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Le Vieux Fusil : le polar français qui chasse les nazis

Par Clément Costa
9 mai 2023
MAJ : 24 mai 2024
Le Vieux fusil : photo

Classique choc qui n’a pas pris une ride, Le vieux fusil de Robert Enrico est la preuve absolue que le film de genre français peut être passionnant.

Cinéaste versatile qui aimait jongler entre divertissement populaire et cinéma plus intime, Robert Enrico aura laissé au cinéma français une œuvre riche qui mérite d’être explorée en profondeur. C’est pourtant paradoxalement pour son œuvre la plus radicale et dérangeante que le cinéaste est cité. Son classique indémodable Le vieux fusil sorti en 1975 continue de fasciner et de choquer près de 50 ans après sa sortie.

Malgré sa réputation sulfureuse, le film avait été un franc succès lors de sa sortie en dépassant les trois millions d’entrées en France. Ajoutons à cela les trois César remportés pour neuf nominations et l’on saisit immédiatement que le génie de Robert Enrico a été d’allier triomphe critique et plébiscite populaire. Et si le film résiste si bien à l’épreuve du temps, c’est parce qu’il parvient à être à la fois un film de genre redoutable et une œuvre politique majeure. Entre le rape and revenge et le récit du traumatisme de l’occupation, essayons de décoder la réussite du long-métrage.

 

Le Vieux fusil : photoTout va pour le mieux dans le meilleur des mondes

 

MAUVAIS GENRE

Bien qu’il y ait toujours matière à débat, la paternité du rape and revenge est communément attribuée au cinéaste Ingmar Bergman avec son film-choc La source en 1960. Il faudra cependant attendre la décennie suivante avant de voir ce sous-genre exploser, notamment dans le cinéma d’exploitation nord-américain. Wes Craven s’en empare avec La dernière maison sur la gauche. Et trois ans plus tard Un justicier dans la ville donne une nouvelle direction à ce ressort scénaristique.

Avec son concept très littéral de mettre en scène un viol puis une vengeance brutale, il n’est pas étonnant de constater que le sous-genre a rapidement gagné une réputation très sulfureuse. Moralement douteux, politiquement crasse, le rape and revenge canalise souvent ce qui se fait de pire dans le cinéma d’exploitation. C’est donc forcément un pari extrêmement risqué qu’entreprend Robert Enrico en 1975 lorsqu’il décide de se réapproprier le sous-genre avec Le vieux fusil.

 

Le Vieux fusil : photo, Philippe Noiret, Romy SchneiderChronique d’une liaison incendiaire

 

Il est d’ailleurs aisé de comprendre toutes les polémiques déclenchées par le film à sa sortie tant il n’a rien perdu de son choc ni de sa violence crue. Impossible de ne pas mentionner la tristement célèbre séquence du viol, tout simplement insoutenable. Robert Enrico avouera d’ailleurs avoir coupé au montage les cris de l’immense Romy Schneider tant la performance de l’actrice contribue à décupler le traumatisme.

Les nombreuses séquences de meurtres continuent de faire froid dans le dos. Là encore, la performance détachée et la bonhomie de Philippe Noiret jouent un rôle crucial dans le résultat final. Dans l’ensemble, Le vieux fusil conserve ainsi toute son efficacité en tant que pur film de genre. Le long-métrage fait partie de ces très rares œuvres controversées dont l’aura scandaleuse résiste terriblement bien à l’épreuve du temps.

Autre critère participant à l’effet de choc que produit toujours Le vieux fusil, Robert Enrico y dresse un portrait terrifiant de la vie française sous l’occupation allemande. Les séquences se déroulant à l’hôpital nous confrontent frontalement à l’horreur de la guerre. Les corps mutilés agonisent, l’hémoglobine recouvre les blouses des chirurgiens. C’est paradoxalement dans sa reconstitution historique que le long-métrage semble le plus violent.

 

Le Vieux fusil : photo, Philippe Noiret, Philippe Noiret, Romy SchneiderUne performance inoubliable

 

TOUS RÉSISTANTS…ENFIN PRESQUE

Au-delà du film de genre saisissant, Le vieux fusil semble avant tout motivé par un propos politique bien plus complexe et nuancé qu’il n’y paraît. Robert Enrico utilise ses protagonistes comme des métaphores assumées de l’occupation et de la fin de la Seconde Guerre mondiale. En ce sens, on peut voir en Philippe Noiret un reflet de la France neutre qui finit par se révolter à l’usure. Le docteur Dandieu n’est ni collabo ni résistant.

En début de récit, on nous le présente comme un simple citoyen qui attend discrètement la fin du conflit armé. Il affirme même ne pas faire de politique. Le film va alors questionner cette notion complexe de neutralité en période de guerre. Ainsi, c’est uniquement lorsqu’il est confronté à l’horreur du conflit dans l’intimité de son cercle familial que Dandieu se révolte et prend les armes.

 

Le Vieux fusil : photoLa mort du serment d’Hippocrate

 

On peut voir Le vieux fusil comme une extension de ce mouvement du cinéma français des années 70 consistant à remettre en question le rôle de la France durant la Seconde Guerre mondiale. À peine un an avant la sortie du film, c’est le cinéaste Louis Malle qui déchaînait les polémiques avec Lacombe Lucien, qui portait un regard trouble et lucide sur la collaboration. À son tour, Robert Enrico analyse méticuleusement les mécaniques de soumission et la passivité d’un peuple dans son ensemble. Si son long-métrage dérange à ce point, c’est justement parce qu’il confronte le spectateur à une culpabilité nationale difficile à admettre.

À la lumière de cet angle de lecture, la démarche du cinéaste est limpide. Il ravive les mémoires traumatiques d’un pays cherchant à idéaliser son passé. De manière là encore métaphorique, Dandieu est un personnage qui ne vit plus qu’à partir de bribes de souvenirs. Même après avoir commis des meurtres barbares, il s’enfermera dans une bulle factice. En plein déni, il préfère se remémorer le passé comme une image naïve et figée.

 

Le Vieux fusil : photoJusqu’ici tout va bien

 

Le bon docteur n’assumera jamais sa propre passivité. Après tout, il prend si peu d’initiatives que c’est son ami qui le pousse à envoyer sa femme et sa fille dans le village où aura lieu le massacre. La fin du récit voit Dandieu embrasser totalement ce refus de vérité. Après quelques secondes de lucidité absolument déchirantes, le protagoniste se déconnecte volontairement du réel. Difficile de faire plus clair dans la critique du roman national.

Si le récit s’inspire de plusieurs faits divers, notamment le massacre de Tulle, on peut cependant noter une dernière critique sociale inhérente au déroulement de ce massacre. En sous-texte, le cinéaste questionne la place de la religion en France. Ainsi, la plupart des corps des villageois sont retrouvés dans l’église. Après avoir découvert les cadavres de sa famille, Dandieu va détruire les statues du Christ et de la Vierge. C’est toujours dans cette église qu’il va trouver le fameux fusil du titre.

Le film semble alors raconter le deuil de la foi. Au-delà d’une histoire de vengeance, on assiste à l’histoire d’un pays qui doit sacrifier une tradition désuète et ancrée dans le passé. Le long-métrage semble d’ailleurs se demander comment croire dans le Bien absolu après avoir assisté au pire de l’horreur humaine. Une thématique qui habitera le cinéma et la littérature d’après-guerre.

 

Le Vieux fusil : photoLe passé idyllique

 

NI BIEN NI MAL

Parmi les critiques récurrentes que subit le film, on retrouve souvent son message prétendument réactionnaire. Robert Enrico se ferait ainsi l’avocat de la justice expéditive, voire même de la peine capitale. Comme énoncé précédemment, le rape and revenge est lié par essence à certains courants politiques conservateurs. Les films de Charles Bronson en sont un exemple typique. Il y a cependant des différences majeures à prendre en compte avant de juger Le vieux fusil.

Prenons tout d’abord le contexte. Robert Enrico ne remet pas en question la pertinence du système judiciaire moderne. Son film se déroule dans une période extrêmement précise de fin de guerre où les entités légales n’existent plus. Plus précisément, elles sont contrôlées par des tortionnaires qui agissent donc en toute impunité et avec le sentiment d’urgence d’une débâcle annoncée. Sur ce plan, difficile de nier la véracité historique de cette approche.

 

Le Vieux fusil : photoJustice nulle part

 

Mais bien plus important encore, Le vieux fusil s’émancipe totalement de la notion de Bien et de Mal, tout comme son protagoniste s’émancipe de la morale chrétienne. La question n’est jamais de savoir si Dandieu a raison d’agir comme il le fait. Au passage, il n’est jamais filmé comme un héros viril et valeureux de film d’action. Bien au contraire, il se transforme progressivement en prédateur. Un meurtrier impitoyable qui va même jusqu’à mentir aux partisans venus l’aider pour être certain d’achever lui-même tous les soldats allemands.

Ce que le film raconte n’a donc rien à voir avec le schéma héroïque souvent douteux du film de vengeance. Le vieux fusil ignore la notion d’héroïsme autant que celle de justice. C’est essentiellement le récit d’une déshumanisation. On y suit des personnages enfermés dans un cycle de violence qui ne peut qu’entraîner une réponse encore plus violente.

 

Le Vieux fusil : photoIl suffira d’une étincelle

 

Tout le génie du long-métrage se condense dans la psychologie complexe du docteur Dandieu. Un personnage fébrile et maladroit, incarné avec une grâce infinie par Philippe Noiret. Sa quête reste désespérée. Même la séquence inoubliable du lance-flammes ne le présente pas en héros vengeur qui offre au public une catharsis jubilatoire. Jusqu’au bout, Le vieux fusil nous aura présenté un homme en perdition. Un personnage brisé qui ne peut pas sortir vainqueur de cette épreuve puisqu’il a déjà tout perdu.

Après tant d’années, il semble évident que le film de Robert Enrico n’a rien perdu de sa superbe. Le cinéaste nous offre une œuvre choquante, complexe et brillante. Le genre de productions qui nous prouve encore et toujours la versatilité du cinéma français et sa capacité à s’emparer du cinéma de genre pour le transcender.

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Anderton

Je n’ai vu ce film qu’une seule fois (à la TV sur France 3), je devais avoir une douzaine d’années à l’époque… Aujourd’hui, ce plus des sentiments insoutenables liées à certaines scènes qui me reviennent en mémoire et c’est bien la scène finale de déconnexion volontaire du personnage de Philippe Noiret (très bien expliquée dans ce dossier) qui m’a finalement le plus marqué…
Et comme dit par certains, dans les années 70/80, on savait faire des films en France ! Rien que la filmographie de Romy Schneider vaut le détour (mention spéciale pour le film « Mort en Direct » pour moi), sans compter certaines pépites avec Montand (« I comme Icare », « Police Python 357 »), Lino Ventura (« La Grande Menace », « Espion, lève-toi », « La 7ème Cible ») et bien d’autres bien trop longues à lister !

Fox

@Benoît P.

Venant d’une personne de bon goût, je prends ça pour un compliment ! 😉

Flash

Vu à la TV , j’avais une douzaine d’années, ça m’avait traumatisé à l’époque.
Un film qui repasse très rarement d’ailleurs et que j’aimerais bien revoir.

Benoit P.

Ca te rappelle rien? Philippe Noiret! Le vieux fusil!!

Fox

« Ça vous rappelle rien ? Le Vieux Fusil ! Philippe Noiret !!!
Ça c’est de moi, c’est pas le gros Noiret, ça.
Il a grossi, hein, Philippe Noiret depuis… »

Faurefrc

Oui, excellent film. Et puis Noiret et Romy… rien que pour ça, ce film meriterait d’être plus reconnu qu’il ne l’est

Joe l'aveugle

Le cinéma Francais c’est comme la musique Française. Ce que l’on a maintenant est tellement mauvais, que l’on préfère se rappeler de l’époque ou l’on savait faire de belles choses pour se convaincre que l’on a pas vendu notre âme a la médiocrité culturelle. Le vieux fusil est un de ces superbes films qui ne saurait être fait à notre époque et c’est pour ça que l’on s’en souvient, alors que l’on a déjà oublié les films sorties la semaine dernière.

Mx

Chef d’œuvre intemporel, musique sublime, cast au top, du drame, de l’émotion, et l’un des rares films français du genre vigilante de cette époque, il faut le signaler!!!

Kyle Reese

Vu tardivement, mais voilà un film qui a marqué en son temps, et qui marque encore, et marquera surement toujours. Ils sont ou les films Français de cette trempe aujourd’hui … j eme le demande toujours.