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Police Fédérale, Los Angeles : le polar 80’s qui plonge les néons dans la pénombre

Par marvin-montes
14 mars 2023
MAJ : 24 mai 2024

L’autre grand polar de Friedkin, qui gratte le vernis du soleil californien pour révéler une noirceur abyssale.

Police Fédérale, Los Angeles : photo, John Pankow, William Petersen

Quatorze ans après French ConnectionWilliam Friedkin renoue avec le polar pur et dur en grattant le vernis du soleil californien dans Police Fédérale, Los Angeles. Un gigantesque trompe-l’oeil qui déconstruit l’esthétique de toute une époque et offre à William Petersen l’une des prestations les plus brillantes de sa carrière.

Le 16 septembre 1984, la série policière Miami Vice (Deux flics à Miami en VF) fait une entrée remarquée sur le petit écran américain, par l’intermédiaire du réseau NBC. Le show, pitché à son diffuseur sous la dénomination tapageuse « MTV Cops », suit les enquêtes criminelles de deux flics (et de leur style ravageur) sous le soleil de Floride. Sous l’impulsion de son producteur Michael Mann, Miami Vice développe une esthétique en accord avec les standards clipesques de l’époque, pour s’établir elle-même en tant que mètre étalon de l’imagerie du polar des années 80.

Police fédérale, Los Angeles débarque l’année suivante et semble au premier abord emprunter tous les atours de son prédécesseur télévisuel, de ses séquences musicales récurrentes à son duo de policiers intraitables. Mais la chaleur californienne se fait rapidement plus étouffante que l’ensoleillement floridien, tandis que la cité des anges n’a jamais aussi mal porté son nom. Sous les néons, devant la caméra de l’incorrigible Friedkin, se joue une tragédie plus noire que la mort, que même le surréalisme clinquant d’une décennie fantasmée ne pourra occulter.

 

Police Fédérale, Los Angeles : PhotoBonjour, c’est bien ici les années 80 ?

 

L.A Connection

À la mi-parcours des années 1980, la carrière de William Friedkin est au point mort. Grande figure de l’émergence du nouvel Hollywood, le réalisateur révélé en 1965 par le documentaire The people Vs. Paul Crump a rapidement emprunté le chemin du succès – aussi bien critique que commercial – avec French Connection puis L’exorciste, à l’aube des années 70. Mais la suite de sa carrière est moins flatteuse sur le plan financier : les galères s’accumulent sur le tournage de son film maudit Sorcerer et la sortie de La chasse suscite plus de polémiques que d’engouement populaire.

Lorsqu’il tombe sur le roman Voir Los Angeles et mourir de Gerald Petievich, le cinéaste n’a aucun doute : c’est par l’adaptation de ces écrits que passera le renouveau de son parcours, et le retour à la cinématographie instinctive et rugueuse de French Connection. Plus spontané que besogneux, Friedkin n’a en effet jamais tenu de discours particulièrement nostalgique quant à ses rendez-vous manqués avec le public, et affirme encore aujourd’hui regretter l’expérience SorcererPolice Fédérale, Los Angeles doit être la reconnexion de Friedkin au cinéma qui a fait sa gloire.

 

Police Fédérale, Los Angeles : photo, William Petersen, John PankowDeux flics pas encore amis

 

Pour mettre en branle son nouveau projet, Friedkin s’entoure du personnel qu’il juge le plus efficace possible, à commencer par le directeur de la photographie Robby Müller, précédemment à l’oeuvre sur le flamboyant Paris, Texas de Wim Wenders. Les rôles principaux du film sont accordés à William Petersen, Willem Dafoe et John Pankow : trois acteurs à l’expérience limitée, mais à la spontanéité intacte.

Durant le tournage, Friedkin multiplie les roublardises, en s’affranchissant de certaines interdictions officielles (notamment au cours de la poursuite de l’aéroport) ou en prétendant filmer les répétitions du casting, pour finalement conserver les séquences captées au montage final. Tout, dans le long-métrage, doit s’apparenter à un instant volé par la caméra du réalisateur.

 

Police Fédérale, Los Angeles : Photo William PetersenÀ vif

 

Le côté obscur

Police fédérale, Los Angeles suit le parcours délicat de Richard Chance, agent des services secrets américain et tête brulée notoire. Dès la lecture du roman de Petievich, Friedkin se dit fasciné par l’existence des services secrets, « une organisation capable de gérer à la fois la protection de la présidence des États-Unis et la contrefaçon d’un misérable billet de 20 dollars ». Lorsque son coéquipier est froidement abattu à trois jours de sa retraite, Chance se lance, avec son nouveau partenaire John Vukovich, aux trousses du responsable du meurtre, le faussaire Rick Masters. L’affrontement à distance entre les trois hommes ne tardera pas à révéler le pire de chacun d’entre eux.

 

Police Fédérale, Los Angeles : photo, John Pankow, William PetersenLe début des embrouilles

 

Dès ses toutes premières minutes, Police fédérale, Los Angeles s’emploie à mettre en place sa structure diabolique : celle d’un gigantesque trompe-l’oeil prêt à se refermer sur le spectateur. Les premiers plans du film montrent en effet les gratte-ciel californiens, baignés d’une lumière rougeoyante, céder leur place à une bannière étoilée flottant au vent, alors que le groupe de New Wave anglais Wang Chung égrène les premières notes de la chanson-titre To live and die in L.A. Pas de doute, les codes du polar post-Miami Vice sont fidèlement reproduits.

Mieux encore, la scène montrant pour la première fois Richard Chance en action prend la forme d’un acte de terrorisme héroïquement déjoué par le policier et son coéquipier. La séquence suivante modifie drastiquement son point de vue, en présentant une seconde fois le personnage principal, sautant à l’élastique d’un pont angelin, sans aucune réelle mesure de sécurité.

La caméra de Friedkin ne montre d’ailleurs pas immédiatement l’attache au pied de Chance, laissant croire en premier lieu à un suicide du policier. En à peine deux scènes, le réalisateur met en place les premiers rouages d’une immense machine à faux-semblants, tout en signifiant les tendances autodestructrices de son protagoniste, s’imaginant au-dessus des lois, mais surtout au-dessus de la mort.

 

Police Fédérale, Los Angeles : photo, William PetersenL’amour du risque

 

La machine est lancée, et plus rien ne pourra empêcher Police fédérale, Los Angeles de multiplier les fausses pistes jusqu’à l’épuisement. Comme le déclarait Friedkin dans le making-of du film : « Je voulais filmer une histoire de faux-semblants. Rien n’est vrai, et tous les personnages ont une motivation cachée ». Entre le freeway et les terrains vagues, les situations s’enchainent, toujours dans l’optique de tromper à la fois les protagonistes et le spectateur.

Chance n’est pas un héros, mais un irresponsable à tendance suicidaire. L’acheteur de diamant tué par les deux flics se révèle être un agent du FBI. Rick Masters, lui-même faux monnayeur, semble embrasser un autre homme dans les coulisses d’une boîte de nuit, qui s’avère être une femme au moment du contrechamp. C’est finalement au bout de la descente aux enfers que le film révèle son plus grand secret, pourtant agité sous les yeux de tous depuis son introduction : l’esthétique 80’s n’était qu’un leurre, et Police fédérale, Los Angeles s’affirme comme l’un des récits les plus désillusionnés de la carrière de son réalisateur, ce qui n’est pas peu dire.

La mise en scène emprunte la même voie que le développement narratif du film, en abandonnant progressivement une imagerie volontairement ancrée dans son époque pour accorder de plus en plus de place à un expressionnisme évoquant toujours l’un des modèles reconnus de Friedkin, à savoir Fritz Lang. Le final cathartique et son montage troublant, déroulé au coeur des flammes d’un entrepôt embrasé, ne manque pas de renvoyer à la conclusion hallucinée de Sorcerer, qui rendait déjà hommage aux travaux du maître allemand.  

 

Police Fédérale, Los Angeles : photo, Willem DafoeLe Van Gogh du faux billet

 

Duel au soleil

Au coeur du chaos de ce polar désenchanté, l’affrontement entre Chance et Masters s’affirme comme l’unique socle narratif auquel se raccrocher. En provoquant la mort du partenaire de Richard, le faussaire retire au policier le seul garde-fou qui le préservait du précipice. Sans le savoir, Masters envoie Chance sur la voie d’une vengeance que rien ne pourrait apaiser, hormis sa pulsion de mort. C’est d’ailleurs un autre élément marquant du métrage : bien avant une tendance (notamment télévisuelle) à l’anti-héroïsme, Police fédérale, Los Angeles montre sans détour des policiers et des criminels se comportant de manière similaire, en usant des mêmes méthodes expéditives.

Friedkin n’hésite ainsi jamais à brouiller les évidences, en refusant de définir une quelconque notion de bien ou de mal au travers des agissements de ces personnages. Masters, faussaire et meurtrier, est dépeint comme un artiste de haute volée au cours de la confection de ses faux billets (véritable tutoriel pour faux monnayeurs). A contrario, le représentant de la loi Richard Chance n’hésite pas à se comporter de manière totalement irrationnelle en remontant l’autoroute en sens inverse au cours d’une course-poursuite encore plus spectaculaire que celle de French Connection

 

Police Fédérale, Los Angeles : photo, William PetersenLes nerfs à vif

 

À sa sortie en 1985, Police fédérale, Los Angeles réalise des scores satisfaisants, sans toutefois s’imposer comme un mastodonte des box-offices de la trempe de L’exorciste. Le film reste cependant le plus grand succès de William Friedkin dans les années 80, et peut-être son dernier véritable coup d’éclat artistique. Quoi qu’il en soit, l’héritage du polar noir de Friedkin est tenace, et aussi bien visible dans L’arme fatale de Richard Donner – qui lui empruntera même la fameuse réplique « Je suis trop vieux pour ces conneries » – que dans les frasques de Vic Mackey et consorts, au détour d’un épisode de The Shield

La prestation impeccable de William Petersen en flic désabusé pousse Michael Mann à lui offrir le premier rôle de Manhunter, son adaptation de Dragon Rouge sortie en 1986. Au sortir de ces deux incarnations majeures, l’acteur disparait peu à peu des radars de manière inexplicable, pour finalement se remettre en selle dans les années 2000 au travers du personnage de Gil Grissom, premier leader de l’équipe des Experts de Las Vegas, dont il devient la figure de proue pendant 13 ans.

Aussi brillant d’aspect que profondément obscur, Police fédérale, Los Angeles reste un objet de fascination sans équivoque. Une machine à broyer les clichés d’une époque idéalisée, prête a fondre les néons de Miami Vice dans les flammes de l’enfer personnel de ses flics borderline. L’arme fatale sans la lumière au bout du tunnel, qui ne lâche son public qu’à la conclusion d’une dernière scène au pessimisme toujours plus glaçant.

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The Moon

Un film que je me réserve dés qu3 possible avec les 2 French connection.
Je ne les ai pas encore vue mais je pense qu’il sera difficile de surpasser Sorcerer…qui m’a foudroyé sur la bo de Tangerine Dream

JPH

UN CLASSIQUE!!!

TT ES PARFAIT

REALISATION

INTERPRETATIONS MUSIQUE

Mx

Sa peut aller, mon ami.

Dis-moi, kyle, étant donner que je suis moi-aussi assez fan de T1, et de michael biehn, et que à chaque fois que l’on se croise sur ecran alrge, c’est toujours cool, que dirais-tu de se parler par mail, je fais partie d’une communauté de cinéphile, et je recrute activement de nouveaux membres, lol; blague à part, oui cela serait intéressant, j’écris des nouvelles, aussi, si tu es intéressé.

indy75

Revu il n’y a pas longtemps. Chef d’œuvre en ce qui me concerne. Et cette fin tellement inattendue !

1985 c’est quand même la sortie de 3 classiques du genre : celui-ci, l’année du Dragon et, dans un registre un peu moins vénère, Witness.

Tnecniv

J’étais tombé dessus par hasard à la télé au milieu des années 90 lorsque j’étais ado pour le revoir il y a 3/4 ans suite à un podcast de la chaine  » le cinéma est mort « , le thème et cette scène où Willem Dafoe falsifie des billets m’est tout de suite revenu en pleine figure, c’est très marqué comme le dit Kyle, un des meilleurs policiers que j’ai pu voir assurément.

sylvinception

Petersen qui aura enchainé deux rôles chez Mann et Freidkin, rien que ça!!
Friedkin, qui comme Mc Tiernan (entres autres), nous manque cruellement…

Kyle Reese

@M.X.

Ca va bien et toi ? ^^

Et..

Le blu-ray de chez esc est pas cher..

Mx

Salut, kyle.

Comment vas tu, mon ami?

Kyle Reese

William Petersen …et pas l’inverse.