Avant de secouer le cinéma japonais et américain, Ryûhei Kitamura balançait toutes ses influences dans une indigeste orgie de sang et de sabres.
Evil Dead et dans une moindre mesure ses suites n’ont pas seulement révélé un grand artiste du cinéma populaire américain. Ils ont également réorienté toute une industrie et inspiré une génération de cinéastes tapageurs. Génération dont fait indéniablement partie Ryûhei Kitamura, à qui on doit aux États-Unis Midnight Meat Train, No One Lives ou Downrange et au Japon Azumi, Rupan sansei ou encore Godzilla : Final Wars.
Lorsqu’il découvre les expérimentations fauchées de Sam Raimi, le jeune Kitamura prend conscience qu’il n’a pas besoin de producteurs méfiants et de montages financiers astronomiques pour faire du cinéma qui tâche et qui tabasse. Il lui suffit de mettre la main sur une bande d’amis, un minimum de matériel et un demi-hectare de forêt. Une modestie qui va lui permettre de tourner plusieurs courts/moyens-métrages, puis son premier long : Versus, l’ultime guerrier. Une gigantesque et interminable partouze d’influences en tous genres qui pousse le système Raimi dans ses retranchements.
Ozploitation made in Japan
Kitamura est l’un des nombreux ambassadeurs de cette génération de cinéastes cinéphiles, qui sont passés à la mise en scène dans les années 1990 pour tout simplement suivre les pas de leurs idoles. Bien que japonais, il se passionne très vite pour le cinéma américain, et plus encore pour le cinéma australien.
Les oeuvres de George Miller, Russel Mulcahy et Peter Weir l’encouragent à choisir le destin de réalisateur dès ses 16 ans. Il s’exile donc… en Australie et y étudie les arts visuels pendant deux ans. Au même moment, il découvre Evil Dead. À Midnight Eye, il confiera : « C’était incroyable. Je n’avais jamais vu ce genre de films artisanaux auparavant. Ça m’a convaincu que je pourrais peut-être faire ce genre de choses aussi ».
Et pour cause : en sortant de son école et pendant toute la première partie de sa carrière, il est persuadé que l’industrie de son pays n’est plus capable de faire du divertissement. Son ambition ? « Revitaliser l’esprit des années 1980 avec le style des années 2000 », comme il le dira dans la compilation d’interviews Deep in the woods. À 19 ans, il finit donc des études qu’il a en fait passées à trainer avec ses amis et à assister à des concerts par un traditionnel court de fin d’études. Tourné en deux journées, monté en une, produit avec les 100 euros qui lui reste dans sa poche, Exit consiste déjà en une baston forestière avec zombies, grosses mandales et sabres bien sûr.
Un hommage désinvolte, voire je-m’en-foutiste au chanbara, genre emblématique du cinéma populaire nippon dont le cinéaste pleure la (quasi) disparition, doublé d’un melting pot d’influences australiennes et occidentales. Un essai remarqué par les étudiants et les professeurs, mais qui ne lui ouvre pas tant de portes. Pendant 5 ans, il chante dans un groupe, de son aveu même trop feignant pour revenir au 7e art.
Une affiche aussi crado que le film
Il finit néanmoins par revenir au Japon et au cinéma avec un autre projet complètement fauché : Down to Hell. Il tourne avec six personnes, casting et équipe, ainsi qu’une caméra vidéo, sur les plages horaires allouées par son travail à mi-temps. Et devinez quoi ? On y trouve des zombies, de la baston et de la forêt.
Le résultat le satisfait et il part démarcher des producteurs… qui l’envoient paître. Il rencontre toutefois le cinéaste Atsuro Watabe et les deux compères se lancent dans un film, l’un en tant que cinéaste, l’autre en tant que producteur. Heat After Dark n’est pas une sinécure pour Kitamura : encore inexpérimenté, il est forcé de gérer une équipe professionnelle, qui ne suit pas toujours ses indications. Passablement irrité, il décide de leur montrer de quel bois il se chauffe en revenant à ses premières amours, plus économiques.
Heat After Dark, avec de la forêt, mais pas de zombies…
Joue-la comme Raimi
« Je savais que je n’avais qu’une seule autre chance et que je devais faire quelque chose qui allait vraiment changer ma vie », racontera l’artiste à Action Reloaded. Ce quelque chose, c’est donc une suite à Down to Hell, ce micro-film qu’il s’est tant amusé à faire avec ses amis, sobrement intitulée Down to Hell 2.
Somme de départ : 10 000 dollars, pour un tournage sur le modèle du premier volet, en vidéo. Sauf que la pré-production donne la folie des grandeurs à toute l’équipe, y compris à de jeunes comédiens dont le metteur en scène perçoit tout de suite le potentiel. Tak Sakaguchi, par exemple, se battait dans la rue quand il s’est fait repérer par le réalisateur, qui l’a directement convaincu qu’il mettrait mieux ses talents martiaux à profit devant une caméra. Hideo Sakaki, quant à lui, n’était connu que pour le remarqué This Window is Yours avant de se bastonner dans Versus, ce qui lui faisait déjà une plus grosse expérience que celle de la jeune Chieko Misaka.
Une bande de jeunes talents qui se retrouve dans les bois pour tourner ce qui va vite devenir un projet indépendant. Pour Kitamura, c’est un gros risque, qu’il accepte de prendre. Il appelle alors tout son répertoire – famille, ex, producteurs – pour lever des fonds, quitte à contracter une grosse dette pour finir son long-métrage :
« Chaque jour, nous tournions dans les montagnes et dès qu’on avait terminé, nous commencions à passer des coups de fil. […] On ne pouvait pas faire d’autre travail, donc c’est encore un grand mystère de savoir comment on a pu survivre deux ans de dur labeur sans argent du tout. »
Pourquoi la forêt ? Il sera très direct à Gérardmer, au micro d’Objectif Cinéma : « C’était le seul endroit où la police ne venait pas ! Je n’aime pas quand la police débarque et se met à hurler. Je n’aime pas la police et c’est pourquoi j’en tue beaucoup dans mes films ! ». Forcément, c’est très dur. Tout le monde met la main à la patte, de l’équipe aux comédiens, chargés de s’occuper du clap, de la production, de la nourriture et d’à peu près tout le reste.
Pas question pour autant de faire des concessions sur le style. Kitamura improvise en permanence et pousse ses comédiens à en faire de même, si bien que ceux-ci compareront dans les featurettes son approche à un morceau de free-jazz. Enfin, en plus violent, puisque Sakaki se casse quand même trois côtes et une dent. Plus ambitieux encore, dans la grande tradition raimiesque, il refuse de recourir au plan fixe et à la caméra portée, privilégiés par les techniciens en manque de flouze. Il aime le mouvement, les travellings avant supersoniques et les grues en tous genres. Seule une scène au début, filmée en l’absence du chef opérateur, est à l’épaule. Et dans le commentaire de l’édition Arrow, elle suffit à l’agacer.
Gérard aime
Un long parcours du combattant, pensé pour conquérir le marché occidental plutôt que le marché japonais, quelques mois à peine après la brèche d’Audition, qui révèle au fil de ses passages en festival l’illustre Takashi Miike. Et c’est plutôt bien vu : au début des années 2000, la cinéphilie se propage énormément par ce biais. Ils visent donc non pas des manifestations locales, mais des festivals spécialisés réputés dans nos contrées, dont le TIFFF… et Gérardmer, où le film alors complètement inconnu est projeté lors de la nuit trash et remporte largement l’adhésion du public.
« On voulait faire quelque chose qui n’avait jamais été fait auparavant et on a décidé de le faire pour le public de Gérardmer. J’ai toujours voulu être ici avec mon film, car j’avais lu quelque part que le public de ce festival était fou et excité, alors on a décidé qu’on allait faire un film pour lui. On se fout du public japonais, ce qui nous intéresse, ce sont les fous de Gérardmer ! »
Quelques mois plus tard, il sillonnera les grandes messes de cinéma fantastiques en Europe et décrochera même un prix de la mise en scène au Fantafestival de Rome.
Et un Kenji Matsuda au sommet de sa forme
Ses séquences d’action ininterrompues, qui se revendiquent autant de Mad Max 2 que de Commando, de John Carpenter que des bandes dessinées Devil Man, sont calibrées pour draguer les amateurs de bidoches et les nostalgiques du cinéma d’exploitation décomplexé qui se retrouvent lors de ces évènements. Aidé par une presse spécialisée très impressionnée, Versus acquiert vite un petit statut culte qui lui réserve une place de choix dans les bacs de DVD.
Kitamura n’accède pas encore à Hollywood, comme il l’espérait, mais il se permet dès lors de travailler avec des producteurs et de mener son petit bonhomme de chemin, jusqu’à carrément réaliser un Godzilla historique et finalement partir au pays de l’Oncle Sam adapter Clive Barker. Tak Sakaguchi est également promis à un bel avenir, de Tokyo Gore Police à Prisoners of the Ghostland plus récemment. Globalement, une bonne partie du casting va faire son trou.
Il découpera 588 ennemis en plan-séquence dans Crazy Samurai : 400 vs. 1
En 2004, Kitamura tourne quelques scènes supplémentaires et sort Ultimate Versus, d’une longueur complètement disproportionnée de 130 minutes. Lors de son arrivée aux États-Unis, à la fin des années 2000, le cinéaste laisse miroiter un remake américain, puis une suite, qui n’ont toujours pas vu le jour. Aujourd’hui, il continue à sévir dans la série B bourrin, puisqu’il a dirigé notre Jean Reno national et Ruby Rose dans The Doorman, et qu’il a encore de multiples projets sur le feu. Mais comme Sam Raimi avant lui, il restera pour beaucoup l’homme qui a su réveiller les enfers avec quelques arbres, quelques amis et beaucoup de volonté.
J’ai découvert ce film dans un bac de dvd d’occaz avec un pote du lycée, vu par une journée de sale temps dans la salle télé de l’internat… mais quels souvenirs! Ces bastons avec guns et sabres, le sang écarlate qui gicle de partout avec ce côté film fauché mais qui s’assume à fond, à l’époque c’était une révélation pour nous!! Comme quoi le contexte de visionnage d’un film influe beaucoup (beaucoup) sur le ressenti et l’appréciation ( qui a dit que j’enfonçai des portes ouvertes?). Merci Ecran Large pour cet article qui a ravivé ces souvenirs (et qui va me faire abonner 😉 )
idem un film que j’ai surkiffé au cinéma du haut de mes 18 ans. Je trouvais tellement les personnages tellement stylés. J’ai vus ensuite de façon pas très légal Aragami (je n’avais pas trouvé d’édition française à l’époque) . Cela a été une vraie claque de huit clos. J’avais compris qu’il avait été tournée autour d’un paris entre réal. Avec des contraintes le budget, le nombre de perso qui devait avoir dans le film ect…
Aux states j’ai bien aimé son film « No Ones lives »
Je croyais être le seul mec au monde à connaître et apprécier ce film mdrr
Cultissime
C’est surtout et avant tout son bon film.
Par contre je tiens à dire que le salopiot qui rigolait comme un porcin au Pathé place d’Italie a quasi foiré ma séance.
J’ai de la mémoire oui.
Découvert par hasard au Lycée (à l’époque) c’est rapidement devenu un film culte pour nous.
Un bon gros délire régressif de sale gosse comme les japonais savent les faire.
Ca a pris un bon coup de vieux quand même, même s’il garde son charme.
Comme les autres, c’est le premier kitamura que j’ai vu, et j’en garde un très bon souvenir.
Par la suite, j’ai découvert azumi, midnight meat train, godzilla final wars, et il faut que je matte downrange , no one lives, et son nouveau film, the price we pay, qui n’a pas l’air follement original, mais quand même.
Fauché comme les blés mûrs en septembre mais cette mandale de l’enfer !!
J’adore ce film
Complètement, découvert au (feu) Jean Vigo a Bordeaux. Après, même foutraque, j’aime bien son Midnight Meat Train.
Probablement le chef-d’œuvre de Kitamura malgré un budget rachitique