement, et a accompagné le film étape après étape, réajustant ses compositions au gré des changements et remontages.

Vangelis décrivait cette collaboration à Soundtrack.net en 2004 : « Pour chaque film, j’ai une approche très spontanée. Je veux dire par là que tout en regardant les images, je compose, je joue ce qui me vient naturellement et spontanément sur le moment. Parfois, je ne compose rien avant un premier montage. Mais avec Alexandre, j’ai commencé à travailler immédiatement, parce qu’Oliver avait besoin de la musique pour le tournage. Donc pour certaines musiques, pour les scènes de danse par exemple, j’ai composé avant qu’elles soient tournées, en travaillant avec le chorégraphe ».

Il a fallu au final une année entière pour que le BO d’Alexandre soit construite. Vangelis expliquait à Elsewhere en 2005 : « Quand on travaille sur un film, on travaille en gros sur le montage final. Mais avec Oliver, on ne peut pas faire ça. On fait la BO jour après jour, et on ajuste constamment la musique. (…) Je pouvais faire jusqu’à cinq changements par jour ! (…) Beaucoup de musiques que j’écrivais pour une scène finissaient sur une autre ».

 

Alexandre : Photo Colin FarrellAlexandre le grand blond

 

Composée à 60% de synthétiseurs et 40% d’orchestre, selon Vangelis, la BO d’Alexandre est comme le film d’Oliver Stone : grandiloquente, gargantuesque, généreuse. Le musicien a poussé les curseurs au maximum, pour que chaque envolée, chaque mélodie, chaque mouvement semble toujours immense, majestueux et fantastique. La BO, comme le film, déborde de tous les côtés et s’étale à perte de vue, à tel point qu’elle ne pouvait pas tenir sur un seul CD à l’époque.

Introduction, Titans, The Drums of Gaugamela, The Charge… La musique d’Alexandre regorge de morceaux épiques et magiques. Parmi eux : le magnifique Young Alexander, qui condense toute l’ampleur romanesque et le lyrisme de ce grand film fou (et malade), avec en plus un soupçon de candeur formidable. Ou comment prouver le talent grandiose de Vangelis en une minute, vibrante et sensationnelle, qui donne envie de s’envoler et pleurer dans une explosion héroïque.

 

 

Dossier écrit par Geoffrey Crété, Lino Cassinat et Axelle Vacher

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Nyl 2

Je ne savais même pas qu’il avait fait Alexandre !
Oh là là, je me souviendrais de cette musique épique et guerrière, à la fin du film. Résumant tout ce qui était le conquérant. Un guerrier malade. Beau et poétique 🙂

Nicotine46

Pourquoi il est dit « Vangelis est approché pour la deuxième fois par Ridley Scott, avec lequel il a déjà eu l’occasion de collaborer en 1979. » ?

Alors qu’il est bien précisé après pour 1492 qu’il s’agit de leur deuxième collaboration.
En 79 Scott sortait Alien, et ce n’était pas sur une musique de Vangelis.

C’est une erreur ou bien il a fait la musique d’une pub de Scott en 79 ou quelque chose comme ça ?

Neji

Un roi est mort, vive le roi.
Je suis un grand grand fan de ce monstre de compositeur, il à fait avancer la musique de films, la musique instrumentale et électronique.
Il a marqué mon enfance ma culture musicale et ma perception de la musique dans un film.
Je suis compositeur de musique électronique j’en ai fait mon boulot en commercialisant les instruments les machines, les synthétiseurs, la MAO a travers mon commerce.
Ses compositions n’ont jamais cessé d’être dans mon esprit.
Raconter une histoire a travers des modulations sonore , du sound design avec du sens et de l’âme.
Une qualité de mastering, de mixage, fond de lui un maître incontesté.
Merci pour cette article et vous n’avez pas oublié antarctica qui est pour moi avec blade runner un chef-d’œuvre .

Horza

Un autre grand nom de la musique électronique, de la musique de film et de la musique tout court nous quitte. Tristesse, bien sûr. Beaucoup de ses thèmes m’ont tellement emmené ailleurs, dans d’incroyables paysage sonores, m’ont fait remonter dans le temps ou fait voyager au confins des étoiles. Merci Vangelis, pour ces sublimes sonorités et pour la beauté des thèmes. Je n’ai peut être pas apprécié certains de vos albums les plus récents, mais vous resterez à l’origine de quelques unes de mes plus belles émotions musicales. Puissiez vous reposer en paix.

Laurent faïs

Si j’devais garder un seul album, ça serait l’apocalypse des animaux. Et un seul morceau d’l’album, ça serait « le singe bleu »(y a la petite fille de la mer, mais bon.)., d’une mélancolie, et d’une beauté sans nom, avec trois petites notes de trompette. Il était âgé, j’n’l’connaissait pas, mais j’m’sens un peu culturellement orphelin, le monde était meilleur avec lui. Sa musique était vraiment un repère introspectif, il a co-contribué à créer et developer tellement de genres musicaux, son héritage est immense, ça faisait qu’ il n’avait pas sortit qqch d’exceptionnel, mais qu’importe. Sa disparition laisse un vide abyssal, devant toute cette vacuité et cette vulgarité musicale qui déborde de partout. Les amoureux du beau, et du rêve ont perdu leur maître intemporel.

Dark Domino

Vangelis c’est divin grandiose cosmique sa musique reste et restera à jamais magique merveilleuse et intemporel R.I.P

taffey lewis

aucune fausse note.

Carlito B.

Un choc… Une légende de la musique électronique s’en va.. Après Klaus Schulze comme le rappelle ci-dessous @的时候水电费水电费水电费水电费是的 dams50, après Edgar Froese mais il y a de cela plusieurs années déjà, Vangelis s’en est allé.

On retiendra Chariots of Fire bien sûr (pour l’anecdote, ce n’est pas le vrai titre de ce morceau, il s’appelle Titles en fait, Chariots of Fire étant un morceau de plus de 20 minutes dans l’album), mais pour ma part, j’ai une préférence pour 1492 Christophe Colomb, purement et simplement magnifique, avec des morceaux comme hispanola ou la fresque Pinta, nina santa maria. Inutile de revenir sur Blade Runner, tout a déjà été dit…

En dehors des BO, on peut conseiller Spiral et l’album Direct, pas le plus connu mais que j’adore personnellement.

Bon voyage mon ami !

momo sizlac

Apres faut aimer aussi c’est très connoté année 80/90 alors que les autres compositeur de sa génération semble intemporel. c’est sans doute du à son usage ponctuel de musique synthétique… seul le temps nous dira s’il survi au nouvel génération, mais j’en mettrai pas ma main a coupé

dams50

Et merde. Après Klaus Schulze, vla que c’est au tour de Vangelis de laisser ses synthétiseurs orphelins…

J’ai connu Antartica d’abord par sa musique avant de découvrir le film a sa réédition blueray il y a qq années. Film riche d’émotions et superbement porté par sa musique.

Mais bon, c »est la BO de Blade Runner qui est juste intemporelle, la BO que j’emporterais sur une île déserte s’il ne devait y en avoir qu’une.

R.I.P.