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Teeth : le vagin le plus terrifiant de l’histoire du cinéma

Par Ange Beuque
2 mai 2023
MAJ : 24 mai 2024

Mélange improbable de Sharknado et de Le Deuxième sexe, le pire cauchemar des hommes répond au nom de Teeth.

Teeth : Jess Wexler

Plus traumatisant que Les Dents de la mer, plus incisif qu’une allocution de Natalie Portman lors d’une soirée organisée par Vanity Fair, le film Teeth de l’américain Mitchell Lichtenstein a marqué les esprits en 2007 avec son concept énervé de vagin denté. À mi-chemin de la bête (à croc) de festival et du pitch suicidaire, il mérite qu’on s’attarde sur sa symbolique dévastatrice.

Un jour, Mitchell Lichtenstein tombe sur un article racontant que le conseil d’administration d’une école avait caviardé certaines illustrations dans des livres de biologie. Une censure on ne peut plus sélective : si les pénis pouvaient librement continuer à arborer leurs courbes caverneuses, les vagins et toutes références trop explicites à l’appareil génital féminin avaient été escamotés. Loin d’être le fait d’une province isolée du XVIe siècle, l’anecdote émanait de la Virginie du début des années 2000.

Cet incident fait l’objet d’une scène dans le film Teeth, et pour cause : il a servi d’impulsion créatrice au réalisateur, frappé par son incongruité anachronique. Il aurait pu puiser dans ce terreau de fondamentalisme chrétien la matière d’une chronique contemporaine désabusée, mais il préfère développer un scénario fantastique reposant sur une vieille légende : celle du vagina dentata

 

Teeth : Jess WexlerQuand la Promising young woman est dotée d’armes (an)atomiques

 

Un pitch controversé

On pourrait difficilement envisager pire démarrage pour un projet que votre propre manager vous conseillant de ne jamais montrer votre scénario à quiconque. C’est pourtant ce qui est arrivé à Mitchell Lichtenstein lorsqu’il a terminé l’écriture de son film Teeth, qui assume la singularité de son postulat.

Force est d’admettre que son pedigree n’est pas de nature à rassurer les investisseurs. Si son père Roy jouit d’une certaine notoriété dans le milieu du pop art américain, lui ne peut se prévaloir que de quelques expériences d’acteur. Que sa carrière ait débuté pour Robert Altman (Streamers, 1983) avant de s’achever devant la caméra de Joel Schumacher (Personne n’est parfait(e), 1999) donne une juste idée de sa trajectoire.

De son propre aveu, c’est un peu par désœuvrement que Lichtenstein s’est tourné vers la réalisation, lorsque les rôles se sont raréfiés jusqu’à disparaître. Si bien qu’au moment où il tente de mettre son Teeth sur pied, il n’a qu’un court-métrage (Résurrection, 2004) à faire valoir en guise de CV.

 

Teeth : Jess WexlerQuand les moules auront des dents

 

Alors l’artiste ne cherche même pas à démarcher les studios, pas plus les mastodontes que les indépendants. Il recourt à des investisseurs extérieurs à l’industrie cinématographique pour réunir un budget en forme de mécénat de 2 millions de dollars.

Mais la défiance contamine toutes les strates du projet. Jess Wexler, remarquée dans Little Manhattan, est rapidement envisagée pour tenir le rôle principal. Sceptique quant aux intentions du film, elle décline… préférant revenir postuler pour un personnage secondaire ! Lichtenstein et son directeur de casting, Billy Hopkins, s’entêtent et parviennent à la convaincre en exposant la visée du récit. Un revirement salutaire, l’actrice décrochant le prix spécial du jury de Sundance pour son interprétation.

 

Teeth : Jess WexlerQuand tu le sens moyen, ce premier rdv gynéco

 

Et s’il misait sur le début des prises de vue pour tourner la page des malentendus, c’est raté. La production prend ses quartiers à Austin, au Texas, parfait symbole pour le réalisateur de « ces petites bourgades au décor déprimant où vivent les gens de la classe moyenne », rendue plus moche encore par l’ajout numérique d’une centrale nucléaire. Sauf que le commissaire à la cinématographie local, très accueillant le premier jour, ne revient pas le lendemain.

En effet, celui-ci n’a lu le scénario qu’entre-temps. Alarmé, il contacte les potentiels sites envisagés pour le tournage pour les dissuader d’en laisser l’accès, en répandant la rumeur qu’il s’agit d’un film pornographique.

 

Teeth : Jess WexlerVanessa Springora dislikes

 

Un thème qui a déjà pénétré la culture

Vagina dentata… Si ce terme au cœur de Teeth ne vous est pas familier, il irrigue pourtant des folklores du monde entier. C’est par son biais que Māui est mis en échec par la déesse Hine-nui-te-pō dans la mythologie maorie, dans une péripétie curieusement absente du film d’animation Vaiana, et que le démon Adi tente de s’en prendre à Shiva chez les hindous. On le retrouve également sous diverses formes dans les récits indigènes, tant sud que nord-américains.

C’est donc à un élément de mythe fécond et universel que Teeth s’intéresse. La première scène majeure de manifestation du phénomène, se déroulant dans une grotte, lui confère d’ailleurs cette aura primitive. Preuve que le sujet traverse les temps, Sonnet Ehlers, une doctoresse sud-africaine, a récemment déchaîné les passions en présentant Rape Axe, un préservatif féminin anti-viol doté de dents tranchantes…

 

Teeth : Jess WexlerUn point commun canin avec le western muet du même nom

 

Certes, le mythe serait inspiré de kystes mal placés susceptibles de se transformer en matière osseuse, mais ce vague point de départ médicalement plausible ne suffit pas à en expliquer la popularité. Le vagina dentata est doté d’une symbolique psychanalytique on ne peut plus limpide, traduisant la peur de la femme castratrice, la terreur pour l’homme d’être dépossédé de son attribut phallique et, par la même occasion, son assise dominante.

Le septième art a d’ailleurs déjà tiré profit d’un si stimulant terreau freudien : nombre de monstres marins y renvoient indirectement avec leurs orifices pourvus d’innombrables dents et leur volonté de croquer du mâle. Les mâchoires du célèbre Alien, qui traite de manière sous-jacente de la féminité, peuvent être interprétées à cette aune. Mais Mitchell Lichtenstein n’entend pas se contenter d’un paravent symbolique, préférant confronter frontalement cette peur primale.

 

Teeth : Jess WexlerOrgasme ou grosse boulette ?

 

Ce double héritage mythologique et horrifique pousse le film à la fois sur le terrain de l’hémoglobine et de l’allégorie, que doivent soutenir des protagonistes certes caricaturaux (l’ingénue, le professeur pudibond, le libidineux manipulateur…), mais toujours en phase avec une certaine réalité sociologique.

Ces deux dimensions peinent toutefois à coexister. Si son affiche évoque un cauchemar « à la Freddy » et que ses distributeurs mettent l’accent sur l’aspect film de monstre, Teeth ne peut se résoudre à fragiliser son propos sur l’autel d’une complaisance régressive. Il délaisse la tension au profit d’une distance d’observateur avisé et goguenard et limite le nombre d’effusions de chair graphiques.

 

Teeth : Hale ApplemanOrgasme ou… non là y a pas trop de doute

 

WonderWoman peut aller se déshabiller

Sauf que le mythe originel du vagina dentata est plutôt misogyne, puisqu’il est associé à l’idée de conquête masculine. Lichtenstein le retourne comme une crêpe en adoptant exclusivement le point de vue de son héroïne. Ainsi, le film nous place du côté du monstre présumé, renversant le schéma habituel de la femme menaçante que l’on retrouve dès les propositions fantastiques des années 1960 telles La Femme reptile ou La Gorgone, directement référencé dans le long-métrage.

Pas question non plus de cantonner Dawn au rôle inverse de victime expiatoire. Avec son physique de jeune première, et ses idéaux de pureté, elle constituerait un excellent faire-valoir de slasher. Mais bien que le sang coulera effectivement, ce sera non le sien mais par sa main (enfin, on se comprend). En ne perdant jamais de vue son humanité, Teeth tient son héroïne à juste distance de la démone et de la proie.

 

Teeth : Jess WexlerLe Nip sans Tuck

 

Le film campe à la lisière de l’horreur, du fantastique et de la science-fiction (des femmes qui ont un plein contrôle de leur sexualité, c’en est) et prend la forme d‘une épopée farouchement féministe, qui lui permet d’ausculter à la fois les dilemmes de l’adolescence et le fatum féminin.

Le parcours de Dawn est initiatique, chaque étape de son aventure correspondant à une problématique qui sonnera familière à de nombreuses oreilles : l’inceste dès sa scène inaugurale génialement suggestive, la manipulation ou la contrainte pour obtenir des faveurs sexuelles, les violences gynécologiques…

En jeu : la maîtrise de son propre corps donc, contre les outrages masculins et le carcan rigoriste, jusqu’à prendre conscience que sa bague de virginité l’enserre plus sûrement que la corde du pendu. Paradoxalement, et ce malentendu est sans doute la contrepartie de sa richesse symbolique, le fait que seuls les indélicats soient châtiés quand l’amour pur et sincère serait certainement récompensé a conduit certains à accuser Teeth de puritanisme.

 

Teeth : Jess WexlerUn avenir meilleur est entre vos cuisses

 

L’omniprésence des deux tours radioactives dans le cadre, hommage assumé aux vieux films de science-fiction, plaide pour une origine accidentelle du phénomène. Mais une autre hypothèse existe : et si ce vagin denté constituait une évolution somme toute logique, une manière de répondre à des siècles d’oppression et de s’adapter à une prédation suffisamment systémique pour menacer la vie des femmes à travers le temps ?

De fait, le réalisateur conçoit Dawn en super héroïne. Sa trajectoire ne déparerait pas dans le MCU : l’effroi et l’incompréhension à la découverte de son « pouvoir », puis l’acceptation blasée (« oops, I did it again ») et, enfin, sa prise de contrôle pour une exploitation assumée, vengeresse et jouissive (sauf pour les hommes concernés, évidemment).

 

Teeth : Jess WexlerAprès l’abstinence, l’atti-rance

 

De l’aveu même du réalisateur, Dawn serait en quelque sorte cousine de la Carrie de Brian De Palma. Toutes deux se coltinent le même boulet traditionaliste au moment de s’élancer dans le monde pubère de la sexualité. La différence, c’est que l’héroïne de Teeth parvient à prendre le dessus sur son don, et à l’utiliser de manière conscientisée afin de ne pas se laisser ronger.

Pas assez idiot (tant s’en faut) pour satisfaire le passionné de série B décérébrée, trop inconstant dans son déballage de charcuterie pénienne pour combler l’amateur d’hémoglobine, trop camp pour ne pas effaroucher le thésard BCBG, c’est peu dire que Teeth n’a pas rencontré un succès foudroyant. Reste une trace persistante dans l’épiderme du film de genre, celle d’une symbolique aussi incisive que contemporaine.

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Dartagnant

 » S’il aurait  » Je serait gêné d’écrire ça dans un article. Personne n’a vu la faute ? Depuis quand les « SI » aiment les  » RAIT » ?

Arthur

Il me semble qu’un endroit pourvu de dents existe déjà naturellement chez les femmes et j’ai pas l’impression que ça dissuade beaucoup d’hommes pour autant…

Arnaud (le vrai)

Quand les moules auront des dents … fallait oser la faire celle là 😀

Cidjay

Film sympa, qui au delà de son concept donto-vaginal, ne m’avait pas laissé un incroyable souvenir. et à tous ceux qui se pose la question (Attention Spoilers), oui, il y a bien un bonhomme qui se fait couper la kique… mais il n’y pas (plus) grand chose à voir.
on aurait pu attendre un cross-ovaires avec « The Dentist » mais apparemment, c’était de mauvais goût.

storm

chouette film, j’en garde un bon souvenir