Avant Under the Skin, Jonathan Glazer a signé un premier film impressionnant avec Sexy Beast, et son Ben Kingsley déchaîné.
Si le début du XXIe siècle a vu émerger une belle quantité d’auteurs de talent, peu ont l’aura de Jonathan Glazer. À l’origine clippeur pour Radiohead, Jamiroquai, Blur et Massive Attack, l’artiste anglais s’est distingué rapidement par la singularité de ses propositions cinématographiques. Pour autant, Glazer n’a à son actif que trois longs-métrages, dont les envoûtants Birth et Under the Skin.
Un peu comme lors des débuts de Terrence Malick, le réalisateur sait se faire désirer, si bien que sa rareté nous fait attendre la bave aux lèvres sa prochaine excursion sur grand écran. Quitte à patienter, autant revenir sur le premier coup d’éclat du cinéaste, à savoir Sexy Beast, comédie anglaise dans la mouvance des films de gangsters de Guy Ritchie, mais qui pousse le concept dans une bizarrerie bienvenue.
The LION King(Sley)
Dès le départ, Sexy Beast s’assume comme une comédie décalée. Gal (excellent Ray Winstone) est un gangster anglais à la retraite, parti se réfugier avec sa femme et un couple d’amis dans une villa perdue dans les tréfonds de l’Espagne. Avec sa bedaine et sa peau rendue écarlate par un trop-plein de bronzette, le personnage est présenté comme un cliché ambulant de ces riches bourgeois britanniques dont la beauferie décomplexée s’étend à l’étranger.
Et puis, aux abords de sa piscine, un événement improbable se déroule : un énorme rocher se détache de la colline, et vient s’écraser dans le bassin en frôlant de peu le protagoniste. Le symbole est clair : derrière le bonheur qu’il s’autopersuade d’avoir au travers de son ostracisation, Gal sait qu’une tempête ne va pas traîner à lui tomber dessus. Et cette tempête, elle a un nom : Don.
On oublie bien souvent que Ben Kingsley, souvent reconnu pour ses performances dans La Liste de Schindler et Gandhi, a trouvé l’un de ses meilleurs rôles dans le premier film de Jonathan Glazer. Sorte d’hyperactif étonnamment méthodique, Don est une bombe à retardement permanente, dont le calme apparent n’est qu’une méthode d’intimidation qui cache un personnage toujours sur le point d’exploser.
Quand on parle de l’élément perturbateur d’un récit, beaucoup d’écoles de cinéma devraient se baser sur l’exemple précis de l’arrivée de Don en Espagne, venu pour convaincre Gal de revenir en Angleterre afin de participer à un casse qu’il met en place. Étant donné que notre héros a déjà fait un peu de prison, et qu’il est parvenu difficilement à s’extraire du milieu, il n’a pas vraiment envie d’y retourner. Sauf que Don n’apprécie pas le mot « non ».
UNDER YOUR SKIN
Cela étant dit, Sexy Beast est surtout une belle occasion de rappeler que la réussite d’une interprétation est toujours dépendante de la manière dont elle est mise en scène. Or, c’est là que le film de Jonathan Glazer surprend, surtout quand on le compare à des œuvres comme Arnaques, Crimes et Botanique. Le long-métrage est comme un long rire gêné, qui met en place avec une précision chirurgicale une caméra qui se laisse embarquer par le personnage de Don.
En réalité, le décalage recherché par le cinéaste ne l’empêche pas de piocher dans des inspirations plus anciennes, à commencer par le cinéma de Martin Scorsese. On pense particulièrement au rôle hystérique de Joe Pesci dans Les Affranchis, qui prend tellement le contrôle de l’espace que l’objectif est obligé de s’adapter à lui par des plans fixes.
Dans le même ordre d’idées, Sexy Beast dépend entièrement de Don, de la symétrie qu’il impose à une scénographie dont il est le centre de gravité, à la manière d’un piquet inamovible, où seule sa tête bouge pour scanner son environnement, et chercher des regards qui ne veulent pas croiser le sien.
Cette envie est même grandement explicitée lors de l’une des scènes pivots du film, où l’on voit Don éloigner Gal de sa piscine pour que la conversation se déroule sur une table de jardin. Don choisit le terrain de l’affrontement verbal. Il impose son territoire comme un animal (ce qu’il fait d’ailleurs aussi en urinant sur la moquette d’une salle de bain), avant de bombarder de questions son interlocuteur.
Dès lors, Sexy Beast devient un passionnant film sur le pouvoir de fascination lié à l’intimidation. Par la simple violence de ses mots, sortis avec un accent british caricatural et un débit de mitraillette, Don assure une pression psychologique sur Gal et son entourage, quitte à se déshumaniser au fur et à mesure du métrage, jusqu’à ce travelling compensé dans un aéroport qui l’isole plus que jamais de la foule alentour.
Si le cinéma de gangsters peut être réduit à la peinture d’une chaîne alimentaire du pouvoir, Jonathan Glazer s’en amuse ici par une mise en scène focalisée sur l’hyper-contrôle de cet antagoniste terrifiant. À partir de là, le cinéaste se lâche côté effets de style, qu’ils soient plus ou moins fins et adaptés à son sujet. Mais par sa soif d’expérimentation, Sexy Beast fascine, notamment lorsqu’il emprunte à Star Wars le fait de toujours faire apparaître Don plus grand que les autres personnages dans les plans, comme Lucas l’a fait avec Dark Vador dans toute sa saga pour asseoir sa supériorité.
Piscine et décadence
Là réside une pure question de cinéma. Pour Glazer, il s’agit toujours de définir les personnages par le langage corporel. Quand bien même Don lance un nombre ahurissant de répliques, on pourrait presque visionner Sexy Beast sans le son, tant les rapports de force s’expriment entièrement par l’image. On en veut pour preuve cette séquence où Gal, acculé dans le coin de sa cuisine, est recroquevillé face aux assauts verbaux de Don.
La mise en scène se voit alors piratée par ce protagoniste hors-norme, du moins jusqu’à ce que l’escalade de cette violence psychologique (et physique sur la fin) amène à sa mort. À partir de là, Sexy Beast fait le pari d’un changement franc de tonalité, en redevenant un film de braquage aux couleurs plus froides.
Gal ne veut pas éveiller les soupçons sur l’assassinat de Don, mais le postulat de Glazer reste le même. Son corps empoté et mal à l’aise peine à trouver sa place dans les cadres du cinéaste, alors que le mafieux Teddy Bass (Ian McShane) se montre pour sa part imperturbable, toujours à prendre pleine possession du champ, jusqu’à une séquence de petit-déjeuner absolument glaçante.
Ian McShane, toujours flippant
À première vue, Sexy Beast semble ne pas avoir beaucoup de rapport avec les films suivants de Jonathan Glazer, si ce n’est qu’il constitue un brouillon passionnant de sa stylisation à l’extrême, qui ne demandera qu’à se dégrossir et à se perfectionner sur ses chefs-d’œuvre suivants.
Et pourtant, son rapport au corps de ses personnages dit déjà tout de Birth et d’Under the Skin, bijoux sur des êtres pas comme les autres, qui cherchent justement à se mettre en scène en tant qu’humains (un adulte réincarné dans le corps d’un enfant, un extraterrestre camouflé dans un corps de femme). Leur œil ne peut en venir qu’au même constat que la caméra : pour comprendre ce qui fait le spécificité de la race humaine, il faut embrasser sa bizarrerie et son irrationalité, son flux permanent d’émotions contradictoires, déjà encapsulées dans le volcan que représente Don.
Loin d’être un film mineur, Sexy Beast joue du genre qu’il investit pour l’amener vers des contrées plus abstraites, plus métaphysiques. Si les gangsters sont plus ou moins réduits au parcours classique du rise and fall, Glazer détourne cette fatalité, alors que Gal tombe de plus en plus dans une forme de superstition. Comment interpréter un symbole aussi fort qu’un boulet qui s’abat sur une piscine ? Pour le réalisateur, tous ces éléments sont finalement bien peu de choses comparées au pouvoir d’évocation des corps qu’il a mis en scène depuis le départ.
C’est par eux que sa narration se dessine malgré le chaos global causé par ses personnages. En focalisant un regard, en le construisant par les limites du cadre et du montage, le cinéma met de l’ordre dans le désordonné, et capte là une étonnante beauté, y compris dans l’horreur que le réalisateur saura sublimer dans son ovni inclassable avec Scarlett Johansson.
Bof pas terrible de mémoire.
Grand film .Un Ben Kingsley tantôt inquietant,tantôt hilarant,tantôt psychotique et tantôt ecoeurant et méprisable. Inoubliable Don Logan.
Ray winstone impeccable ,doit refuser les « avances » criminelles de Don Logan.
Jonathan Glazer prouve que derrière sa caméra, on peut faire un film dans une hacienda espagnole sans être chiant.
Une déception pour ma part. Jonathan Glazer c’était l’époque des clippers cools et inventifs des 90’s début 20’s avec Spike Jonze, Michel Gondry ou encore Mark Romanek voire Chris Cunningham (école The Work od Director). Je passe. Préfère revoir à la limite Birth.