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Twilight 1 : oui, c’est un sommet de cringe, et c’est tant mieux

Par Axelle Vacher
26 décembre 2022
MAJ : 24 mai 2024
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On lui a tapé dessus, on l’a tourné en ridicule, on l’a érigé au panthéon des pires films qui soient, et pourtant. Promis, juré : Twilight, avec Kristen Stewart et Robert Pattinson, c’est (très) bien.

Avertissement : la rédaction d’Ecran Large se désolidarise de la personne qui a imposé écrit cet article.

C’est bien connu. Peu de choses sont plus tentantes en ce bas monde que de brocarder une franchise non seulement appréciée du grand public, mais surtout des adolescentes. Il n’y a donc rien eu de bien surprenant lorsque le franc succès de Twilight, bluette mièvre entre un vampire scintillant et une jeune fille plus pâle que lui, a inévitablement laissé place à une vague de railleries sempiternelles.

Adapté de la saga littéraire écrite par Stephenie Meyer au début des années 2000, le premier film, réalisé par Catherine Hardwicke, a récolté quelques 383,5 millions de dollars au box-office. Hollywood oblige, une vague de Young Adult a suivi, avec notamment Les Âmes vagabondes, Sublimes Créatures, The Mortal Instruments ou encore Divergente – et beaucoup d’autres échecs spectaculaires. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et ces vilains petits accidents cinématographiques s’en sont retournés au néant, dont ils avaient été regrettablement tirés.

L’heure est donc venue. Il est temps de finalement redorer le blason entaché de Twilight, parce que dans l’ombre de l’énorme machine mercantile et des innombrables détracteurs de la saga se tapit en réalité un chouette premier film.

 

Twilight, chapitre 1 : Fascination : photo« Twilight, c’est super bien, t’as compris ?! »

 

High school misery

Le principal argument de tout bon opposant au phénomène Twilight réside dans l’embarras qu’il peut susciter chez le spectateur. Sont ainsi réprouvés le scénario et les dialogues affligeants, le filtre bleu imposé à l’image d’un bout à l’autre, les effets visuels et spéciaux de bric et de broc, la mise en scène par moment plus réminiscente d’un clip musical que d’un film sérieux, ou encore les performances jugées douteuses du casting central.

Il ne s’agit nullement de chercher à discréditer ces différentes critiques, au risque de flirter outrageusement avec la mauvaise foi. En effet, le film, et plus généralement l’ensemble de la saga, se répondent d’une tendance à l’exacerbation difficile à ignorer. Cette démesure aussi observable dans la forme que dans le fond fait toutefois intégralement partie de l’ADN du projet, tant en termes de production, de récit, que de partis pris artistiques.

 

Twilight, chapitre 1 : Fascination : photo, Kristen Stewart, Anna KendrickL’angoisse Y2K en bandoulière

 

Avec un budget de 37 millions de dollars (lequel inclue les frais promotionnels et le coût d’achat des droits d’adaptation détenus par la Paramount), la cinéaste Catherine Hardwicke n’a guère eu d’autre choix que de construire certaines scènes à partir de bouts de ficelles (ou, en l’occurrence, de câbles mal détourés en post-production). Ok, c’est un peu une demie-excuse puisque les limites budgétaires sont monnaie courante dans le monde merveilleux d’Hollywood, et la capacité d’un.e cinéaste à composer autour est aussi nécessaire que de savoir dire « Action ! ».

Autre facteur et pas des moindres : Catherine Hardwicke elle-même. Issue de la scène indépendante, la réalisatrice derrière le sulfureux teen movie Thirteen (qui profitait lui aussi d’une colorimétrie excessivement bleutée) a initialement été approchée par Summit Entertainment sur la base de ses travaux précédents. Bien connue pour ses récits dépeignant une vision singulière quoiqu’extrême de l’adolescence, Hardwicke semblait ainsi être la candidate idéale pour donner vie à cette histoire centrée sur l’intensité propre à cet âge délicieux.  

  

Twilight, chapitre 1 : Fascination : photo, Edi Gathegi, Rachelle Lefevre, Cam GigandetBlack Eye Peas

 

Car c’est finalement bien là que réside l’essence même du premier Twilight : le spleen et la démesure sont le propre de l’adolescence. Si l’humanité tout entière s’est brusquement liguée dans les années 2010 pour cracher sur le phénomène et multiplier les parodies diverses et variées, peut-être s’agirait-il de ressortir les photos de classe et les albums Facebook de certain.es.

« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans« , écrivait Rimbaud en 1870. Et en toute franchise, qui peut se regarder dans un miroir et soutenir le contraire ? Les années lycée ne sont certainement pas reconnues pour être les plus glorieuses du cycle de la vie, et c’est cette maladresse qu’Hardwicke s’est attachée à figurer, parfois peut-être trop bien.

Oui, les dialogues sont incommodants, oui, Kristen Stewart et Robert Pattinson en font des caisses, oui, certaines séquences explosent le cringeomètre. Mais vampirisme mis à part, c’est exactement à cela que ressemble le carnage hormonal post-puberté : à un savant mélange de complexes, bévues, nervosités et autres joyeusetés. Difficile donc d’imaginer que la figuration sans détour d’une époque aussi disgracieuse ne plonge pas le spectateur dans le malaise. Oui, ça pique. Mais ainsi va la vie.

 

Twilight - chapitre 1 : Fascination : Photo Kristen Stewart, Robert PattinsonLe bal de promo de Mercredi Addams était plus fun 

 

entretien avec un mormon

Bien évidemment, ça n’excuse pas tout, et même un aveugle finira par voir les aspects moins défendables. Le passage des années n’a pas été tendre avec le film. Avec le temps, Twilight a ainsi largement été accusé de dépeindre, voire glorifier une relation toxique, tout en perpétuant moult valeurs aussi conservatrices qu’archaïques.

Il est de notoriété publique que Stephenie Meyer est une mormone pratiquante, ce qui a non seulement impacté la caractérisation de ses différents personnages, mais aussi les tenants et aboutissants de son récit. Beaucoup de spectateurs ont ainsi observé a posteriori différents segments narratifs prônant la supériorité de l’homme sur la femme, l’acceptation par le personnage féminin d’un tempérament potentiellement dangereux chez son partenaire, la valorisation d’une tendance à l’abnégation et à la codépendance, ou encore la banalisation du harcèlement (non, il n’y a rien de romanesque à s’introduire clandestinement dans la chambre de sa chère et tendre pour mieux la stalker dans son sommeil, comme on le sait depuis la saison 1 de Buffy).

 

Twilight, chapitre 1 : Fascination : photo« Aurais-tu un instant pour parler de notre Seigneur Jésus Christ ? »

 

Si certaines des valeurs dont Meyer – et donc, le film – semblent faire l’apologie sont disputables, pour le dire poliment, il s’agit néanmoins de veiller à ne pas tout jeter dans la même benne à ordures. Certes, il va sans dire que Twilight se trouve à des années-lumière d’autres récits centrés autour de figures vampiriques telles que Dracula, Nosferatu ou Génération Perdue ; après tout, Edward et sa petite famille sont dépourvus de crocs, brillent au soleil et préfèrent becqueter du chevreuil plutôt que de se nourrir de sang humain. Alors côté monstre sanguinaire, clairement, on repassera.

Malgré cela, le playboy centenaire n’en reste pas moins un vampire, aussi édulcoré soit-il. De fait, certaines caractéristiques problématiques du personnage peuvent être, sinon excusées, du moins justifiées par sa nature de prédateur soumis à d’inéluctables pulsions (meurtrières). La soif chronique d’Edward mêlée à son inapaisable frustration le placent dans une position équivoque : si ce qu’il ressent pour Bella au début du récit semble se méprendre à de l’affection, tout reste déterminé par ses instincts de chasseur. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le personnage traque cette dernière et plus tard, cherche à l’avertir de ses pulsions. 

  

Twilight - chapitre 1 : Fascination : photo, Robert Pattinson« Hey Alexa, joue Toxic par Britney Spears »

 

Là où le scénario de Melissa Rosenberg (laquelle signera également l’écriture des quatre autres films de la franchise, mais aussi, plusieurs épisodes de la série Dexter) devient effectivement problématique, c’est dans son traitement de la dualité du personnage de Robert Pattinson, et surtout, la légitimisation des agissements de ce dernier.

Bien que Twilight ait avant tout été écrit comme une histoire d’amour fantastique, Edward Cullen n’est pas censé suppléer le rôle de prince charmant, ce sur quoi Meyer elle-même a longuement insisté. L’exploitation du caractère multidimensionnel du personnage manque ainsi cruellement de subtilité, ce que la stratégie promotionnelle du film, pleinement axée sur le versant romantique du récit, achève d’annihiler au bulldozer.

 

Twilight, chapitre 1 : Fascination : photo, Peter FacinelliModern family

 

un vampire nommé désir

Mais peu importe, au fond. En dépit de ces « quelques » défauts, Catherine Hardwicke a assemblé un film à l’identité artistique bien définie (oui, il faut penser à cette bande-son devenue absolument iconique), laquelle encapsule pleinement toute l’ampleur du désir adolescent, et des inélégances que cela implique.

Mais respirez. Personne ne compare l’expérience d’un Twilight à celle d’un Scorsese, d’un Truffaut, ou d’un Coppola (père ou fille, à vous de deviner). Twilight n’est, après tout, qu’un teen movie destiné à retranscrire l’intensité et le ridicule du premier amour. C’est par ailleurs la véhémence des sentiments décrits par Meyer à travers la perspective de Bella qui a finalement convaincu Hardwicke d’accepter de diriger le projet (celle-ci avait initialement rejeté les cinq scénarios qui lui avaient été proposés par Summit).

 

Twilight, chapitre 1 : Fascination : photo, Kristen StewartLe début de la fin

 

Dans son livre Twilight : Director’s Notebook, la cinéaste a ainsi confié : « Mon défi était de traduire à travers ce film les incroyables émotions décrites par Stephenie – de retranscrire cet amour démentiel, obsessionnel, hypnotique et profond à l’écran. Je voulais faire ressentir au spectateur ce qu’elle [Meyer, ndlr] a pu faire ressentir au lecteur quand il se laisse transporter par Edward et Bella« .

Et c’est effectivement cette profonde émotionalité qui se retrouve non seulement au cœur du récit, mais aussi dans l’approche filmique. Il va sans dire que Twilight ne brille pas particulièrement par son scénario, qui est somme toute relativement basique. Tout gravite davantage autour des mouvements intimes de ses personnages que de l’action. De fait, la mise en scène de Catherine Hardwicke est pensée pour saturer le cadre d’un torrent hypersensible incessant.

 Twilight - chapitre 1 : Fascination : Photo Kristen Stewart, Robert PattinsonIn the mood for blood 

 

Chaque plan déborde de sensations proches de l’ivresse – qu’il s’agisse d’amour, d’impatience, de frustration, de sensualité ou encore de désespoir. La figure du vampire ne devient alors plus qu’un prétexte, une métaphore de la voracité organique des premiers désirs. L’exacerbation continue du récit (quitte à régulièrement virer dans l’absurde) vise ainsi à retranscrire l’étendue des bouleversements qu’engendrent inéluctablement l’ébullition hormonale d’un.e individu.e au cortex préfrontal encore en pleine construction.

Twilight fait ainsi état d’un parallèle intrigant en se proposant d’explorer les deux versants d’un désir physique. D’une part, Bella et ses dix-sept printemps font pour la toute première fois l’expérience de pulsions non seulement amoureuses, mais aussi sexuelles. De l’autre, Edward, astreint au sang de Bambi depuis plusieurs décennies, se retrouve de nouveau en proie à un appétit charnel presque insurmontable. Les deux partis appellent ainsi différemment au corps de l’autre, et sont finalement condamnés à ne pas pouvoir assouvir leurs passions respectives. 

 

Twilight, chapitre 1 : Fascination : photo, Kristen StewartPas d’orgasme avant le quatrième film, désolé chaton

 

Malgré ces segments narratifs intelligents (oui, intelligents), le film n’a pas la prétention de se prendre trop au sérieux, contrairement à ses suites (et cet article). Le côté kitsch du récit est ainsi pleinement assumé par la réalisatrice et ses comédiens, lesquels n’ont par ailleurs nullement cherché à dissimuler le caractère embarrassant de la franchise.

Si les talents d’interprétation de Robert Pattinson et Kristen Stewart ont longuement été remis en cause à l’issue du premier Twillight, l’un et l’autre ont allègrement reconnu le caractère excessif de leurs performances, arguant que cela faisait justement partie de la partition qui leur avait été confiée – il suffit d’écouter les commentaires audio du film pour comprendre l’ironie affectueuse avec laquelle ces deux-là ont appréhendé le projet.

  

Twilight, chapitre 1 : Fascination : photo, Robert Pattinson« C’est bon, convaincu ? »

 

Il est vrai qu’au fil des opus, lesquels se sont par ailleurs enchaînés à un rythme absolument infernal, le phénomène Twilight a amplement dépassé les ambitions modestes du premier film pour devenir un monstre commercial dépourvu de substance. Le fait est néanmoins qu’au pic de sa gloire, la franchise a joui d’un consensus quasi absolu qu’il ne s’agirait nullement de renier sur l’autel de la moutonnerie.

Malgré son casting méconnu du grand public, son budget ridicule et la signature indépendante de Catherine Hardwicke, le film est parvenu à brasser plusieurs centaines de millions de dollars au box-office. De fait, et n’en déplaise à ceux qui le méprisent, le succès du premier film n’a rien d’anodin, et sous-entend largement qu’une majorité de son public s’est retrouvé dans cette histoire d’amour certes bancale, mais inconditionnelle.

Peut-être serait-il donc venu le temps de cesser de bouder son plaisir, ou plus simplement, de consulter son thérapeute favori en vue d’identifier ce qui a dérapé à l’adolescence pour inspirer un rejet aussi véhément. Oui, Twilight, c’est cringe. Mais tout le monde l’a été.

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TofVW

Pour ma part, voici ma situation à l’époque du premier film : je n’avais ABSOLUMENT JAMAIS entendu parler de Twilight. Donc aucun à priori.
J’étais tombé sur la bande-annonce, un film de vampires, pourquoi pas, allez !
Coup de bol, je gagne une place pour aller le voir ; j’étais content.
En ressortant du cinéma, je l’étais beaucoup moins : même gratuit, j’avais l’impression de m’être fait arnaquer. On m’avait promis un film de vampires, et nombre de vampires dans le film = 0 !
Histoire totalement inintéressante, mauvais acteurs (ou mauvaise direction d’acteurs, bref), photographie dégueulasse, tromperie sur la marchandise…

Autant dire que je ne me suis pas donné la peine d’aller voir les suites. Du coup je me suis refait l’intégrale de Buffy.

Quand j’ai vu toutes les critiques et moqueries au fur et à mesure que la saga continuait, je me suis juste dit que c’était mérité. Une de mes pires expériences cinématographiques.

MFB

Je ne commente jamais, mais j’ai trouvé cet article vraiment très intéressant et je tenais à le dire. Il y a un certain snobisme qui règne en maitre, alors que, finalement, il ne faut pas oublier de remettre chaque oeuvre ou création dans son contexte, et de ne pas oublier à quel public il/elle est adressé(e).

Oui, Twilight est un film pour ados, et comme le dit l’auteur de l’article, on était tous très extrêmes durant cette période, c’est humain et il n’y a rien de honteux à ça.

Après, qu’on aime ou qu’on aime pas (j’étais personnellement une grande fan des livres, puisque j’avais 15 ans à la lecture du premier), j’ai été très déçue des films, ce n’est pas pour ça que j’ai tenu à les descendre ou que j’ai cette saga en horreur, elle reste divertissante.

Chaque âge et chaque période de notre vie à sa madeleine de Proust plus ou moins décrié, l’important c’est de l’avoir aimé et de ne pas se sentir minable pour ses goûts ou ses bons moments ciné.