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Le Pacte des loups, Silent Hill… Christophe Gans, pionnier du blockbuster à la française

Par Mathieu Jaborska
12 février 2023
MAJ : 21 mai 2024
17 commentaires
Le Pacte des loups : photo, Samuel Le Bihan

Sur le point de revenir sur les plateaux de tournage pour un nouveau Silent Hill, Christophe Gans a donné la folie des grandeurs au cinéma français, et pas seulement avec ses réalisations.

Le Pacte des loups a très récemment fait l’objet d’une restauration en 4K, à contempler en Ultra HD, Blu-ray et DVD. Un écrin qui rappelle l’ambition impressionnante des films de Christophe Gans, journaliste, cinéaste et défricheur de cinématographies très important pour l’industrie française. Régulièrement au coeur des débats sur sa capacité à allouer de gros budgets au cinéma dit « de genre », l’artiste aura surtout partagé sa passion à toute une frange de la population, à travers des textes, des inspirations stylistiques et une collection vidéo.

Ecran Large a donc sauté sur l’occasion pour revenir sur sa carrière, de ses études à son dernier projet en date, en passant par Crying FreemanSilent Hill ou même les longs-métrages qu’il n’a jamais eu l’occasion de concrétiser. Le tout en sa présence et accompagné de moult anecdotes croustillantes que même notre super vidéo n’a pas pu compiler.

 

 

Freaks and geeks

Cinéaste confirmé, journaliste passionnant et éditeur de talent, Christophe Gans est avant tout respecté pour sa cinéphilie, impressionnante. Une cinéphilie qu’il a cultivée dès ses jeunes années, passées à s’abreuver de cinéma asiatique. C’est d’ailleurs ce qui lui permet de rentrer à L’IDHEC (L’Institut des hautes études cinématographiques), prestigieuse école désormais intégrée à la Fémis, en 1978. Son profil tape dans l’oeil des enseignants, qui essaient alors, selon ses dires, de diversifier un peu les références de ses étudiants.

« Je représentais un courant plus populaire, j’étais arrivé armé, notamment, de ma passion pour le cinéma asiatique. C’était bien tombé d’ailleurs, parce que je me souviens que la première épreuve à passer pour être sélectionné dans les 60 personnes, desquelles seraient tirés les 15 étudiants annuels, c’était une épreuve sur La Cérémonie de Nagisa Ôshima. Il se trouve que j’étais assez jeune, quand je suis passé, je crois que j’avais à peine 18 ans. Et il se trouvait que je connaissais bien Nagisa Ôshima et je me rappelle qu’après, lors de l’oral, les gens qui faisaient passer les épreuves étaient surpris que quelqu’un d’aussi jeune puisse en dire autant sur Nagisa Ôshima. »

 

La Cérémonie : photoLa Cérémonie

 

Sa cinéphilie à part, il la dévoilera plus directement encore dans Silver Slime, court-métrage de fin d’études qui rend allégrement hommage au giallo italien. Le titre est un jeu de mots : on peut le traduire par « Bave d’argent », soit une référence aux deux maîtres du genre, Mario Bava et Dario Argento. Une expérimentation amateur, mais importante pour le cinéaste en devenir, qui bouscule un peu la tradition du milieu, en plus de marcher humblement dans les pas des Frissons de l’Angoisse, son « totem absolu » et l’un de ses films préférés.

Autre support sur lequel il couche ses obsessions : le fanzinat, ce type de magazine libre et indépendant écrit généralement par des passionnés pour des passionnés :

« J’avais un fanzine qui s’appelait Rhesus 0, que j’avais commencé à faire avec un ami sur la Côte d’Azur. Ensuite, je l’avais transporté avec moi et j’avais réuni autour de moi une petite équipe à Paris. Et cette petite équipe s’est retrouvée parmi les fondateurs de Starfix. »

 

 

À l’époque, il travaille également pour un éditeur nommé Scherzo Vidéo, chez qui il publie une collection consacrée aux arts martiaux et plusieurs films du cinéaste Gérard Damiano (Gorge Profonde). C’est un succès. Un autre éditeur parisien, Hollywood vidéo, lance alors sa revue, Téléciné. Et Scherzo se met en tête de lui faire concurrence, avec comme coordinateur des opérations Christophe Gans. Pas question pour lui de se limiter aux sorties VHS. S’il consacre une bonne partie des premiers numéros aux sorties de son employeur, il fait la part belle au cinéma dit « de genre ». Le légendaire Starfix est né et il va cartonner.

« En fait, Starfix a capté immédiatement un public désœuvré, qui n’avait pas vraiment d’organe de presse, à part peut-être L’Écran Fantastique, mais L’Écran Fantastique, auquel je participais à cette époque, c’était les fantasticophiles parlent aux fantasticophiles, c’était vraiment entre nous, quoi. Alors que je pense que ce qui a fait la différence avec Starfix, c’est qu’il a ouvert vers un public plus large.

 

Christophe Gans : photoLe magazine Starfix

 

On s’est beaucoup plus positionnés comme un médium d’opinion sur le cinéma. En fait notre modèle, c’était le Rolling Stone américain, spécialement le ton des articles, ce qu’on appelle le journalisme gonzo. Et on a beaucoup, beaucoup travaillé dans ce sens-là pour avoir un ton plus décontracté, plus déluré, plus ironique, ou on essayait de faire participer le lecteur à nos passions, nos coups de cœur, nos indignations, etc.. Et ça a marché énormément. »

C’est l’évidence : ils tirent le premier numéro à 120 000 exemplaires et en écoulent 90 000. Un coup de chance, selon lui : ils font leur première couverture sur Dark Crystal, qui vient de remporter le grand prix d’Avoriaz. Gans y retranscrit la première interview officielle de Sam Raimi, enregistrée dans la cabine du Grand Rex. Reste qu’aujourd’hui, ni Raimi, ni la presse papier, ni les festivals spécialisés ne sont capables de vendre autant d’exemplaires de quoi que ce soit. Le succès de Starfix lui ouvre les portes de Rapido, des Enfants du rock… mais restera éphémère. Lui et les différents rédacteurs ont d’autres ambitions et le magazine s’arrête en 1990.

 

Evil Dead : Photo Bruce CampbellEvil Dead pour une première, on peut difficilement rêver mieux

 

« Ça s’est arrêté pour une raison extrêmement simple : on voulait tous faire du cinéma. Nicolas Boukhrief, François Cognard, Doug Headline… En fait c’est simple : la presse c’était une façon d’attendre la réalisation, un peu comme ce qui s’était passé aux Cahiers du cinéma, ça nous semblait tout à fait recevable. Il y avait deux options : soit on essayait l’assistanat, mais moi je ne vois pas pourquoi je deviendrais assistant de réalisateur de films français que je ne considérais comme pas du tout ma came, quoi. Je me suis dit : la presse c’est cool. »

Beaucoup de ces collaborateurs connaitront une belle carrière. Nicolas Boukhrief réalisera de nombreux films, dont le génial Le Convoyeur ou plus récemment Trois jours et une vieFrançois Cognard officiera comme producteur, notamment sur les expérimentations sensorielles de Cattet et Forzani. Doug Headline commettra Brocéliande, sur lequel on doit absolument revenir un jour. Quant à Christophe Gans, il doit la suite de son parcours au Festival d’Avoriaz (encore) et à une bonne raclette. L’origine de toutes les belles choses.

 

Le Convoyeur : photo, Albert DupontelLe génial Le Convoyeur

 

De tokyo à Dunwich

En parallèle, Samuel Hadida commence de son côté à distribuer différents films fantastiques, comme justement Evil Dead et Creepshow, à l’honneur dans les pages du premier Starfix. Les deux hommes partageant de toute évidence les mêmes références, ils dînent donc ensemble à Avoriaz (à prononcer avec le « z » pour irriter la section commentaire sur YouTube), et ça fait des Chocapic.

« Il me dit : « Tu veux être critique toute ta vie ? ». Je lui dis : « Non, non, je veux être réalisateur ». Et il me dit : « Ça tombe bien, parce que moi, je veux être producteur ». Et c’est parti comme ça, en fait. Donc j’ai commencé à développer des projets pour lui. Il y en a eu comme ça deux ou trois. »

Les deux hommes planchent par exemple sur une adaptation d’Étoiles au garde-à-vous, roman militaire dont s’emparera Paul Verhoeven quelques années plus tard pour réaliser son Starship Troopers. Pour ce faire, il voyage à New York afin de demander à Michael Kaluta, illustrateur sur The Shadow entre autres, des artworks. Il reviendra avec un butin plus précieux encore.

 

Crying Freeman : photo Crying FreemanCrying Freeman V1

 

« Michael Kaluta, au cours de nos conversations, me dit : « T’as entendu parler de la nouvelle vague de dessins animés japonais ? » Je lui dis non. Il me dit : « Écoute, je vais t’en montrer des extraits ». Et il commence à me montrer des extraits de plusieurs dessins animés japonais, Black Magic M-66, d’après Shirow, Akira, Kiki la petite sorcière et Crying Freeman, les OAV. Je lui dis : « C’est incroyable, qu’est-ce que c’est que ce truc ? ». »

Le dessinateur lui donne donc l’adresse de son dealer, qui se fournit à Tokyo :

« J’avais vu le premier OAV, donc je reçois le truc et le mec me mets dans l’envoi le premier tome en japonais de la BD de Koike et Ikegami. Je la lis sans comprendre les dialogues, je tourne les pages et je me dis : « Putain, le scénario de ce truc ! ». Évidemment, je savais très bien qui était Koike puisque c’était l’homme qui avait fait Baby Cart. Donc, je vais voir Samuel et je lui dis : « Regarde ça, ça peut faire un film d’enfer ». Et il me dit banco. »

 

Crying Freeman : photo Crying FreemanCrying Freeman V2

 

Takashige Ichise, propriétaire des droits de la franchise pour le compte de la Toei, exige toutefois de Gans une expérience derrière la caméra. Ça tombe bien, il est en train de produire un film à sketches inspiré de Lovecraft. Un cinéaste américain (Brian Yuzna) et un cinéaste japonais (Shusuke Kaneko) sont déjà sur l’affaire. L’Européen, Michele Sovani, s’est désisté et il faut le remplacer.

En grand connaisseur de Lovecraft, l’apprenti réalisateur accepte tout de suite. Les conditions sont spartiates : 6 jours de tournage, budget microscopique, mais beaucoup d’effets à gérer. Désireux de la transformer en hommage à Poe version Corman, Gans se réapproprie la nouvelle Les rats dans les murs et signe le meilleur sketch de Necronomicon.

« Le film se déroule dans un climat complètement cinglé. C’est un film tellement fauché que les sketchs sont réalisés en même temps sur le même plateau, on est obligés de s’arrêter quand il y en a un autre qui tourne. Les décors sont démontés alors qu’on n’a pas fini certaines scènes. On est en train de tourner des plans et il y a des mecs en train d’enlever les meubles derrière nous, c’est une espèce de bordel absolument incroyable.

 

Necronomicon : photo, Jeffrey CombsJeffrey Combs, fil rouge de Necronomicon

 

Le film, on le monte vaille que vaille, la première projection est catastrophique, les gens s’aperçoivent qu’ils ont tellement, tellement tirés sur la corde que les effets spéciaux sont complètement foirés. D’ailleurs, je montre certains de ces effets spéciaux dans les suppléments de Necronomicon en vidéo, c’est hallucinant. Et Samuel décide de faire une rallonge pour refilmer les effets spéciaux. Donc je refilme tous les effets spéciaux. Cette fois-ci, c’est moi qui les filme, je ne laisse pas des espèces de gugusses filmer les effets spéciaux, et on finit le film. »

Kaneko est contraint de partir, laissant Christophe Gans responsable des effets de son sketch. Il était censé rester un mois à Los Angeles, il reste un an sur place, en se cachant du service d’immigration ! Le long-métrage n’est sans surprise pas très bien reçu, mais les producteurs de l’adaptation de Crying Freeman retiennent la critique de Variety, qui éreinte tout sauf son segment. Feu vert.

 

Necronomicon : photoLe segment The Drowned, sa beauté macabre et son authentique Cthulhu !

 

Combats de maître

Mais tout ne se passera pas comme prévu. Avec un peu moins d’une dizaine de millions de dollars de budget, la production doit trouver une grosse tête d’affiche, comme c’est l’usage à Hollywood. Elle vise un jeune comédien en pleine ascension : Brandon Lee, fils de la légende Bruce Lee, l’idole absolue du Français. En plein tournage de Necronomicon, une rencontre est organisée. Lee fait ses preuves et il a lu la bande dessinée. Un choix parfait, mais le comédien décède quelque temps après sur le tournage de The Crow. Jason Scott Lee est envisagé, mais il est retenu par Universal, qui ne voit pas d’un très bon oeil le projet. La solution viendra d’elle-même.

« Un matin, j’arrive à la production, celle de Brian Yuzna. Et il y a un mec dans la salle d’attente. Il est 11h du matin et je vois ce mec, jeune mec très étonnant. Et je lui dis : « vous attendez quelqu’un ? » Et il me répond : « Oui, j’attends le réalisateur de Crying Freeman parce que je veux être Crying Freeman ». Et c’est Mark Dacascos. » Le jeune acteur est motivé, calé en arts martiaux, renseigné et il correspond physiquement. Problème : avec comme principaux faits d’armes Only the Strang et Double Dragon, il n’est pas des plus bankable. Les exécutifs paniquent, puis menacent : avec Dacascos à bord, le budget sera divisé par trois. Gans en a vu d’autres.

 

Double dragon : photo, Scott Wolf, Mark DacascosMark Dacascos dans Double Dragon

 

« J’ai réécrit le film, j’ai enlevé toutes les scènes qui étaient trop compliquées, qui sont dans la BD. Notamment des scènes d’entrainement de Crying Freeman, des scènes dans un sous-marin. Tout ça a été dégagé. Donc j’ai réduit l’histoire à sa plus simple expression. Et le film démarre avec Marc Dacascos et les gens qui finançaient le film, le vendaient à l’internationale, s’en désintéressent totalement, ils n’en ont plus rien à foutre. »

Heureusement, il se rassure en engageant David Wu, monteur attitré de John Woo sur ses plus grands classiques, lequel est très confiant sur le résultat final : « Si le mec qui a monté The Killer a dit que ça va, ça va ».

Quand les premiers rushs arrivent dans leurs bureaux, les financiers redeviennent plus optimistes. Et ils ont raison. Lors de sa sortie en 1995, c’est un beau succès qui s’exporte – et ce sera une constante dans sa carrière – aux quatre coins du monde. En France, il attire tout de même 627 579 spectateurs, un score plus qu’honorable pour une adaptation de manga dans les années 1990 estimée à 3 millions de dollars par son auteur. Le cinéaste gagne en célébrité et en profite pour partager sa cinéphilie.

 

Crying Freeman : photo Crying FreemanCrying Freeman, fatiguant pour tout le monde

 

« Samuel me dit : « Ce que tu pourrais faire, c’est créer une collection pour que la réputation que tu as acquise sur Crying Freeman, elle serve, quoi ». Parce qu’il a acheté les droits de plusieurs films de Hong Kong. Et je lui dis ouais, puis je lui dis : « Ce qui serait bien ça serait qu’on fasse un magazine qu’on vende avec les cassettes qu’on sort », qui soit un peu comme ça se faisait à l’époque. […] On lance HK et ça prend une ampleur folle. »

Le label HK vidéo va effectivement devenir une institution. Au départ, il s’agit de sortir les films Metropolitan, puis d’acquérir de nouvelles pépites, en chinant à peu près partout, ce que raconte David Martinez dans un épisode de Dis-cor-dia. Le magazine devient culte et tout ce beau monde finit à la cinémathèque à présenter une rétrospective complète, devenue mythique depuis, de Tsui Hark. HK Vidéo est d’utilité publique : il initie un public bien plus large au cinéma hongkongais en particulier, asiatique en général, jusqu’à influencer de manière palpable la cinéphilie d’un pays entier.

 

The Killer : photo, Chow Yun-FatL’édition DVD de The Killer, un mythe

 

« Le phénomène du cinéma de Hong-kong, c’est ce qui m’avait donné envie de revenir à mes premières amours de journaliste et éditeur. Je pense que c’était une oeuvre utile à faire. Ça a ouvert plein de gens au cinéma asiatique. Je pense qu’on y a contribué. Pour moi, la presse de cinéma, elle doit d’abord avant tout propulser les gens. Simplement parler jusqu’à la nausée des choses qui sont déjà établies, pour moi, ça n’a aucun intérêt. »

Une quête d’originalité qui continue aujourd’hui. Ici, nous sommes plusieurs à voir dans la popularité croissante en occident des industries cinématographiques d’Inde du Nord une nouvelle manne à explorer, maintenant que la rétrocession a privé Hong Kong de ses artistes et de ses moyens. HK Vidéo n’a pas seulement légitimé une filmographie dingue, il a donné à beaucoup le goût de la curiosité, l’envie de dénicher dans les recoins souvent méprisés les trésors d’inventivité qui définiront le cinéma de demain. En ça, c’est assurément l’un de ses accomplissements les plus remarquables.

 

The Blade : photoThe Blade, encore trouvable… à condition d’y mettre le prix

 

Gans avec les loups

Il ne reste à Christophe Gans, désormais figure essentielle du cinéma français, qu’à livrer son propre blockbuster. Et une fois de plus, c’est grâce à Starfix qu’il y parvient. Plus particulièrement grâce à François Cognard, alors directeur de Canal+ Écriture. Celui-ci lui envoie un scénario, qu’il dévore en une nuit. Attaché au folklore de son pays depuis son enfance, Gans y voit en prime l’occasion de rendre hommage à son amour pour le cinéma d’aventure, mais aussi pour la Shaw Brothers et plus spécifiquement la filmographie de Cheh Chang, réalisateur entre autres de La Rage du tigre.

« C’est d’ailleurs pour ça que, pour pouvoir faire Le Pacte des loups, je prends un des personnages qui dans le script était un personnage pratiquement inexistant, un porteur de valise indien, et j’en fais le personnage de Mani, donc, qui devient cette espèce de Chaman guerrier… » Pour le rôle, il réengage sa muse Mark Dacascos, un choix cette fois très largement accepté. « Les gens de Canal+ disent : « C’est vrai, il va le faire, vraiment ? » C’est-à-dire que ce mec qui était un mec de séries Z dont personne ne voulait juste avant Crying Freeman devient brusquement… C’est comme si j’annonçais que Brad Pitt allait être sur le film. Au fond de moi je me dis : c’est incroyable quand même, quel métier de dingue ! ».

 

Le Pacte des loups : photo, Mark DacascosLa classe à Brad Pitt, au moins

 

Avec plus de moyens, il recrute une bonne partie de ses idoles, comme Philip Kwok, directement issu de la Shaw, David Wu, de retour au montage, ou même William Gereghty en tant que réalisateur de seconde équipe. De quoi former une « garde prétorienne » des scènes d’action, malgré un tournage rattrapé par l’ambition du projet.

« Bon, on connait bien l’histoire, le film est tourné dans des conditions très compliquées. On ne tourne que dans des décors naturels, à part une scène. Tout le film est capté en décors naturels et puis il y a eu des dépassements. Le film a été mal envisagé au départ. Il a été sous-estimé en termes de spectacle, et en même temps j’ai Samuel [Hadida] avec moi, qui n’arrête pas de me pousser à rajouter de l’action, des scènes spectaculaires, et il sait que j’adore ça. »

 

Le Pacte des loups : photo, Samuel Le BihanEt plein d’épées

 

Résultat : Le Pacte des loups coûte plus de 32 millions d’euros, une somme énorme, et il décontenance une bonne partie du public, pas franchement habitué à voir un film de capes et d’épées traversé de pures séquences de baston à la Chang Cheh, ni même un mélange d’influences aussi radical, d’une telle ampleur. Et tant mieux, car il rencontre un succès énorme avec plus de 5 millions d’entrées en France (le sixième plus gros carton de l’année derrière Harry Potter, Le Seigneur des anneaux et Amélie Poulain) et engage une carrière internationale triomphante, notamment aux États-Unis où il restera culte pour son ton très libre.

« Au fil des années, j’ai beaucoup voyagé. Je me suis aperçu que ce qui m’a été souvent reproché en France sur le film, son côté métissé, voire bâtard, sa violence, ses trucs de caméra – […] Comme le plan où Monica Belluci devient une montagne, des trucs comme ça –, en fait, c’est ce qui a fait le succès du film à l’étranger. Systématiquement, c’est ce qu’on me ressort aujourd’hui. Les gens aiment ces trucs-là parce que, pour eux, ce n’était pas attendu, c’est un bonus, quoi. C’est marrant parce qu’en France les gens disent : « Ah non, il ne faut pas faire ça, ce n’est pas bien, ce n’est pas de bon goût, là tu ne te contrôles plus, etc. » En même temps c’est à cause de ça que le film est devenu célèbre partout. »

 

Le Pacte des loups : photoHigh kick médiéval

 

Tout le monde l’imagine déjà céder aux sirènes d’Hollywood, mais le cinéaste reste chez lui, habité par l’envie de secouer encore un un peu plus ses compatriotes. En 2004, 3 ans après, il participe au retour en force du cinéma d’horreur hexagonal en produisant le premier long-métrage de Pascal Laugier, chargé du making of sur Le Pacte des loupsSaint Ange. Le metteur en scène fraichement promu livrera à son tour une oeuvre désormais indissociable du patrimoine culturel français quelques années plus tard, Martyrs.

De son côté, Gans essaie de monter d’autres blockbusters français : « J’ai chaque fois essayé de faire des projets qui correspondent à ce que je voulais voir dans le cinéma français, j’avais décidé de ne pas aller à Hollywood. J’avais des propositions qui étaient cool, certaines, plutôt cool. Mais je me suis toujours dit que c’était plus intéressant de faire des choses dans son pays ». Toutefois, les catastrophes Vidocq et Brocéliande, ainsi que plusieurs autres paramètres que les cinéphiles ne cesseront de commenter, tempèrent les ambitions des producteurs. 

 

Le Pacte des loups : photoUn jour normal à Lens

 

« Donc, j’ai toujours essayé de trouver les films qui pourraient plaire au public français, c’est pour ça qu’il y a eu Bob Morane, il y a eu Fantomas, il y a eu Rahan, 20 000 lieues sous les mers… qui sont pour moi des pinacles de la culture française. Bon il se trouve que les astres n’étaient pas alignés à ce moment-là. Des fois, je me suis entêté. Certain de ces films, trois fois j’ai essayé de les faire, dans le cas de Bob Morane par exemple. En même temps, je vais te dire, quand les astres ne sont pas alignés, les astres ne sont pas alignés. »

Que ce soit pour Nemo (longtemps préparé, mais abandonné à cause de la prudence des coproducteurs chinois), Patlabor, Onimusha ou même bien plus tard une adaptation de Corto Maltase (difficilement envisageable après la mort de Samuel Hadida), les astres se tiennent désespérément loin les uns des autres. Certains de ces potentiels longs-métrages font forcément saliver, comme Rahan, élaboré avec des spécialistes de la préhistoire, sur le modèle du chef-d’oeuvre de Mel Gibson Apocalypto. Christophe Gans reste amer.

 

Apocalypto : photoApocalypto, déjà une référence

 

« Rahan, c’était vraiment intéressant parce que tout le monde voulait de ce film, sauf les Français, alors que je pensais, très naïvement peut-être, que c’était le film qui pourrait être en France un vrai tube, une vision « action » de la préhistoire, des premières guerres entre les Néandertal et les Cro-Magnon, avec ce personnage de guerrier solitaire au milieu. Ben non. En fait, ce que voulaient les gens c’était RRRrrrr !!! quoi, le film de Chabat. Ils voulaient un truc rigolo. Et c’était surtout pas rigolo, Rahan. »

Il raconte avoir été marqué par un rendez-vous manqué chez France 3, où les exécutifs de la chaine lui expliquaient qu’ils ne financeraient plus un film comme La Guerre du feu, pourtant lui aussi un succès mondial. Il conclut : « Il y a des tentatives à droite à gauche, mais il n’y a pas de cinéma de genre« . Si l’actualité lui donne régulièrement tort, il faut avouer que le blockbuster à la française manque bien des occasions de se développer au-delà de sa zone de confort. Heureusement, il reste le jeu vidéo et les génies japonais.

 

La Guerre du feu : photo, Ron PerlmanLa guerre du feu, pas vraiment un précédent

 

Pour l’amour du jeu

Grand amateur de jeu vidéo (oui, de ça aussi), Christophe Gans adule les artistes de Konami, à juste titre, depuis sa découverte de Silent Hill sur PlayStation 1. Impressionné, il en parle à Samuel Hadida lors du tournage du Pacte des loups. Les deux compères se lancent dans l’aventure d’une adaptation, semée d’embuches. Non seulement la firme japonaise cherche logiquement à préserver l’aura mythique de sa saga, mais ses inconditionnels y sont plus attachés encore et ils voient d’un oeil très méfiant une adaptation semi-hollywoodienne du jeu.

Au terme d’une longue bataille de plusieurs années, au cours de laquelle le deuxième jeu est sorti, il finit par décrocher les droits, au nez et à la barbe de Miramax, Paramount, Sam Raimi et même Cruise/Wagner, la compagnie de Tom Cruise, tous intéressés par la licence. Sa botte secrète ? Son amour sincère du jeu, qu’il raconte dans une note d’intention vidéo de 37 minutes envoyée avec sous-titres à Tokyo. Il engage le scénariste Roger Avary, avec qui il a déjà collaboré sur Crying Freeman et entreprend de retranscrire à l’écran l’univers décrépi qui a fait le succès des deux premiers opus.

 

Silent Hill : photoGrosse ambiance

 

La narration est minimaliste, respectant la sensation de solitude du matériau original et les monstres nombreux. Toutes les créatures, à l’exception des insectes, entièrement numériques, sont des danseurs en costume, sélectionnés en fonction des animations du jeu. Un niveau de détail rare, qui parvient miraculeusement à convaincre les joueurs, dans leur immense majorité. L’humilité est appréciée :

« J’ai constamment rencontré les créateurs des choses que j’ai pu adapter et je leur ai toujours fait allégeance. Pour moi, l’important, ce n’est pas de s’approprier des choses qui ont été faites par des génies. Dans le cas de Silent Hill, la Silent Hill team d’origine c’est des génies. J’essaie simplement de participer, de participer à la diffusion de ce jeu extraordinaire. »

Cette approche ne séduira pas uniquement les détenteurs de manette, puisque le film récolte tout de même 100 millions de dollars pour 50 millions de budget et fait un nouveau carton en France avec 814 380 entrées enregistrées sur 4 semaines d’exploitation et 374 copies au maximum. C’est assez pour enclencher une suite, à laquelle Gans ne pourra finalement pas participer, probablement pour des questions d’agenda. Finalement, Avary est éjecté à son tour du projet (possiblement à cause de sa peine de prison), le studio décide de réorienter complètement la saga au cinéma, via l’implication de M.J. Bassett. Le résultat ne fera que souligner la modestie et la singularité du premier film.

 

Silent Hill : photoAu sommet de la pyramide

 

À l’époque, Gans navigue encore entre les futurs projets avortés, jusqu’à ce que l’un d’entre eux lui permette de revenir aux gros budgets français :

« La Belle et la bête, ça partait d’un projet que j’avais eu avec Thomas Langmann de porter à l’écran un livre étonnant, culte, qui s’appelle Le Cavalier Suédois. C’est un livre qui présente la particularité de se dérouler sur 5 saisons d’affilée, à peu près au même endroit. Ça commence en hiver, puis ça fait le printemps, l’été, l’automne, l’hiver. En fait, c’est un livre que plein de gens ont essayé de porter à l’écran et ils se sont tous fracassés sur la problématique d’attendre les saisons, le passage des saisons. »

Le cinéaste, bien au courant des technologies qui sont en train d’émerger à Hollywood, a une solution :

« Un jour je vais manger avec Jean-Louis Livi et Thomas Langmann qui étaient donc les gens qui possédaient les droits du Cavalier Suédois à cette époque, et ils me posent la question : « Si vous deviez faire Le Cavalier Suédois, comment vous le feriez ? ». Et je leur ai dit : « C’est simple, on le fait intégralement sur fond vert ». »

 

La Belle et la Bête : photoIl se met au vert

 

Amené à quitter la production, il se retrouve finalement sur une nouvelle version de La Belle et la Bête, déjà sublimée par Jean Cocteau en 1946. Il décide donc d’appliquer son idée à ce tournage, ce qui rassure une partie des coproducteurs, en particulier Richard Grandpierre, qui garde un très mauvais souvenir du tournage chaotique du Pacte des loups. « J’ai fait La Belle et la Bête comme l’antithèse absolue du Pacte des loups ».

Forcément, le choix décontenance, notamment chez Pathé. Lorsque le réalisateur leur présente des rushs, ils contemplent deux acteurs et pas grand-chose d’autre. Sur les 1000 plans du film, seule une demi-douzaine ne nécessitent pas d’effets spéciaux. Tout se joue en postproduction, à un point que l’industrie française n’a jamais vraiment expérimenté. Mais il n’y a pas de quoi s’affoler :

« Ça s’est super bien passé, en fait. […] Le film a été terminé dans les temps. Ils avaient la trouille que ça prenne des années pour terminer ce film ou il n’y avait rien et en fait ça s’est très bien passé.

 

La Belle et la Bête : photo« Comment ça, entièrement sur fond vert ? »

 

C’est un film tranquille, c’est le film le plus tranquille que j’ai fait puisqu’il a été fait entièrement en salle de montage, quoi, avec les mecs des effets spéciaux. Je recevais des plans tous les jours, on trouvait, on équilibrait, on mettait des trucs et puis voilà, à l’arrivée je trouvais que c’était intéressant qu’on démystifie le film d’effets spéciaux. Qu’en France, on fasse un film d’effets spéciaux dans des conditions naturelles. »

Une véritable démonstration qui a, une fois de plus, rarement été reproduite malgré, une fois de plus, son succès : avec un budget de plus de 34 millions d’euros, il attire 1,8 million de spectateurs en France (l’année de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? et ses 12 millions d’entrées…) et s’exporte aux quatre coins du globe, notamment en Amérique latine et en Asie, où il rencontre un large public.

 

La Belle et la Bête : photoQuelques plans sublimes

 

Pour autant, le cinéaste n’a pas jeté l’éponge. Son prochain projet ? Un nouveau Silent Hill, toujours en collaboration avec les exécutifs japonais, qui comptent bien reprendre la main sur leur franchise après le saccage Revelation 3D :

« Là, j’ai pratiquement fini les story-boards de ce nouveau Silent Hill et il y a effectivement quelques clins d’oeil à PT [légendaire démo du Silent Hills annulé, ndlr] parce que, évidemment, ça nous a tous fait rêver. »

Avant ça, on le retrouvera dans les salles de cinéma en cette fin d’année pour voir et revoir Avatar 2, en admirateur du travail de James Cameron et de son dernier blockbuster en date. Car avant d’être un metteur en scène important – et l’enthousiasme dont il a fait preuve au cours de cet entretien, qu’on a malheureusement du expurger de ses longues et passionnantes digressions, le prouve –, Christophe Gans est un indécrottable cinéphile.

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Cidjay

Très bel article !
J’aime beaucoup de films de Gans, mais force est de constater que France et effets spécieux ne font pas bon ménage !!!
et pourtant, chez nous, il y a tellement de possibilités avec un véritable vivier de talents.
Perso, je paierai cher pour voir une bonne adaptation par Gans de « Lanfeust de troy » !

Arnaud (Le vrai)

Quand Gantz a sorti son Pacte Des Loups a l’epoque, on etait dans une periode ou on a eu Vidocq (film raté certes mais qui a tenter clairement quelque chose et ca je le respecterai toujours) ou encore Les Rivieres Pourpres qui etait vraiment bien foutu comme thriller

Je m’etais dit qu’enfin le cinema francais allait sortir de ses sempiternels comedies franchouillardes, polar et autre drame vus et revus 200 fois. Ca y est on a des reals qui essayent bordel !!!

Bon ben 25ans plus tard … on a Alad2 ou Les Tuches 4 quoi ….

Marc en RAGE

Le pact des Loups sorti en 2001 quel film ! Le constat 21 ans après le Cinéma Français est capable encore de nous surprendre et produire de tel film ? En 2019 Le Chant du Loup En 2021 Boîte Noir les seuls film qui m’ont surpris. Rien est perdu.

Éric Zemmour

Cet article est un véritable chef d’oeuvre !
Merci Mathieu Jaborska

SebSeb

L’enthousiasme de ce type force le respect, et ce qu’il a fait avec Starfix dans la presse puis avec sa collection HK l’érige en parangon des vecteurs de cinéphilie dans ce pays. Ses films ne sont peut être pas parfaits mais bordel si les décideurs pouvaient juste capitaliser plus sur des passionnés de ce type dans nos productions, on serait bien plus fiers à l’international avec des blockbusters qui ont de la gueule. Les français regardent mais sans plus ce type de films (jusqu’à 2-3 millions d’entrées) ? On s’en fout, ça se rentabilise partout ailleurs !

Miami81

J’ai beaucoup de respect pour Christophe Gans et sa carrière ainsi que pour ce qu’il a fait pour le cinéma hexagonal. Je suis allé voir tous ses films au cinéma depuis Crying Freeman. Après, si je prends du recul, force est de constater que s’ils n’avaient pas été réalisés par un français, je ne suis pas certain que j’aurais eu la même indulgence pour ses films.
Crying Freeman est d’une beauté éblouissante, mais son faible budget rend le film un peu mou du genou et peut rebuter les non amateurs de manga. Le pacte des loups m’avait donné une vraie claque au cinéma, j’étais comme un fou en sortant, mais pas certain toutefois qu’il ne serait pas tombé dans la case nanard s’il avait été réalisé par un américain (même si je sais que le film à une bonne aura aux Etats Unis).
J’ai détesté la fin full CGI de Silent Hill.
Reste au final La belle et la bête qui est à mon sens son film le plus abouti.

Pearllylee

Je rejoins totalement le commentaire de Castor, écris plus bas, tout est dit.
Je ne comprend en aucun cas l’engouement autour de lui.
J’avais pourtant adoré « Crying Freeman », jusqu’à ce que je réalise qu’il ne s’agissait que d’un total copié collé de l’anime sorti en 1988, et cela dans les moindres plans.

Guizmo

@laredaction
Un article du même genre sur Jan Kounen?

Popeye

Un grand monsieur ce Christophe Gans. Respect total.

bullet

G G c’est un génie même que les ricains nous l’envie !
Le pacs des loups c’est juste énorme je l’ai vu 14 fois énorme !
Donnez lui 100 patates pour le prochain yes