Bien avant Twilight, Buffy contre les vampires, Vampires Diaries, et autres fausses niaiseries paranormales, il y a eu Génération perdue, le tout premier film de vampires pseudo sexy pour ados.
Dès lors que la figure vampirique est évoquée au cinéma, plusieurs camps se dressent pour mieux terrasser l’ennemi d’un pieu dans le coeur. D’un côté, les inconditionnels d’une vision classique glorieusement héritée du Nosferatu de Murnau, du Dracula campé par le regretté Christopher Lee ou encore de celle multifacette de Francis Ford Coppola. De l’autre, une armada de jeunes gens émoustillés par une conception fantasmée que l’on doit aux Twilight, True Blood, Vampire Diaries et autres Buffy contre les vampires.
Que diable s’est-il passé pour que le mort-vivant à dents longues arbore tantôt le crâne chauve du compte Orlock, tantôt le torse scintillant d’Edward Cullen ? Joel Schumacher. Voilà ce qu’il s’est passé. En remplaçant au pied levé Richard Donner aux commandes d’un projet intitulé The Lost Boys, le cinéaste s’est empressé de faire table rase sur le projet destiné à un public familial, pour mieux donner naissance au tout premier film de vampires sexy pour adolescents.
Fuck them kids
Difficile de rapprocher le résultat final de ses origines tant les deux versions semblent issues de projets différents. Initialement conçu par les scénaristes Janice Fischer et James Jeremias comme un hybride pseudo horrifique entre Les Goonies et Peter Pan, The Lost Boys ambitionnait alors de travestir les enfants perdus en créatures immortelles traquées par un trio de bambins téméraires.
Lorsque les rênes du projet ont finalement été confiées à Schumacher, ce dernier a choisi d’opter pour une vision plus adulte du récit. Il désirait alors diriger un film d’horreur éligible à la classification R-Rated (interdit aux moins de 17 ans non accompagnés d’un adulte). Ni une ni deux, le cinéaste fit appel à Jeffrey Boam, aujourd’hui plus connu pour avoir signé le scénario d’Indiana Jones et la dernière croisade, afin de retravailler intégralement le script. Celui-ci se vit alors confier une seule et unique directive : séduire le spectateur.
Si la démarche de Schumacher a quelque chose d’autosatisfaisant, elle n’est pas complètement gratuite non plus. Le désir d’ensorcellement prôné par le cinéaste répond avant tout à la vision que ce dernier se fait du vampire et de sa mythologie. Loin des créatures repoussantes mises en scène par Murnau ou Herzog, Schumacher y voit plutôt des êtres marginaux, éternellement jeunes et beaux à se damner.
De fait, il ne faudra pas le dire deux fois à Boam pour qu’il entreprenne de vieillir ostensiblement les personnages principaux. Le jeune trio de chasseurs de vampires est alors campé par feu Corey Haim (Lucas, Dream a little dream), Corey Feldman (Gremlins, Les Goonies) et Jamison Newlander, alors âgés entre 14 et 15 ans au moment du tournage.
Les enfants perdus n’ont quant à eux d’enfant plus que le nom, puisque Schumacher choisit Kiefer Sutherland (David Powers), Alex Winter (Marko Thompson), Billy Wirth (Dwayne Stephens), Brooke McCarter (Paul Harris), Jason Patric (Michael Emmerson) et Jami Gertz (Star) pour interpréter son fameux gang de vampires. Seul le petit garçon Laddie Thompson, campé par le tout jeune Chance Michael Corbitt, se chargera de rendre hommage aux mouflets de la pièce de J.M. Barrie.
Son joli casting assemblé (au sens propre comme au figuré), Schumacher s’est par la suite employé à rendre ses différents personnages les plus attractifs possible, en les affublant notamment de costumes largement inspirés des icônes glam rock et new wave de l’époque, telle que Billy Idol – n’en déplaise au principal intéressé, le mulet blond platine de Sutherland n’a rien d’anodin.
Dans l’ombre du projet toutefois, Warner Bros. doutait, et retira ex abrupto quelques deux millions de dollars à la production juste avant le début du tournage. Lors d’un entretien accordé à Empire en décembre 2019, le cinéaste est revenu sur ce brusque revirement de situation : « La Warner avait honte. L’équipe marketing arguait qu’il ne s’agissait pas réellement d’un film de vampire, que c’était plutôt une histoire d’aliénation centrée sur des personnages privés de leurs droits. »
Malgré le manque de soutien des studios, Schumacher ne cède pas. Il leur aurait alors répondu « Non. Nous allons complètement faire un film de vampires pour adolescents. Notre job à présent, c’est d’aboutir au film de vampire le plus cool jamais réalisé. » Une bonne chose que le temps lui ait (un peu) donné raison.
america’s next top vampire
De Génération perdue est ainsi née une figure vampirique nouvelle, à des années-lumière des visions traditionnelles et de leur spleen porté en bandoulière. Oublié, le monstre torturé par sa condition, condamné au sang et à la nuit, esclave dramatique de ses pulsions animales. Largement inspirés des vampires romantiques et queer-codés d’Anne Rice, et plus particulièrement de son iconique Lestat, ceux de Schumacher ne rejettent nullement leur nature, et prennent en réalité plaisir à l’embrasser pleinement.
Le récit ne se tracassera donc nullement à explorer le passé humain de ses personnages, à l’exception de Michael Emmerson, le grand frère transformé contre son gré et peu friand de sa nouvelle dentition. Au demeurant, de nombreux parallèles peuvent être dessinés entre la relation le rapprochant de David, et celle partagée entre Louis et Lestat dans le roman Entretien avec un Vampire – soit une relation sciemment placée sous le sceau de la sensualité.
Les personnages de Génération perdue sont mystérieux, insouciants, glamours, sexuellement ambigus, et évoluent libérés de tous les impératifs propres au commun des mortels. Il se dégage d’eux un magnétisme indéniable que même les prothèses monstrueuses ponctuellement arborées par les acteurs ne parviennent pas à enrayer.
En réalité, les fameux visages vampiriques ont été pensés par Schumacher et son équipe de maquilleur.ses de sorte à inspirer un certain sentiment de beauté chez le spectateur. Outre les lentilles de contact orange vif, symbole évident de bestialité, les maquillages des jeunes immortels ont été imaginés pour être le plus épurés possible, évoquant simultanément le démon et l’apollon.
Quand tu retires enfin ton appareil dentaire
Somme toute, le film tient moins du réel film d’horreur que de l’épouvante accessible aux adolescent.es et à leurs hormones en ébullition. Fatalement, au vu de la tendance du film à mêler allègrement frisson, humour et lubricité, celui-ci avait de quoi aspirer à un joli succès au box-office. Et effectivement, Génération perdue est parvenu à engranger 32 millions de dollars sur le sol nord-américain pour un budget initial de 8,5 millions ; des recettes qui, au vu du projet et de l’époque, sont plus que respectables.
Le succès du film n’a toutefois rien de bien étonnant. Lors des projections tests, Schumacher s’est souvenu pour Empire avoir assisté à un véritable déferlement du public, en particulier lors de la séquence où les vampires s’adonnent à un joyeux massacre sur la plage. Selon les dires du cinéaste, plusieurs spectateurs auraient alors déchiré les sièges et projeté le rembourrage sur l’écran : « Ils hurlaient à pleins poumons. Cette projection test était un véritable concert de rock, c’était un truc de malade« .
Sexy vampire legacy
Rapidement, des ébauches de suite ont été esquissées par Warner Bros et même Donner. Schumacher, pour sa part, suggérait plutôt la production d’un prequel à Génération perdue. Et s’il y a bel et bien eu des simulacres de suites avec Génération perdue 2 (2008) et Génération perdue 3: L’origine du mal (2010), c’est un tout autre héritage que le film de Schumacher a véritablement laissé derrière lui. En imposant sa vision du vampire sexy, fantasque et affranchi de ses carcans gothico-morbides, le cinéaste a ouvert la voie à un nouveau genre dans le paysage audiovisuel.
Il n’aura nullement échappé aux aficionados de la série culte Buffy contre les vampires que Génération perdue a été une influence prépondérante. Un fait qu’assume par ailleurs pleinement le créateur de la série, Joss Whedon, qui a déjà maintes fois cité la capitale du meurtre Santa Carla comme une inspiration majeure pour le Sunnydale de la série. Dans un entretien accordé à Salon en mai 2003, le producteur et réalisateur a par ailleurs confié :
« Vampire, vous avez dit vampire ? »
« L’idée que les vampires ressemblent tantôt à des monstres, tantôt à des êtres humains banals, était déjà présente dans Génération perdue, et ça nous a bien servi. [ … ] Ce serait facile pour un personnage comme Angel de ne pas avoir l’air d’être un vampire alors qu’il en est un.«
Plus évident encore, le design du personnage de Spike, campé par James Marsters, a clairement été décalqué sur celui de David. Un fait également confirmé par Whedon à l’occasion d’un entretien accordé à Entertainment Weekly : « Oui, il y un peu de Billy Idol, un peu de Kiefer Sutherland dans Génération perdue, et puis un peu de n’importe quel mec dans un grand manteau noir« .
Buffy contre les vampires n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Le film de Schumacher peut également être crédité aux origines de toute autre production figurant vampires et autres créatures affriolantes dédiée à un public adolescent. On retrouve ainsi les sorciers du Pacte du Sang de Renny Harlin et la pléthore de mannequins surnaturels dans les séries True Blood, Teen Wolf, ou encore Vampire Diaries, pour n’en citer qu’une poignée.
Il serait également de fort mauvaise fois de ne pas citer Twilight parmi les multiples enfants de Génération perdue, quoique les vampires issus de l’imaginaire mormon de Stephenie Meyer soient bien plus édulcorés que ceux de Schumacher. Si la franchise a certes fait fi des bains de sang et autres prothèses diaboliques, elle ne s’est nullement privée de recycler les gueules d’anges aux plastiques parfaites, les coupes de cheveux défiant toute gravité, et les bandes-son iconiques.
On peut donc remercier le cinéaste pour les épidermes à paillette, l’horrible film Teen Wolf, le final aberrant de True Blood et autres joyeusetés (et quitte à pousser le vice, oui, Cinquante nuances de Grey est à compter dans le lot, puisque tout droit dérivé de Twilight).
Avec Génération perdue, Schumacher a non seulement gentiment révolutionné la figure vampirique au cinéma, mais surtout, impulsé un nouveau genre de teen movie, dont l’influence continue de faire miracles et ravages chaque année. Bon, et tant que vous y êtes, allez donc réécouter Cry Little Sister de Gerard McMann. Ça ne fait jamais de mal.
Toute ma jeunesse… qu’est-ce que j’ai pu le regarder en VHS pan and scannée…poooôôô. Le revoir maintenant dans une qualité parfaite est un pur bonheur. Nostalgie. 😀
Le Saxo Guy bodybuldé me fait toujours autant marrer. Quel plaisantin ce Joël…
Le blu-ray 4k est parfait !
Un de mes films préférés (pas du tout un teen movie selon moi), et dans le registre « vampires » il est injustement oublié, merci de lui rendre justice, et de mettre la lumière (pas trop) dessus.
La course / poursuite en moto sur la plage de nuit, la musique, mais quelle scène, quel kiff !!!
Le « baptême » de Michael, une scène culte avec le maquillage vampirique de Marco toujours aussi effrayant et réussi aujourd’hui.
Rien à jeter dans ce film. Du casting, à la réal. De la bande son, aux répliques cultes.
VIVE LES 80’S