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Kate Winslet : tout le monde a oublié l’un de ses meilleurs rôles

Par Geoffrey Crété
14 mai 2023
MAJ : 24 mai 2024

Vous ne connaissez probablement pas Little Children, de Todd Field (TÁR, In the Bedroom), avec Kate Winslet, Patrick Wilson et Jennifer Connelly.

Little Children : photo

Il faut reparler de Little Children, de Todd Field (TÁR, In the Bedroom), qui est l’un des meilleurs rôles de Kate Winslet.

Si vous ne connaissez pas Little Children, c’est triste, mais c’est normal. Né sous de bonnes étoiles et même nommé trois fois aux Oscars (notamment pour Kate Winslet comme meilleure actrice), le film réalisé par Todd Field a été gentiment mis à la poubelle à sa sortie. Il a donc été rapidement oublié par la suite, malgré ses airs d’American Beauty et Desperate Housewives, son casting quatre étoiles (Patrick Wilson, Jennifer Connely, Jackie Earle Haley, Noah Emmerich) et le nom de l’écrivain Tom Perrotta (The Leftovers) au générique.

Mais il n’est jamais trop tard pour réparer cette erreur. Notamment parce que Little Children est à ranger aux côtés de Les Noces rebelles (sorti deux ans après), Titanic ou encore Eternal Sunshine of the Spotless Mind parmi les meilleurs rôles de Kate Winslet.

 

Little Children : Photo Patrick Wilson, Kate WinsletLa famille anti-modèle

 

l’âge de déraison

Qui sont les sales gosses du titre, Little Children ? Peut-être ceux des personnages principaux, puisque c’est grâce/à cause d’eux que tout commence. Par une journée tristement banale, Sarah (Kate Winslet) s’ennuie comme un rat mort au milieu de ses amies sorties d’un mauvais remake de Desperate Housewives. Elle regarde sa fille jouer avec un autre enfant : le fils de Brad (Patrick Wilson). Exceptionnel dans ce royaume puisqu’il est père au foyer, Brad est la coqueluche de ces femmes qui redeviennent des adolescentes face à lui. C’est pour ça qu’elles ont un sursaut de terreur lorsque Sarah décide d’embrasser Brad, sans raison particulière, sous leurs yeux et ceux des enfants.

Les enfants du titre sont aussi, peut-être, les victimes – passées ou potentielles – de Ronnie le pédophile. Récemment sorti de prison, il vit désormais avec sa mère, dans ce petit quartier pourtant si idyllique. Et lorsque tout le monde commence à réaliser qu’il est installé au milieu de ce paradis, c’est la panique, la peur, et la violence. Notamment pour ce voisin ex-flic, viré après avoir accidentellement tué… un enfant.

Les enfants sont partout, et servent d’alibi pour l’adultère, de sujet pour le documentaire de la femme de Brad, ou de cri de détresse pour Ronnie à la fin.

 

Little Children : Photo Kate WinsletSpleen à la piscine

 

Car les enfants, au fond, ce sont bel et bien les adultes. Après tout, cette bête histoire de bisou a commencé par un petit pari entre les mères désœuvrées : « 5 dollars si tu récupères son numéro de téléphone« . Si Sarah embrasse Brad, c’est par jeu, par défi, par ennui. Sarah, qui est par ailleurs tête en l’air, irritable et parfaitement insatisfaite de sa vie puisqu’elle rêve constamment d’une autre – plutôt qu’avec un mari obsédé par le porno, et qui commande des culottes sur internet pour se tripoter en cachette, comme un ado.

Brad, lui, étudie à contrecœur pour devenir avocat, comme un grand. Mais il rêve de faire du skate comme les autres, décrète qu’il a besoin d’un téléphone portable, force sa femme à jouer la maman, et se laisse embarquer par les autres pères enfants du quartier pour faire du sport.

Dans cette farce, tout le monde finit par redevenir un enfant. Sarah et Brad préparent leur fuite comme deux adolescents qui improvisent un fantasme. Même Kathy (Jennifer Connelly), qui est probablement l’une des seules adultes du film, finit par ramper sous une table comme une petite fille pour essayer de découvrir la vérité. Et comme tous les enfants, ils vont avoir besoin d’une grosse baffe de la vie pour retenir la leçon.

 

Little Children : photoIn the bedroom (Todd Field aussi)

 

KATE wins

Demandez à n’importe quelle personne un minimum cinéphile de résumer les personnages choisis par Kate Winslet. Elle devrait répondre : des femmes fortes, comme dans Titanic et Eternal Sunshine of the Spotless Mind. C’est bien beau, mais « femme forte » est aussi précis que « je suis de gauche ».

Il y a quelque chose de plus fort chez Kate Winslet. Elle aime les personnages malaimables, comme dans The Reader, la mini-série Mildred Pierce et Little Children. Sarah est l’héroïne de cette fable sur la lâcheté, qui suit ces grands enfants malheureux sortir du droit chemin pour toucher du bout des doigts une forme de liberté… avant de faire machine arrière pour ravaler tous leurs doutes, et revenir pour de bon dans leur terrier.

Sarah commet le péché capital d’une telle fable : c’est, selon les tables de la loi occidentale, une mauvaise mère. Au début du film, elle oublie, encore, le goûter de sa fille Lucy. Plus tard, elle la laisse poireauter de l’autre côté de la porte avec son joli cadeau, préférant s’admirer dans un miroir. A la fin, elle la perd carrément en pleine nuit, alors qu’un pédophile rôde. Sarah ne rate pas une occasion de rejeter sa fille, et a toujours hâte d’être seule. Jusqu’à ce qu’elle soit à deux doigts de véritablement la perdre, et que Lucy soit finalement celle qui la rassure

 

Little Children : photoMiroir miroir dis-moi qui est la pire mère

 

Tout du long, Little Children prend soin de dessiner le portrait d’une femme égoïste, instable, immature, et imparfaite, qui semble d’un coup prendre conscience qu’elle pourrait devenir le personnage principal de son histoire, plutôt qu’une figurante. Comme le montre brillamment la scène du baiser et du club de lecture, Sarah est jugée par ses pairs parce qu’elle ose penser pour elle, menaçant ainsi l’ordre établi où l’individu n’existe que dans un groupe (la famille, le quartier).

Cet anticonformisme pourrait être une simple réaction chaotique. Sarah est d’ailleurs définie comme une sorte de brouillon (de femme, de mère, d’adulte), comme lorsque la voix off devient celle de Brad, pour la présenter comme une sous-Jennifer Connelly. Pourtant, il y a une clairvoyance sous ce brouillard, et Sarah l’exprime à merveille lorsqu’elle parle de Madame Bovary : « C’est la soif d’une alternative ».

Kate Winslet excelle dans ce rôle parce qu’elle ne cherche pas à être gentille, jolie ou aimable. Sarah a ses raisons, que le scénario expose très bien, et l’actrice embrasse parfaitement tous les aspérités et excès du personnage. Dans la tristesse (quand elle découvre la beauté de Kathy) comme dans la joie (au match de Brad), elle fait de Sarah une grande enfant étrange, souvent grotesque, parfois effrayante, et finalement un peu minable. Peut-être parce que c’est ça, être adulte, au fond.

 

Little Children : photo, Kate WinsletJennifer’s Body

 

UNHAPPY END

La fabuleuse voix off de Will Lyman, détachée et monocorde, accentue cette distance vis-à-vis de ce monde sous cloche. Tous les gestes des personnages semblent désespérés parce qu’il y a quelque chose d’absurde dans leurs gesticulations. C’est d’autant plus fort qu’à la fin, tout ce rêve d’une autre vie s’évanouit dans les airs. Sarah et Brad devaient se retrouver et s’enfuir, mais ils sont stoppés net à cause d’accidents qui les ramènent à la vie en leur faisant frôler la mort – à moins que ça ne soit le contraire.

Il n’y aura ni retrouvailles ni explication pour les deux amants, que le film abandonne dans cette impasse. Brad retrouve sa femme, et Sarah, sa fille. « On ne peut pas changer le passé. Mais le futur peut être une autre histoire », explique la voix off. « Et il faut que ça commence quelque part« .

Possible que ce soit une fin heureuse pour le mari et la mère, qui ont retrouvé raison et maison. Possible aussi que ce soit une fin profondément amère, qui condamne leur lâcheté. N’est pas Madame Bovavy qui veut, et Sarah accepte peut-être cette vie malheureuse ; à défaut d’oser miser sur une alternative.

 

Little Children : photoPrendre ses jambes à son cou

 

Little Children a des airs d’American Beauty, mais difficile de ne pas surtout faire un parallèle entre cette Kate Winslet et celle des Noces rebelles. Ce sont deux femmes malheureuses à en crever, qui ne tiennent pas en place et luttent contre des rôles qui leur ont été assignés. Dans les deux cas, la femme et la mère semblent constamment en guerre, et la quête d’une liberté dangereuse dicte leurs choix. La tragédie des Noces rebelles est totale et sans issue : April meurt. Celle de Little Children est beaucoup plus pernicieuse : Sarah est vivante, mais pour quoi ?

Todd Field lui-même admet que Little Children est une réinterprétation moderne des Noces rebelles. La liberté semble moins loin (la question de l’avortement est dépassée), mais l’illusion n’en est finalement que plus grande et terrible (la cage dorée familiale).

Ce parallèle entre les deux films est d’autant plus amusant que Todd Field voulait adapter le roman Les Noces rebelles, écrit par Richard Yates. Il était tombé amoureux de cette histoire d’american dream qui tourne au cauchemar, mais le projet est finalement allé à Sam Mendes, réalisateur d’American Beauty justement. Comment ? Parce que sa femme de l’époque, Kate Winslet, lui avait amené le scénario en disant qu’elle voulait faire ce film. Et l’actrice n’est pas le seul point commun, puisque Thomas Newman a composé la superbe musique des deux films.

 

Les Noces rebelles : photo, Kate WinsletLes Noces rebelles : prequel de Little Children

 

Les deux films sont intimement liés. Après être passé à côté des Noces Rebelles, Todd Field a découvert le roman Little Children de Tom Perrotta, et y voyait une mini-série. C’est le producteur Scott Rudin, en achetant les droits du bouquin, qui l’a redirigé vers un long-métrage. Rudin a finalement revendu le projet, et devinez quel film il a produit juste après ? Les Noces rebelles.

Le destin de Little Children ne sera pas glorieux, avec à peine 15 millions de dollars au box-office, pour un budget de 26. Les trois nominations aux Oscars (meilleure actrice pour Kate Winslet, meilleur acteur dans un second rôle pour Jackie Earle Haley, meilleur scénario adapté pour Todd Field et Tom Perrotta) n’ont pas changé grand-chose : Little Children est tombé dans l’oubli, un peu comme les rêves de fuite des deux amants.

Todd Field a donné une explication dans le podcast Happy Sad Confused en 2023. Le studio New Line avait changé de direction, se fichait totalement du film, et a bâclé la sortie avec une promo transparente. En France, il est sorti un mois après The Holiday, lequel a largement plus attiré l’attention (plus de 200 millions au box-office, oui oui). Deux ans après, Les Noces rebelles a été un beau petit succès, aidé par la réunion des amants de Titanic. Cet autre chef-d’œuvre forme avec Little Children un fabuleux diptyque du désespoir domestique, et démontre surtout en deux rôles-miroir le talent immense de Kate Winslet.

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Redrum

Ça a peu fait parler mais elle est exceptionelle dans Mare of eastown, une très grande actrice !

Prisonnier

Meeeeeerci

Ce film fait parti de mes préférés. Une merveille

Ray Peterson

Merci de remettre (ou pas) au goût du jour ce film. A l’époque au cinéma j’en étais sorti mitigé.
Je trouvais le film un peu bancal. Autant l’histoire du couple c’était bof bof, autant la « réinsertion » du personnage de Ronnie m’avait captivé.
J’avais adoré l’arc narratif justement de ce personnage interprété par Jackie Earle Haley, comédien que j’ai découvert grâce à ce film. La scène de la piscine hommage à Jaws mais en déformé m’avait bien « rire »

Faut que je me le rematte d’urgence d’autant que « Tar » m’a superbement marqué.